Lettre ouverte sur le projet de désinvestissement du groupe Socfin de la SRC au Liberia

Les rapports internes de la SFI et les communications avec Socfin ont mis en évidence de nombreuses violations des normes environnementales et sociales de la SFI entre 2008 et 2019, y compris des cas où des employés de l'entreprise ont forcé des femmes à se livrer à des activités sexuelles pour conserver leur emploi. Image et légende d'Ashoka Mukpo pour Mongabay.
Collectif | 4 juin 2024 [EN]

Lettre ouverte sur le projet de désinvestissement du groupe Socfin de la SRC au Liberia

Nous, soussignés, sommes des organisations de la société civile libérienne, ouest-africaine et internationale, ainsi des communautés et individus, préoccupés par les préjudices que les activités de la Salala Rubber Corporation (SRC) ont infligés aux communautés locales de Weala, au Liberia, et de ses environs. Nous sommes alarmés par la nouvelle selon laquelle la société mère de la SRC, Socfin, cherche à céder ses parts dans la SRC sans d'abord régler ses dettes sociales, environnementales, culturelles, financières et économiques à l'égard des communautés affectées. Nous adressons donc cette lettre ouverte au gouvernement libérien, aux partenaires de développement du Liberia, au grand public, à Socfin et, en particulier, à tous les acheteurs potentiels du SRC.

Tout acquéreur héritera d'un passif extrêmement important lié aux violations généralisées des droits fonciers, environnementaux et humains associées à la plantation d'hévéas de la SRC. L'acheteur recevra également une concession basée sur un titre de propriété incertain pour le terrain sur lequel se trouve la plantation. Nous appelons donc toutes les parties prenantes – la société mère du SRC, Socfin, les investisseurs, les financiers, le gouvernement du Liberia et tous les acheteurs potentiels – à s'abstenir de toute vente ou cession de droits jusqu'à ce que les plaintes contre le SRC soient résolues et que les droits sur les terres sur lesquelles la concession pour la plantation d'hévéas a été accordée soient déterminés de manière concluante.

Historique

SRC, une filiale indirecte du géant agricole luxembourgeois Socfin depuis 2007, est propriétaire d'une plantation de caoutchouc de 8 000 hectares près de la ville de Weala. La plantation est exploitée conformément à un accord de concession conclu en 1959 et ratifié par le législateur libérien en 1960, qui a accordé aux prédécesseurs de Socfin le droit de développer une plantation d'hévéas sur des terres publiques non grevées dans ce qui est aujourd'hui les comtés de Lofa, Margibi et Bong dans la République du Liberia. Depuis lors, la plantation a connu plusieurs vagues d'expansion – la dernière en 2015 – et a été associée à un large éventail de violations des droits des peuples autochtones et des communautés locales, notamment l'accaparement de terres, la destruction de sites culturels et la violence sexuelle et sexiste.

Dans son rapport annuel 2023, Socfin a annoncé l'existence d'un « signe de dépréciation » pour SRC, a évalué cette valeur de dépréciation à 7,5 millions d'euros et a reclassé la plantation en tant qu’ « actif à vendre ».[1] Selon l'article XI de la convention de concession de SRC, toute cession de droits à un tiers doit être approuvée par le gouvernement du Liberia.[2] En vertu de la loi libérienne de 2018 sur les droits fonciers, les communautés locales doivent avoir la possibilité d'exprimer leur point de vue afin de garantir la protection de leurs droits et de leurs intérêts lors de la révision d'une concession existante.[3] Cette même loi prévoit également qu'à l'expiration d'une concession sur des terres coutumières, les terres reviennent aux communautés locales qui en sont les propriétaires d'origine.[4] La concession actuelle de la SRC prendra fin le 1er août 2030.

Incidences graves sur les droits de l'homme

Au fur et à mesure de son développement, la plantation a englouti les terres agricoles d'au moins 37 villages, plongeant leurs habitants dans la pauvreté, l'insécurité alimentaire et la dislocation culturelle. Certaines communautés, comme Jorkporlorsue, ne sont plus qu'une enclave entourée d'une mer de caoutchouc, coupée des tombes de leurs ancêtres et de toute forme d'autosuffisance. D'autres, comme Sayee Town, ont été brûlées lorsque la plantation en a pris le contrôle, faisant fuir leurs habitants. La SRC n'a pas versé de compensation pour la perte de terres, et selon de nombreux  témoignages émanant de plusieurs communautés la société n'a pas payé suffisamment la perte de biens productifs et culturels. De nombreux témoignages affirment que les femmes sont harcelées par les travailleurs et les gardes de sécurité lorsqu'elles traversent la plantation pour quelque raison que ce soit, et nombre d'entre elles ont été extorquées à des fins sexuelles lorsqu'elles cherchaient un emploi au sein de la compagnie.[5]

