De l’huile de palme sur la sellette en Suisse et au Nigeria

Des communautés riveraines de la concession de Okomu  manifestent contre les activités de l'entreprise le 28 janvier 2021. Crédit photo : Ajele Sunday via Mongabay
La  Liberté | 4 janvier 2025

De l’huile de palme sur la sellette en Suisse et au Nigeria

Maude Bonvin

Rita Uwaka ne quitte pas son bonnet brun et son écharpe à carreaux roses dans ce café fribourgeois. Frigorifiée mais pas résignée, l’activiste des droits humains et de l’environnement a quitté le Nigeria et ses 38 degrés à l’ombre pour la bise et la grisaille. La jeune femme, qui coordonne notamment le programme forêt et biodiversité pour l’association Les Amis de la terre en Afrique, parcourt inlassablement la Suisse.

Elle dénonce les violations des droits humains, les atteintes à la planète et les discriminations de genre commises par l’Okomu Oil Palm Company, une filiale de la multinationale Socfin qui exploite des plantations dans le sud du Nigeria. Domiciliée au Luxembourg, l’entreprise est active dans l’huile de palme et le caoutchouc. Des filiales de la société sont établies à Fribourg et une grande partie de son commerce de matières premières passe par la capitale cantonale.

Pour Rita Uwaka, il ne peut y avoir de justice à deux vitesses. «Les droits humains et la protection de l’environnement doivent être pris au sérieux par Socfin autant au Nigeria qu’à Fribourg.» Et d’appeler les autorités à agir. Socfin fait, depuis une dizaine d’années, les gros titres pour ses atteintes à la nature et aux populations locales.

Selon la loi européenne, les grands groupes doivent s’assurer que leurs activités à l’international respectent les droits humains, les libertés fondamentales, la santé, la sécurité des personnes et l’environnement. Les Suisses ont refusé en votation une telle obligation en 2020.

Responsabiliser les firmes

Rita Uwaka voit d’un bon œil toute réglementation «pour responsabiliser les multinationales», comme celle mise en place récemment par les pays de l’Union européenne (UE) contre la déforestation.

Elle se désole: «La population se bat depuis de nombreuses années pour récupérer les terres qui lui ont été prises pour développer la plantation de Socfin, ou du moins pour être indemnisée. La pollution de l’eau est également un problème majeur.»

Sur le terrain, le travail des ONG est très compliqué en raison de la forte présence des forces de sécurité à l’entrée et dans certaines parties de la plantation, qu’il est nécessaire de traverser pour se rendre auprès des communautés, selon Rita Uwaka.

«Les personnes qui dénoncent les violations commises par l’entreprise sont parfois interrogées par les services de sécurité de l’Etat et la population sur le terrain est soumise à des contrôles de sécurité qui sont rigoureux», ajoute-t-elle.

Un exemple? «En mai 2022, les habitants de la communauté de Marioba, située à proximité de la plantation de l’Okomu Oil Palm Company, ont constaté à leur réveil que la société avait creusé une profonde tranchée traversant la seule route d’accès à leurs maisons, à l’école et au lieu de culte», relate Rita Uwaka.

Selon elle, l’Okomu Oil Palm Company a demandé aux forces de sécurité de réprimer les manifestants qui protestaient pacifiquement à ce sujet. Lyabo Botu, une veuve de 67  ans, a subi de multiples fractures au genou. «La tranchée creusée par l’entreprise autour des communautés est toujours là, aux risques et périls des habitantsqui finissent par y tomber», déplore-t-elle. N’est-ce pas au G ouve r ne me nt n i gé r ia n d’agir? Pour la jeune femme, l’élite politique du pays n’a aucun intérêt à s’opposer à la multinationale Socfin car elle en tire des bénéfices et la considère comme une opportunité de croissance et de développement, même s’il existe des cas évidents de violations des droits humains. «C’est pourquoi il est important que des pays comme la Suisse prennent des mesures pour que les multinationales soient tenues responsables des activités qu’elles mènent à l’étranger», juge-t-elle.

Nouvelle initiative

La coalition pour des multinationales responsables prévoit de lancer prochainement unenouvelle initiative populaire à ce propos. Socfin vante pourtant ses bonnes actions sur place. En 2023, le budget qui a été consacré au développement durable d’Okomu Oil Palm Company, s’élevait par exemple à plus de 13 millions d’euros (plus de 12 millions de francs).

