Belga | 1 février 2022
Procédures-bâillons: une pétition remise à la Commission, une directive attendue
Par Belga
Des membres de la coalition "CASE", un groupement d'ONG contre les "procédures-bâillons", ont remis mardi à la commissaire européenne aux valeurs et à la transparence Vera Jourova une pétition de plus de 200.000 signatures. Leur objectif: que l'UE se rende compte de l'ampleur du problème et mette en place une protection spécifique des victimes de telles poursuites dissuasives, journalistes, acteurs de la société civile et défenseurs des droits humains.
Les "procédure-bâillon"
On les désigne souvent par leur acronyme anglais "SLAPP" (pour "Strategic lawsuit against public participation") ou en français par le terme de "poursuite-bâillon" ou "procédure-bâillon". Il s'agit de poursuites stratégiques altérant le débat public, de procès en diffamation, par exemple, lancés par des entreprises ou acteurs puissants, dans le but de faire peur, de dissuader de divulguer ou relayer certaines informations qui pourtant ont un intérêt public. "La caractéristique principale des poursuites-bâillons est leur tendance à détourner le débat de la sphère politique à la sphère juridique", peut-on lire dans une analyse commandée par le Parlement européen.
"Les auteurs de SLAPP ne veulent pas forcément gagner les procès qu'ils intentent, mais faire peur, faire durer la procédure le plus longtemps possible, épuiser les ressources financières d'un journaliste qui n'est pas toujours soutenu par un journal ou un employeur", indique mardi Julie Majerczak, directrice du bureau de Bruxelles de Reporters sans frontières (RSF). L'ONG participe à la coalition CASE, comme également la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), la fondation Daphne Caruana Galizia, Greenpeace ou encore l'association Sherpa. Des cas de SLAPP, "il y en a plein" en Europe, et c'est un problème qui a tendance à croître, ajoute Julie Majerczak.
L'assassinat en octobre 2017 de la journaliste d'investigation maltaise Daphne Caruana Galizia, qui investiguait et exposait la corruption dans son pays jusque dans les plus hautes sphères politiques et économiques, a été un "élément déclencheur important" dans la prise de conscience au niveau européen, estime la responsable.
En Belgique aussi, ces pratiques existent. Un rapport de l'ONG "Blueprint for free speech", repris parmi les exemples compilés par la coalition CASE sur son site, évoque entre autres les poursuites engagées par la Socfin en 2019 envers plusieurs ONG dont FIAN Belgium et le CNCD-11.11.11. La holding du Belge Hubert Fabri, active dans l'huile de palme et le caoutchouc, est coutumière de ce genre de poursuites, rapporte "Blueprint".
Selon une étude commandée par la commission des Affaires juridiques du Parlement européen ("L'utilisation des poursuites-bâillons pour réduire au silence les journalistes, les ONG et la société civile", publiée en septembre 2021), bien que "plusieurs États en dehors de l'Union" aient adopté une législation contre ce type de poursuites, "aucun État membre de l'Union ne l'a fait". Ni l'Union elle-même, mais la Commission européenne est justement attendue dans les prochains mois sur une proposition de directive.
La commissaire Vera Jourova l'a rappelé mardi via Twitter: "nous allons proposer une nouvelle législation et des mesures de 'soft law' pour freiner les SLAPPs, et agir pour protéger la liberté des médias via le 'Media Freedom Act'", une nouvelle législation à venir pour laquelle une consultation publique est en cours.
.@EU_Commission is listening. We will propose new legislation and soft-law measures to curb #SLAPPs and act to safeguard media freedom in #MediaFreedomAct. Our democracies depend on the active engagement of journalists and civil society in a free, open and plural environment. 2/2 pic.twitter.com/XoOg765bI8
— Věra Jourová (@VeraJourova) February 1, 2022
La commissaire tchèque a reçu des représentants de la coalition CASE, mardi. La coalition a elle-même élaboré avec des juristes un "modèle de directive", dont elle espère qu'il contribuera au travail de la Commission. Il s'agit par exemple d'introduire un mécanisme permettant à un juge de rejeter assez rapidement des demandes qui ont toutes l'apparence d'une procédure-bâillon, explique Julie Majerczak.
Comme le détaille la feuille de route de la Commission sur ce sujet, la proposition de directive, annoncée pour le deuxième trimestre de cette année, n'introduirait de nouvelles garanties procédurales que pour les cas de SLAPP qui ont un impact transfrontalier. La proposition pourrait être accompagnée de recommandations (non-contraignantes) aux États membres.