Ces allégations ont été rapportées pour la première fois par Green Advocates International en 2013[6] et confirmées par l’ONG Suisse Pain pour le Prochain dans un rapport de 2019.[7] Elles font l'objet d'une plainte déposée en 2019 auprès du bureau du médiateur de la Société financière internationale (SFI), la branche de financement du secteur privé de la Banque mondiale, qui a partiellement financé la réhabilitation par Socfin de la plantation SRC après la guerre civile au Liberia. et qui finalise actuellement un rapport d'enquête axé sur la manière dont la SFI applique ses mesures de sauvegarde environnementales et sociales.[8] Lorsque Socfin a engagé un consultant – Earthworm Foundation – pour examiner ses performances sociales et environnementales au lieu de coopérer à l'enquête de la SFI, le rapport qui en a résulté a conclu que la plupart des plaintes des communautés étaient en fait fondées et n'avaient pas été correctement traitées.[9]

Les droits fonciers remis en question

La plantation elle-même fait l'objet d'un procès actuellement en cours devant les tribunaux libériens, dans lequel les résidents des communautés concernées affirment que les terres prises par le SRC n'étaient pas éligibles pour le développement de la plantation car elles n'étaient ni publiques ni libres de toute charge. Le terrain était en fait utilisé de manière coutumière et fait partie du territoire traditionnel des communautés locales de Kpelle. L'issue de ce procès pourrait décider si l’accord de concession est valide ou si elle doit être reconnue comme terre coutumière.

Risques liés à l'acquisition

La cession envisagée de la SRC par Socfin est une opération risquée pour toutes les parties concernées, à l'exception de Socfin elle-même.
  • Pour les communautés touchées, cela pourrait signifier l'échange d'une entreprise internationale qui s'est engagée - au moins sur le papier - à respecter des normes élevées en matière de responsabilité sociale et environnementale et à disposer des ressources nécessaires pour les mettre en œuvre, contre un acheteur potentiel dont on ne connaît pas la volonté et la capacité à protéger le bien-être de la communauté. Les communautés du delta du Niger, au Nigeria, sont actuellement confrontées à une situation similaire, car des compagnies pétrolières internationales de réputation mondiale cherchent à céder leurs activités terrestres à des entreprises peu connues, dotées de peu d'expérience et de ressources, sans avoir au préalable résolu leurs responsabilités environnementales.[10]
  • Pour la République du Liberia, en tant que propriétaire présumé du terrain sur lequel se trouve la plantation, cela pourrait signifier qu'elle doit assumer les responsabilités sociales et environnementales laissées par le SRC dans le cadre de la Socfin.
  • Pour tout acheteur potentiel, l'achat de la plantation entraînerait une exposition à une responsabilité non encore quantifiée pour des réclamations concernant des dommages causés à la terre, aux cultures, à la culture et à l'environnement, ainsi que des violences sexuelles et sexistes sur des milliers de personnes dans 37 villages, comme le rapport Earthworm et le processus d'évaluation de la SFI l'ont clairement démontré.
  • Le droit de l'acheteur d'exploiter la plantation pourrait également être affecté par une éventuelle décision des tribunaux libériens selon laquelle le gouvernement libérien n'a jamais eu l'autorité d'accorder une concession sur le terrain où se trouve la plantation.[11] Selon l'article XI de la convention de concession, tout cessionnaire aura les mêmes « droits, privilèges, immunités et obligations » que le concessionnaire d'origine. Toutefois, compte tenu de l'incertitude qui entoure les dettes de Socfin envers les communautés encore en suspens et la validité de la concession elle-même, les droits transférés pourraient avoir beaucoup moins de valeur qu'il n'y paraît et les obligations pourraient imposer à l'acquéreur des coûts lourds et imprévus.
Recommandations

À la lumière de ce qui précède, le désinvestissement prévu par Socfin de la SRC ne devrait pas avoir lieu sans prendre en considération le suivant.

