Mongabay 18 Sep 2024
En RDC, le gouvernement annule la concession de 42 000 hectares de terres attribuée à la société agropastorale libanaise CAP Congo
Yannick Kenné
- La ministre des Affaires Foncières, Acacia Bandubola Mbongo, a ordonné au Conservateur foncier de Bandundu, au sud-ouest de la République Démocratique du Congo, l’annulation du contrat conclu, en août 2023, entre le gouvernement provincial de Kwilu et la Compagnie agropastorale du Congo (CAP Congo).
- L’autorité administrative dénonce des faits de violation de la loi foncière congolaise, lors de cette transaction foncière pour l’occupation de 42 000 hectares de terres dans le village Mushie-Pentane, sur une durée de 25 ans renouvelable.
- Cette décision du gouvernement central est un soulagement pour environ 600 fermiers et agriculteurs de la localité, qui envisagent de porter plainte contre la société libanaise pour destruction de leurs kraals et de leurs cultures.
En République Démocratique du Congo (RDC), les agriculteurs du village Mushie-Pentane dans la province de Kwilu, au sud-ouest du pays, espèrent pouvoir reprendre possession de leurs terres pour la prochaine saison agricole, qui va du 15 septembre 2024 au 15 février 2025. Leur optimisme résulte de la décision du gouvernement central, d’annuler la concession de 42 000 hectares de terres, attribuée à la Compagnie agropastorale du Congo (CAP Congo), dans leur localité, par le gouvernement provincial de Kwilu. Ils veulent en priorité « reprendre [leurs] activités, étant donné que c’est la saison culturale A, la bonne saison pour les agriculteurs », a dit Jean-Jacques Muwoko Ndolo, Président du Collectif des éleveurs et agriculteurs de Bandundu, à Mongabay, dans un échange téléphonique.
Dans une correspondance en date du 3 septembre 2024, que nous avons pu consulter, la ministre des Affaires Foncières, Acacia Bandubola Mbongo, a enjoint le Conservateur des titres immobiliers de la circonscription de Bandundu, d’annuler tous les contrats d’emphytéose établis par le gouvernement de la province de Kwilu au profit de cette société à capitaux libanais en 2023. La ministre évoque une « violation délibérée » de la loi foncière congolaise, et reproche précisément au gouvernorat de Kwilu, sous le magistère de l’ancien gouverneur Willy Itsundala Asang, devenu député provincial, d’avoir « divisé la concession (42 000 hectares) en plusieurs parcelles de 200 hectares, afin de contourner la règle de compétence prévue à l’article 183 », qui prévoit que, l’attribution des blocs de terres rurales supérieures à 1000 hectares, relève des prérogatives du Président de la République.
Dans un entretien téléphonique avec Mongabay, Simplice Mutombo, membre de la Commission nationale de la réforme foncière (CONAREF), une instance du ministère des Affaires Foncières, dont l’une des missions est de réformer le secteur foncier en vue de limiter, voire éradiquer les conflits fonciers et les violences d’origine foncière en RDC, soutient que « la loi n’a pas été respectée dans l’attribution de ces terres ». « Il y a des compétences en attribution des terres qu’on veut exploiter. Il y a une superficie que peut donner un Conservateur ; un niveau plus loin, c’est peut-être le Gouverneur de province ou le ministre des Affaires foncières ; et à un niveau plus élevé, c’est le Président de la République, et à un niveau plus élevé encore, c’est le Parlement. Lorsqu’on voit l’énorme superficie qui a été attribuée à CAP Congo, on comprend que c’est des abus, et la ministre des Affaires foncières a pris cette décision pour préserver la paix sociale ».
Vers une bataille judiciaire entre CAP Congo et les fermiers ?
