AFSA | 17 févier 2022
« Tout ce qui est fait pour l’Afrique sans le peuple africain n’est pas pour l’Afrique ».
Une déclaration conjointe des mouvements sociaux et des paysans, des organisations confessionnelles et des OSC prononcée lors du « Sommet des peuples africains » en vue du 6ème Sommet UE-Afrique, exigeant plus d’espace pour les OSC et des mesures pour garantir la justice foncière et l’agroécologie.
Contexte
Nous, membres d’une large alliance de mouvements sociaux et paysans[1], d’organisations confessionnelles et de la société civile à travers l’Afrique et l’Europe[2], observons avec appréhension la tenue du 6ème sommet UE-Afrique. Au cours des 20 dernières années de partenariat entre les deux continents, nous n’avons constaté aucune avancée qui ait permis significativement d’améliorer les conditions de vie des communautés rurales africaines. En effet, ce partenariat ainsi que d’autres similaires avec d’autres régions du monde se sont révélés être des structures fantômes qui facilitent l’accaparement des terres, le pillage des ressources naturelles, l’impunité des entreprises en complicité avec les autorités nationales et internationales , avec une expansion agressive du marché au détriment de la prospérité et du bien-être des populations.
Nous constatons avec regret que les questions les plus urgentes pour l’Afrique sont à peine abordées lors des négociations. Sinon, comment expliquer que les systèmes alimentaires et l’agriculture ainsi que la réponse au Covid-19 ne figurent pas parmi les thèmes initialement proposés pour le Sommet?
Malgré le message de partenariat égal des dirigeants de l’UE, nous observons avec inquiétude l’impact de l’héritage du colonialisme, qui se traduit aujourd’hui par une forme de néocolonialisme dirigé par les intérêts privés, et l’énorme asymétrie de pouvoir persistante dans le partenariat qui le font pencher structurellement en faveur de l’UE. Il est troublant et inquiétant que l’UE ne fasse aucun effort significatif pour faire face à ce sombre et douloureux passé. Un état d’esprit différent est pourtant nécessaire pour une relation plus transformatrice entre les deux continents. Le terrorisme et les conflits qui sévissent au Sahel et dans d’autres régions d’Afrique, ainsi que la migration forcée des jeunes Africains et Africaines qui traversent la Méditerranée sont les produits de l’extrême pauvreté, des inégalités, de l’urgence climatique et des crises économiques[3].
Nous faisons écho aux paroles importantes de feu Mgr Desmond Tutu et disons que nous, Africains et Africaines, ne sommes pas intéressé–es à ramasser des miettes de compassion. Nous voulons et exigeons le menu complet des droits.
Vision des peuples africains
Nous rejetons les partenariats qui s’attaquent aux symptômes plutôt qu’aux besoins réels des Africains et Africaines et qui ne respectent pas leur vision d’un monde où tous et toutes peuvent jouir de leur juste part des dons de la création. Nous envisageons une culture de solidarité et de démocratisation de l’ubuntu où les personnes, notamment les plus pauvres, les jeunes, les femmes, et l’environnement sont au cœur des politiques économiques et sociales. Nous voulons une Afrique qui puisse définir et façonner ses relations avec les autres régions et les puissances mondiales, mais surtout qui place la dignité et le bien-être de tous les Africains et Africaines au centre de ses politiques.
Convaincus que les Africains et Africaines méritent une meilleure considération dans le partenariat, nous recommandons aux décideurs et décideuses politiques africains et européens de prendre en compte les aspects suivants:
- Garantir un espace pour les acteurs de la société civile, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des espaces de décision. Alors que certains se battent pour occuper une place à la table des négociations, d’autres choisissent de rester « en dehors ». Les uns comme les autres doivent pouvoir faire entendre leur voix librement et en toute sécurité afin d’influencer les décisions.
- Soutenir les gouvernements nationaux – avec les acteurs et actrices de terrain – dans la mise en œuvre de la stratégie africaine de gouvernance foncière (LGS) qui garantira les droits fonciers des communautés y compris les femmes et les jeunes. La LGS permettra en effet de réduire les défis de la gouvernance foncière sur le continent.
- Mettre fin au financement des projets d’acquisition de terres à grande échelle et aux investissements spéculatifs notamment par les banques publiques de développement qui se traduisent par des accaparements de terres.
- Reconnaître, valoriser et soutenir l’énorme potentiel de l’agroécologie paysanne comme vecteur de sécurité et de souveraineté alimentaires, de réduction de la pauvreté et la faim, de conservation de la biodiversité et de respect des connaissances et des innovations autochtones. Cela nécessite un changement dans le type de programmes de développement qui sont actuellement financés, puisque la tendance montre clairement que cette approche transformatrice est largement ignorée par les bailleurs de fonds publics.[4]
- Reconnaître l’agriculture familiale à petite échelle comme un modèle structurel viable pour le développement du secteur agricole en Afrique.[5]
- Soutenir et développer le concept de systèmes alimentaires territoriaux, en décentralisant la valeur ajoutée, en stimulant l’économie rurale, tout en favorisant la gouvernance alimentaire locale.
- Participer de manière proactive aux sessions du Groupe de travail intergouvernemental de l’ONU sur les entreprises et les droits humains afin de combler le vide juridique du droit international et de tenir les grandes entreprises responsables des violations tout au long de leurs chaînes d’approvisionnement. La loi de l’UE sur le devoir de vigilance ne doit pas être considérée comme une excuse pour que la région ne participe pas à ce processus international, mais plutôt comme une voie complémentaire au Traité.
- Respecter les engagements en envoyant effectivement et de toute urgence aux pays africains les quantités de vaccin Covid-19 que l’UE a promises dans le cadre de l’initiative Covax.
- Soutenir l’initiative de l’Inde et de l’Afrique du Sud en faveur d’un moratoire sur les brevets des vaccins CVI à l’Organisation Mondial du Commerce jusqu’à la fin de la pandémie. En outre, l’UE doit faire pression sur les fabricants de vaccins CVI pour qu’ils acceptent le transfert de leur technologie.
- Faire preuve de plus d’ambition climatique en adoptant des réductions d’émissions ambitieuses, pas de greenwashing.
- Soutenir les investissements dans une transition énergétique propre décentralisée et adaptée à l’Afrique comme le solaire.
- Assurer que les terres africaines ne soient pas vues comme des actifs en carbone destinés à compenser les émissions des principaux pollueurs – Etats et entreprises – sous couvert de potentiel crédits carbone qui n’auront comme résultat qu’une financiarisation accrue de la nature.
- Valoriser les savoirs, savoir-faire, savoir-être et savoir devenir non pas en brevetant le vivant – nous refusons que les pays adhérent à l’UPOV (International Union for the Protection of New Varieties of Plants) – mais en développant des systèmes semenciers, alimentaires et thérapeutiques paysans adaptés et accessibles.
- Garantir la protection des défenseurs et défenseuses des droits humains notamment ceux liés à la terre, l’eau, les ressources naturelles et dénoncer leur criminalisation.
- Soutenir et appliquer la Déclaration des Nations-Unies sur les droits des paysan-nes et des travailleur-euses en milieu rural, notamment en veillant à ce que les programmes de coopération internationale soient inclusifs, accessibles et utiles aux paysan-nes et aux autres personnes travaillant dans les zones rurales; et garantir aux paysan-nes et aux autres personnes travaillant dans les zones rurales le droit de définir leurs propres priorités et stratégies et d’exercer ainsi leur droit au développement.
Liste des signataires : https://afsafrica.org/la-declaration-du-sommet-des-peuples-vise-le-partenariat-ue-ua/?lang=fr