À la République du Liberia :

  • Assurer que le processus pour rechercher le consentement libre, préalable et éclairé des communautés affectées en ce qui concerne toute proposition de cession de droits par Socfin soit respecté, lors de l'examen du projet de vente, conformément à l'article 48(2) de la loi sur les droits fonciers de 2018 et aux principes généraux du droit international relatifs aux droits des peuples autochtones lorsque leurs terres traditionnelles et leurs ressources naturelles sont menacées.
  • Divulguer immédiatement aux communautés affectées toute demande de Socfin de céder ou d'attribuer sa participation dans le SRC à une autre partie.
  • Refuser d'approuver toute proposition de cession de droits par Socfin tant que le litige en cours sur la propriété des terres de plantation et tous les autres litiges concernant le contrôle des terres n'auront pas été résolus.
  • Commander un audit complet de conformité des opérations de la plantation SRC couvrant toute la durée de la concession, en se concentrant sur la production, l'environnement, les revenus, le travail et les obligations sociales, ainsi que sur le respect des termes et conditions de l'accord de concession.
  • En outre, refuser d'approuver toute proposition de cession de droits par Socfin à moins que a) Socfin n'ait d'abord déposé sur un compte fiduciaire au Liberia., sous le contrôle conjoint de la communauté et du gouvernement, un montant adéquat pour couvrir toutes les responsabilités environnementales, sociales, culturelles et économiques potentielles du SRC ; et b) que l'acheteur n'ait signé un accord de bénéfice communautaire avec les communautés affectées dans lequel il s'engage à respecter les normes environnementales et sociales les plus élevées et confère des droits et des bénéfices exécutoires aux communautés. Il est encourageant de constater qu'au Nigeria, le gouvernement prend au sérieux la nécessité de veiller à ce que les compagnies pétrolières sortantes paient d'abord pour l'assainissement de l'environnement[12] ; rien n'empêche le Liberia de suivre cet exemple.
Aux acquéreurs potentiels :

  • S'abstenir de conclure tout achat jusqu'à ce que Socfin et SRC aient réglé toutes les dettes sociales, environnementales, culturelles et économiques potentielles en suspens avec les communautés environnantes.
  • Avant tout engagement ou toute négociation avec Socfin/SRC, commander une évaluation complète des risques couvrant toutes les responsabilités sociales, environnementales, culturelles et économiques potentielles, en cours et existantes à l'égard des communautés environnantes, des vendeurs/contractants privés et du gouvernement du Liberia.
 A Socfin :

  • S'abstenir de chercher à céder le SRC jusqu'à ce que toutes les responsabilités sociales, environnementales, culturelles et économiques potentielles en suspens avec les communautés environnantes soient réglées. 
Aux communautés locales :

  • Exercer le droit de soumettre au gouvernement, par l'intermédiaire du comité de développement et de gestion des terres communautaires, des commentaires et des suggestions sur le projet de désinvestissement de Socfin, en vue de protéger leurs droits humains, environnementaux, culturels et économiques.
Signé,

Représentants des communautés
Edwin Gbah, Elder Representative, Dedee-ta 1
Tina Gibson, Women Representative, Dedee-ta 1
Isaiah Gibson, Youth Representative, Dedee-ta 1
Tommy Blackie, Elder Representative, Golonkalah
Tenneh Gbomah, Women Representative, Golonkalah
Emmanuel Singbah, Youth Representative, Golonkalah
Musa Kaiffa, Elder Representative, Dokai Town
Quita George, Women Representative, Dokai Town
Jonah Singbah, Youth Representative, Dokai Town
Alfred Gotolo, Elder Representative, Monkeytail Town
Hawa Monkeytail, Women Representative, Monkeytail Town
Remember Fellezey, Youth Representative, Monkeytail Town
Mulbah Yarkpawolo, Elder Representative, Hawa Bondon
Betty Kollie, Women Representative, Hawa Bondon
Patrick Yah, Youth Representative, Hawa Bondon
David Siaffa, Elder Representative, Siaffa Molley Village
Hawa Siaffa, Women Representative, Siaffa Molley Village
Moses Siaffa, Youth Representative, Siaffa Molley Village
Olanto Forjah, Elder Representative, Martin Village
Miatta Gbah, Women Representative, Martin Village
Emmanuel Gbah, Youth Representative, Martin Village
James Whalee, Elder Representative, James Whalee Village
Hawa Whalee, Women Representative, James Whalee Village
Titus G. Whalee, Youth Representative, James Whalee Village
James K. Gorgbor, Elder Representative, Gorgbor Town
Jartu Gorgbor, Women Representative, Gorgbor Town
Tenneh Mulbah, Youth Representative, Gorgbor Town
Samuel D. Bindah, Elder Representative Jorkporlorsue Town
Menatta Sackie, Women Representative, Jorkporlorsue Town
Aaron F. Kollie, Youth Representative, Jorkporlorsue Town
Moses David, Elder Representative, Varmue Town
Ruth Cooper, Women Representative, Varmue Town
Dennis Cooper, Youth Representative, Varmue Town
Fahn Kolleh, Elder Representative, Blomu Town
Finda Bengo, Women Representative, Blomu Town
Stephen Nantee, Youth Representative, Blomu Town
William Bainda, Elder Representative, Lango Town
Karne Dolo, Women Representative, Lango Town
Fahn Singbe, Youth Representative, Lango Town
Pst. Milton F. Gweh, Elder Representative, Garjah Town
Hawah Siaffa, Women Representative, Garjah Town
Edward Lawad, Youth Representative, Garjah Town
Emmanuel Kpaingba, Elder Representative, Kuwah-ta
Yassah Mulbah, Women Representative, Kuwah-ta
Victor Koko, Youth Representative, Kuwah-ta
Roger Moore, Elder Representative, Dedee-ta 2
Miatta Singbah, Women Representative, Dedee-ta 2
Oretha Singbah, Youth Representative, Dedee-ta 2