Le climat était devenu délétère dans la province depuis la signature du protocole d’accord entre le gouvernorat de Kwilu et CAP Congo en 2023. Les tensions sont devenues plus vives entre la société libanaise et les fermiers lorsque celle-ci a démarré il y a quelques mois les travaux d’exploitation du site de 42 000 hectares. Le Collectif des fermiers et agriculteurs, qui compte un peu plus de 600 membres, a engagé un plaidoyer auprès des instances du pays pour faire entendre sa voix. Il a adressé? le 11 juin 2024, un mémorandum au Président de la République Démocratique du Congo (RDC), Félix Tshisekedi, dans lequel il accuse CAP Congo pour « destruction de kraals pour élevage gros bétail ; destruction des cultures vivrières et d’arbres fruitiers ; exploitation illégale de ressources minérales (graviers, latérite) dans certaines fermes ». Ils accusent aussi ladite société d’interdire l’accès aux sources d’eau aux communautés ; de refuser d’indemniser les fermiers victimes de destruction des cultures de sa part et des menaces à l’intégrité physique des travailleurs fermiers et agriculteurs, etc.
Après une première victoire découlant de l’annulation de l’ensemble des titres fonciers concédés à CAP Congo sur leurs terres, les fermiers et agriculteurs de Bandundu et ses environs et les communautés locales des villages du secteur Kwango-Kasaï en territoire de Bagata, envisagent désormais de porter plainte contre la société libanaise, « pour des dommages causés dans nos fermes, notamment la destruction de nos kraals et nos champs », confie Muwoko Ndolo. L’entreprise a réagi à ces accusations par le passé, arguant qu’elle est venue « développer l’agriculture dans la province de Kwilu, créer des emplois et donner la nourriture aux populations a dit Jean Bosco Mukinzi, le représentant de CAP Congo dans la province du Kwilu, joint au téléphone par Mongabay en juillet dernier. Contacté de nouveau après l’annulation, début septembre, de cette concession foncière, il a confié brièvement à Mongabay : « nos juristes sont en train de monter le dossier. Nous allons donner notre position dans quelques jours ». Et jusqu’à la publication de cet article, Mongabay n’a pas réussi à obtenir des réponses du représentant de la société libanaise pour clarifier sa position.
Il faut relever cependant que la décision de la cheffe du maroquin des Affaires foncières a été prise à titre conservatoire, puisqu’elle indique dans sa lettre au Conservateur qu’une commission interministérielle devra effectuer une mission de terrain pour « constater les faits et proposer une solution conforme aux lois de la République et dans l’intérêt des parties et des communautés locales ». Autrement dit, Me Alpha Luma, ministre provincial des Mines, Énergie et Hydrocarbures, pense que le protocole d’accord entre CAP Congo et le gouvernement provincial reste toujours valable, car, explique-t-il, par messagerie WhatsApp, « la ministre des affaires foncières a décidé d’annuler le contrat d’emphytéose qui fait l’objet des critiques jusque-là. Mais cela ne veut pas dire que ledit protocole est annulé ».
Il importe de relever que l’État congolais a adopté en 2022 une Politique foncière, qui promeut la gestion durable et non-conflictuelle des terres et la clarification des droits fonciers. La CONAREF a contribué à l’élaboration de ce document stratégique, qui intervient comme un appoint à la loi foncière congolaise, vieille de 51 ans et caduqe . Dès lors, l’harmonisation du cadre juridique de la gouvernance foncière en RDC devient une nécessité, explique Simplice Mutombo : « la loi actuelle est toujours en vigueur, mais on devrait l’améliorer en fonction de ce qu’on a mis dans la politique foncière ». Selon l’Initiative pour la forêt de l’Afrique centrale (CAFI), une initiative multi-bailleurs qui accompagne les six pays de l’Afrique Centrale dans l’atteinte des objectifs de l’Accord de Paris sur le climat et du Cadre mondial pour la biodiversité, les questions foncières sont difficiles à maitriser en RDC, en raison du décalage entre les textes de lois et l’importance des pratiques coutumières, ainsi que l’inadaptation de ces textes aux enjeux actuels.