Politis | 12 avril 2023
Pour une reprise en main collective des terres agricoles
Contre l’accaparement des terres et l’inexorable diminution du nombre de fermes, des collectifs s’organisent. Carte blanche à l’un d’eux, le groupement foncier agricole Champs libres.
Contre l’accaparement des terres et l’inexorable diminution du nombre de fermes, des collectifs s’organisent pour se réapproprier le foncier agricole et nouer des alliances vertueuses entre citoyen·nes et paysan·nes dans le cadre de circuits courts. C’est le modèle expérimenté depuis huit ans par le groupement foncier agricole (GFA) citoyen Champs libres. Carte blanche de Cyril, Coline, Florian, Julie, Baptiste, Manon, Émile, Léo, Jennifer et Renaud.
D’ici à 2030, la moitié des agriculteurs actuels seront partis à la retraite. À cela s’ajoute un taux de renouvellement des générations agricoles en déclin avec seulement deux installations pour trois départs. Ces deux constats impliquent qu’à l’échelle nationale, ce sont des millions d’hectares qui vont se libérer ces prochaines années.
Le risque est grand, dans un tel contexte, que l’agrandissement des structures agricoles s’accélère, en même temps que se poursuive la diminution du nombre de fermes (100 000 en moins ces dix dernières années). Mais une autre voie est possible. Celle de la reprise en main collective des terres pour la démultiplication d’installations paysannes dans une visée coopérative et territoriale. C’est ce que nous expérimentons sur la commune de Mâlain (Côte-d’Or) depuis huit ans.
Autour du groupement foncier agricole (GFA) citoyen Champs libres (1) créé en 2015, ce sont aujourd’hui plus de 200 habitant·es de notre territoire qui sont collectivement propriétaires d’une quarantaine d’hectares de terres agricoles sur lesquelles nous sommes installé·es. Sur ces terres nourricières, nous cultivons en bio des céréales, des graines oléagineuses, des prairies temporaires, des légumes, du houblon.
Nous y faisons aussi pâturer brebis, ânes et cochons, en prenant soin collectivement des sols et des paysages. C’est à partir de ce travail de la terre, de ce travail d’élevage et de transformation alimentaire que nous nouons des alliances avec des citoyen·nes. Ensemble, nous cherchons à améliorer l’autonomie alimentaire de notre territoire dans le cadre de circuits courts, et notamment par le biais d’une épicerie coopérative animée et gérée bénévolement par des membres de l’association Risomes (réseau d’initiatives solidaires mutuelles et écologiques).Ces deux dimensions, la réappropriation collective du foncier agricole et la création d’alliances vertueuses entre paysan·nes et citoyen·nes, ont été primordiales pour accompagner nos installations. Elles sont incarnées et prennent sens sur un tiers-lieu que nous avons en commun. Géré collectivement, ce lieu donne la possibilité aux nouveaux installés de se loger à proximité de leurs activités à un prix abordable et de bénéficier de locaux pour la transformation alimentaire.
Il est aussi un lieu de rencontres, d’éducation populaire et de convivialité avec la présence, en son cœur, du café associatif de Risomes. C’est grâce à tous ces ingrédients que nous avons pu inverser l’inexorable diminution du nombre de paysans qui accompagne l’accaparement des terres.
Là où, à la suite du départ à la retraite d’un agriculteur du village, nous aurions pu observer comme partout en France un simple agrandissement des autres structures agricoles en place, sans aucune nouvelle installation, toute cette dynamique a permis d’installer sept paysan·nes et deux artisanes. Sans oublier le rôle important joué par l’agriculteur du village parti à la retraite, avec lequel une relation de confiance s’est construite dans le cadre de la transmission de ses terres et de ses bâtiments.
De cette alternative agriculturelle que nous expérimentons, modestement mais avec l’espoir qu’elle puisse être une source d’inspiration pour d’autres, nous nous sommes forgé une conviction : ne restons pas seuls, organisons-nous. Nous ne pouvons pas être seul·es à faire face aux défaillances de politiques agricoles qui continuent à soutenir majoritairement un modèle productiviste et qui organisent consciencieusement la disparation de l’agriculture paysanne.
Nous ne pouvons pas être seul·es à faire face au scandale de la précarité alimentaire qui touche aujourd’hui plus de 10 millions de Français·es. Nous ne pouvons pas être seul·es à faire face au dérèglement climatique, à la crise de la biodiversité, à la destruction de la qualité de nos sols et de notre eau. Alors, pour les soulèvements de la terre, pour la relève paysanne, organisons-nous !
(1) Le GFA ouvre actuellement une nouvelle souscription pour l’acquisition de bâtiments agricoles. Toutes les infos pour participer ici.