Société civile
Alfred Lahai Gbabai Brownell Sr., Fondateur, Green Advocates International, Lauréat du 2019 Goldman Environmental Prize
AbibiNsroma Foundation (Ghana)
Accountability Counsel (international)
Action Solidarité Tiers Monde asbl (Luxembourg)    
Advocates for Community Alternatives (USA/Afrique de l'Ouest)
Africa Transcribe (Tanzanie)
Ahmed Elseidi, public interest lawyer (Egypte)
Al-Marsad Arab Human Rights Center (Syrie)
Alliance for Rural Democracy (Liberia)
Asia Indigenous Peoples Network on Extractive Industries and Energy (Asie)
Asociación de Pescadores Artesanales del Golfo de Fonseca (Honduras)
Alliance for Rural Democracy (Liberia)
Attac CADTM Maroc (Maroc)
Botswana Watch (Botswana)
CADTM Afrique (Burkina Faso)
CADTM Afrique (Mali)
Claudia Lazzaro Socra (Argentine)
CNCD-11.11.11 (Belgique)
Collectif pour la défense des terres malgaches – TANY (Madagascar/France)
Community Forest Watch (Nigeria)
Consejo de los Pueblos Wuxhtaj (Guatemala)
Daniel Santi, Pueblo Originario Kichwa de Sarayaku (Ecuador)
Economic and Social Rights Centre - Hakihamii (Kenya)
Environmental Defender Law Center (USA)
FIAN Belgium
FIAN Suisse
Fondation pour le Développement au Sahel (Mali)
Foundation for Good Governance Development Initiative (Liberia)
Global Rights (International)
Good Health Community Programmes (Kenya)
HakiMadini (Tanzanie)
Global Rights (international)
Good Health Community Programmes (Kenya)
Green Advocates International (Liberia)
GRAIN (international)
HakiMadini (Tanzania)
Hilfswerk der Evangelisch-reformierten Kirche Schweiz (HEKS) (Suisse)
Human Rights Awareness Center (Nepal)
Inclusive Development International (International)
Integrated Center for Community Empowerment (Liberia)
Jamaa Resource Initiatives (Kenya)
JPIC, Franciscans Africa (Kenya)
Justicitiz-ACORN (Liberia)
Karapatan Alliance (Philippines)
Karl Klare, International Social & Economic Rights Project (USA)
Liberia Reform Movement (Liberia)
Lok Shakti Abiyan (Inde)
MENA Fem Movement (International)
MUFRAS-32 (El Salvador)
National Civil Society Council of Liberia
Natural Resources Women’s Platform (Liberia)
National Union of Domestic Employees (Trinidad et Tobago)
Neighbourhood Environment Watch Foundation (Nigeria)
Network Movement for Justice and Development (Sierra Leone)
Protection International Africa
Public Eye (Suisse)
ReAct Transnational (France)
Réseau des Acteurs du Développement Durable (Cameroun)
Renevlyn Development Initiative (Nigeria)
Solifonds (Suisse)
SOS Faim (Luxembourg)
SYNAPARCAM (Cameroun)
West Point Women for Health and Development Organization (Liberia)
Witness Radio (Uganda)
WoMin Alliance Africa (Burkina Faso)
Yeabamah National Congress for Human Rights (Liberia)
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  • 04 June 2024
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