"Les centaines de milliers d’hectares de terres arables ne sont pas exploités comme il se doit. Et quand ils le sont, ce n’est pas grâce aux agriculteurs sénégalais." (Photo : Olivier Geneste)
Nous, paysans et éleveurs du Sénégal, voilà pour qui nous allons voter…
L’agriculture et l’élevage méritent une attention particulière en ces temps d’élection. Pour un pays qui se veut émergent, ces deux secteurs représentent les poumons de l’économie du Sénégal. Il est alors nécessaire de prêter une oreille bienveillante aux propositions des candidats pour l’essor desdits secteurs. Pour les paysans et éleveurs que nous sommes, nos voix iront uniquement à celui qui présentera la meilleure offre pour nous.
L’économie de notre pays n’est pas portée par le secteur industriel encore moins par celui tertiaire. En vérité, ce n’est pas l’industrie qui peut nous faire accéder à l’émergence malgré son poids important. L’essor économique du Sénégal est tributaire du développement des secteurs primaires tels que l’agriculture et l’élevage. Peut-être faudra-t-il rappeler que l’agriculture représente 16% du PIB du Sénégal pendant que l’élevage contribue à hauteur de 35% (estimation 2017). Répondre efficacement aux besoins des populations rurales qui représentent environ 60% de la population nationale, c’est dresser des plans sérieux et suffisamment forts pour les fixer. Cela permettra de faire d’une pierre deux coups : éviter l’exode rural et désengorger la capitale.
Nous, paysans, allons porter notre choix sur le candidat qui fera du secteur de l’agriculture une priorité. Il est en effet inconcevable que, pendant que l’agro-business fait son petit bonhomme de chemin dans les pays sérieux, nous continuions de nous emmurer dans un cycle infernal d’échecs. Les saisons de pluies se succèdent et se ressemblent. La famine s’installe après chaque hivernage dans quasiment toutes les zones rurales à cause des saisons infructueuses. Pour y mettre fin, le président que nous devons choisir ne devra pas s’ériger en sapeurs-pompiers mais plutôt en vraie sentinelle. Il faut de ce point de vue une généralisation de la mécanisation de l’agriculture, laquelle devra profiter aux vrais paysans plutôt qu’aux politiciens, ces paysans du dimanche. L’échec des nombreux plans élaborés à ce jour (REVA, GOANA et dans une mesure PRODAC) s’explique par la boulimie des politiciens qui confisquent tout pour eux et leurs proches.
Ainsi, l’insécurité alimentaire qui était une réalité dans les zones du Nord et du Nord-Est s’étend-elle de plus en plus dans l’intérieur du pays à cause d’une pluviométrie défectueuse. Mêmes si les pluies ne dépendent pas de sa volonté, il est du ressort de tout président d’agir en amont pour éviter la catastrophe, cette famine que l’on cache sous le vocable d’insécurité alimentaire. Les centaines de milliers d’hectares de terres arables ne sont pas exploités comme il se doit. Et quand ils le sont, ce n’est pas grâce aux agriculteurs sénégalais. Le constat est unanime : les grandes fermes agricoles sont l’œuvre de multinationale telle « Senegindia » dont l’installation a été décriée par les populations autochtones. Les victimes de ces compagnies ne sont pas seulement ces paysans sans moyens, il y a à côté ces éleveurs qui perdent en même temps leurs zones de pâturage.
Nous, paysans et éleveurs, allons voter pour celui-là qui mettra fin au bradage du foncier. Combien de milliers d’hectares sont tombés entre les mains de prédateurs fonciers non-sénégalais ? Dans beaucoup de communes de Matam, Louga ou Saint-Louis, les populations paysannes font face à d’énormes litiges fonciers et voient souvent leurs terres leur échapper parce que tout simplement ils manquent de moyens pour les exploiter. Pour atteindre les objectifs que les régimes passés se sont fixés sans beaucoup de succès, il faut que le prochain gouvernement s’attelle à faire des paysans de vrais agriculteurs et des bergers de vrais éleveurs. Cela requiert évidemment des mesures fortes et une politique très sérieusement réfléchie. Ce qui est possible en France et aux Etats-Unis doit pouvoir l’être chez nous qui n’avons rien à leur envier avec l’immense étendue de nos terres et la richesse de nos sols.
Nous, paysans et éleveurs, porterons nos voix à celui qui s’engage à garantir une agriculture de qualité et un élevage de prestige. C’est grâce à une agriculture de qualité que l’autosuffisance alimentaire pourra être remplacée par l’ambition de la souveraineté alimentaire. Pour un président qui a de la vision, le défi ne doit pas se réduire à avoir assez à manger mais plutôt à aller au-delà. L’autosuffisance alimentaire nous retourne à des années en arrière puisqu’elle s’apparente à la culture vivrière qui était l’apanage des paysans. La souveraineté alimentaire, quant à elle, va au-delà du concept « bay dundéé » (culture vivrière) et s’accommode le plus au concept de l’agrobusiness. De même, le phénomène de la transhumance des animaux doit être amoindri ou définitivement éliminé à travers un plan de fixation des éleveurs. Cela pourrait se faire si des ranchs sont implantés dans les zones de forte concentration des bergers. C’est seulement en réussissant à fixer les bergers qu’on peut espérer d’en faire de vrais éleveurs et attendre des rendements probants.
Mis en ligne par Modou Mamoune Tine