Les différents investissements concernent notamment la construction d’infrastructures générales, le secteur médical, l’éducation, la préservation de l’environnement ainsi que des projets avec les communautés. Cela ne correspond cependant pas à la situation sur le terrain, selon l’activiste, pour qui «la société n’a guère amélioré la situation ces derniers mois au Nigeria. Les violations des droits humains se poursuivent.»

DES ACCUSATIONS INFONDÉES
Enquête à la clé, Socfin réfute les critiques sur les violations des droits humains et les atteintes à l’environnement.

Interrogé, Socfin nous a envoyé un document de 7 pages détaillant sa politique de gestion durable. On peut y lire que l’entreprise applique une tolérance zéro à l’égard des violations graves des droits humains, y compris les intimidations, les menaces et les atteintes physiques. Le texte précise également que les populations autochtones peuvent refuser toute opération affectant leurs terres. La multinationale soutient respecter les droits d’accès et d’occupation des terres par les communautés indigènes.

«Les allégations d’expropriations et d’atteintesaux droits humains au Nigeria ne reflètent pas la réalité», se défend encore le groupe par écrit. Pour le prouver, il se base sur une investigation menée par l’organisation à but non lucratif Earthworm Foundation (EF). Les observationsd’EF sur place ont confirmé que les plantations respectent les droits des communautés locales et sont établies sur des terrains légalement attribués, sans déplacements forcés. «Nous tenons à rappeler que nous ne sommes pas propriétaires de nos concessions au Nigeria. Celles-ci sont louées au gouvernement», ajoute la firme.

Une enquête spécifique sur le site d’Okomu a été réalisée en novembre et décembre 2023 par EF. Les critiques concernant cette plantation ont été considérées comme «non fondées» par l’organisation, y compris celle concernant la pollution. Lors de sa visite, EF a étudié les analyses de l’eau effectuées en 2022 et 2023. Conclusion de l’organisation à but non lucratif: des contaminations négligeables ou inexistantes. Okomu, comme toutes les plantations de Socfin, fait l’objet d’études régulières menées notamment par les ministères des pays dans lesquels elle est active. Les eaux issues des processus industriels liés à la production d’huile de palme sont disposées dansdes lagunes afin d’être traitées avant d’être reversées dans les cours d’eau. Dans son rapport, EF mentionne aussi l’incident survenu en 2022 sur la plantation d’Okomu et relate le fait que des membres de communautés ont souffert de blessures dues à l’utilisation d’armes. Après investigation, l’organisation à but non lucratif parvient néanmoins à la conclusion qu’Okomu n’est pas impliqué dans ces accidents.

Les 6 et 7 mai 2024, des tirs ont eu lieu dans la même plantation. «Ils ne sont toutefois aucunement liés à des manifestations mais à des attaques violentes perpétrées par des individus non identifiés envers nos employés. Ces individus ont attaqué les installations d’Okomu, tuant 3 salariés et en blessant 4 autres», ajoute Socfin. Des mesures de sécurité renforcées ont été mises en place pour éviter la répétition de tels incidents. La multinationale souligne que les membres du personnel en charge de la sécurité au sein de la plantation ne sont pas autorisés à porter des armes à feu. MBO


DEPUIS 15 ANS À FRIBOURG

Socfin a installé ses premiers bureaux à Fribourg au début des années 2010. La multinationale a pris ses quartiers dans les locaux de l’ancienne poste.

C’est la fiscalité qui a été à l’origine de son développement en Suisse.

La gestion opérationnelle de ses plantations est assurée depuis la Cité des Zaehringen. L’huile de palme produite est destinée aux marchés asiatique et africain.

Présent dans une dizaine de pays, le groupe exploite 200 000 hectares de plantations d’huile de palme et de caoutchouc. Il emploie près de 60 000 collaborateurs pour un chiffre d’affaires annuel de plus de 860 millions de francs.

L’histoire de l’entreprise remonte à la fin du XIXe siècle et à la période de la colonisation. A l’origine de la firme, il y a le banquier belge Adrien Hallet, qui plante une première culture de palmiers au Congo. MBO

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