Pourquoi les Émiratis sont prêts à investir 10 milliards de dollars à Madagascar

Le ministre émirati des Affaires étrangères Sheikh Shakhboot Nahyan Al Nahyan, avec Andry Rajoelina.
Zinfos 974 | 18 janvier 2025

Pourquoi les Émiratis sont prêts à investir 10 milliards de dollars à Madagascar

Ecrit par Thierry Lauret

Le président malgache Andry Rajoelina s'est engagé dans un juteux partenariat avec les Émirats Arabes Unis portant dans les domaines de la surveillance maritime, de la production hydroélectrique ou de l'agriculture, pour un montant potentiel de 10 milliards de dollars. Une opportunité pour les Émiratis de sécuriser leurs avoirs dans le canal du Mozambique.

Malgré l'infinie beauté de cette île à la superficie plus grande que la France, l'ouverture le 3 septembre dernier d'une ligne aérienne opérée par la compagnie Emirates entre Dubaï et Antananarivo, via les Seychelles, ne peut s'expliquer par les seuls attraits touristiques de Madagascar, qui plafonne à 300.000 visiteurs par an.

Si les Émirats Arabes Unis ont décidé d'établir un pont aérien à l'aide d'un Boeing 777-300ER doté de 8 suites et de 42 sièges en classe affaires, c'est surtout en raison des projets économiques en cours d'ébauche entre les deux pays.

Le deal a pris forme en mai dernier lors du congrès annuel AIM (Annual Investment Meeting) d’Abu Dhabi, un sommet économique incontournable au Moyen-Orient dont le président de la République malgache Andry Rajoelina, unique chef d’État parmi les participants, était l'invité d'honneur.

En marge du sommet, Andry Rajoelina avait confirmé la signature imminente d'un accord avec le puissant Fonds d'Abu Dhabi pour le développement, ainsi que la prochaine entrée de Madagascar au sein de l'IRENA (l’Agence internationale pour les énergies renouvelables), incontournable organisation vouée au développement des énergies durables. Et, au passage, à celui des grosses entreprises dont c'est le fonds de commerce.

Le 31 mai, c'est au tour du groupe émirati ADP (Abu Dhabi Ports) d'annoncer la signature d'un mémorandum d'entente (MoU) avec Choose Madagascar visant à « booster les opportunités commerciales dans les domaines du maritime, de l’industrie et des secteurs logistiques ». Expansion et modernisation des ports, création de zones franches et développement des infrastructures de pêcherie figurent ainsi en bonne place dans le programme commun. Tout comme l'aide à la surveillance maritime de 5.000 km de linéaire de côtes malgaches.

Des Émiratis à la place des Français pour construire la centrale de Sahofika


Trois mois plus tard, juste avant le vol inaugural d'Emirates entre Dubaï et Antananarivo, le président malgache reçoit le nouvel Ambassadeur des Émirats Arabes Unis, le docteur Salim Ibrahim Bin Ahmed Mohamed Alnaqbi. « Il s'agit du premier ambassadeur du Golfe accrédité dans la Grande Île », relève alors L'Express de Madagascar, pour témoigner de l'importance de ce qui trame dans le palais présidentiel.

À cette occasion, Andry Rajoelina communique sur le premier projet qu'il souhaite valoriser : la construction par la société émiratie MASDAR de la centrale hydroélectrique de Sahofika, qui doit produire jusqu’à 192 mégawatts. Rien d'anodin lorsqu'on se souvient que le chantier, capital pour le pays, était à l'origine principalement voué aux entreprises françaises Eiffage et Eranove.

Mais les Émiratis n'entendent pas s'arrêter là et proposent d'investir jusqu'à 10 milliards de dollars dans des projets de constructions routières, de raffinerie aurifère (Madagascar pourra ainsi vendre ses propres lingots sur le marché de l'or), de production agricole (riz) ou sucrière.

Mi-octobre, c'est au tour de Mohamed Alabbar, le patron du groupe Emaar Properties, de rendre visite à Andry Rajoelina. L’Émirati pèse très lourd : son groupe est connu mondialement pour la construction de la tour du Burj Khalifa, qui symbolise la folie de Dubaï avec l'aplomb de ses 828 mètres de hauteur.

À Madagascar, on prête à Mohamed Alabbar l'intention d'implanter des structures d'hôtellerie de luxe dans l'archipel des Mitsio, un paradis pour plaisanciers situé dans le nord de la Grande Île, entre Nosy Be et Diego-Suarez, à la sortie du canal du Mozambique. Si le patron émirati a expliqué devant la presse malgache avoir bien d'autre projets de business en tête, l'installation d'Emaar Properties sur l'île de Nosy Mitsio, aux dépens des habitants, crée la polémique.

Abu Dhabi tisse sa toile

Au regard des intérêts des Emirats Arabes Unis (EAU) dans le canal du Mozambique, et des projets censés émerger de la terre rouge de Madagascar, la construction d'infrastructures hôtelières de luxe peut s'entendre comme une anticipation de solutions d'hébergement dédiées aux futurs cadres étrangers qui viendront, bientôt, travailler dans la région.

Acteurs majeurs des activités portuaires avec des sociétés comme ADP, implantée à Beira (Mozambique) et désormais pressentie à Tamatave, et surtout le géant mondial DP World, gestionnaire des ports de Maputo (Mozambique) et Daar Es Salam (Tanzanie), les EAU s'imposent en outre comme des spécialistes de la surveillance maritime.

Qu'elle soit exercée à distance via l'électronique, ou de manière plus dissuasive via des vedettes rapides, à l'image de celles fabriquées par Abu Dhabi MAR (ADM), qui figure parmi les constructeurs cités dans l'affaire dite de la dette cachée du Mozambique. Tout près de Madagascar, ADM a ces dernières années fourni des vedettes de surveillance au gouvernement comorien, dans le cadre d'accords de défense.

Très présents dans la chaîne logistique du Oil & Gas, dont l'exploitation est en plein boom dans le canal du Mozambique, les Émiratis ont récemment intégré (grâce au rachat par ADNOC des parts du Portugais Galp) le pool d'entreprises regroupées derrière l'Italien ENI afin de produire du gaz naturel liquéfié (LNG) dans la zone 4 du bassin du Rovuma (Mozambique), non loin du site de TotalEnergies.

En s'implantant sur la Grande Île sans se montrer avare de ses dollars, Abu Dhabi étend sa toile sur le sud-ouest de l'océan Indien, un vaste réservoir dont les ressources naturelles suscitent la convoitise de toutes les grandes puissances mondiales. Madagascar a beaucoup à offrir en retour. Et pas seulement du graphite ou de l'or : pour les besoins de leur populations, les pays du Golfe demeurent friands de terres agricoles fertiles, comme de régions où l'eau douce coule en abondance.

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