Joseph Rahall : rendre leur terre aux Sierra Léonais

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Joseph Rahall
CNCD-11.11.11 | 5 août 2019

Un homme, une cause
Joseph Rahall : rendre leur terre aux Sierra Léonais


Jean-François Pollet

Joseph Rahall, la tête de Green Scenery (pays vert), organisation de défense de l'environnement et des droits de l'homme, sillonne régulièrement les vingt-quatre villages de la région de Malen pour rappeler aux paysans leurs droits à la terre.

Imagine demain le monde - Dix ans de guerre ont fait basculer la Sierra Leone dans la pauvreté. Aujourd’hui, ce petit Etat situé à l’ouest de l’Afrique est victime d’accaparements de terres par des firmes étrangères. Avec l’association Green Scenery, l’agronome et journaliste Joseph Rahall se bat contre l’éviction de neuf mille paysans d’une région du sud du pays colonisée par une société luxembourgeoise.

"Aucun tribunal ne m’a condamné, insiste Joseph Rahall avec fierté. Certes, j’ai été arrêté et détenu plus d’une semaine, mais je n’ai jamais été inculpé ni traduit en justice. » La vie de ce militant engagé dans de multiples combats est tumultueuse, à l’image de celle de son pays, la Sierra Leone, qui se remet péniblement de dix années de guerre civile.

A la tête d’une organisation de défense de l’environnement et des droits de l’homme, Green Scenery (pays vert), Joseph Rahall tente d’accélérer la transition démocratique de son pays qui figure parmi les trois plus pauvres de la planète.

Avant la guerre, dans les années 90, alors jeune agronome devenu journaliste, il dénonçait l’autoritarisme du parti unique installé au pouvoir. Plus tard, durant le conflit, il réclama inlassablement justice et clémence pour tous les prisonniers, qu’ils soient issus des forces rebelles ou gouvernementales. Après guerre, il reprit la plume pour dénoncer la corruption des élites. Il y a huit ans, cet activiste s’est lancé dans un nouveau combat qui l’anime encore aujourd’hui : dénoncer les manœuvres d’une multinationale qui a évincé de leurs terres des milliers de paysans, affectant aujourd’hui directement plus de 32 000 personnes dans cinquante-deux villages du district de Pujehun au sud du pays.

Un eldorado foncier

Peuplée de quelque six millions d’habitants occupant une surface deux fois supérieure à la Belgique et composée à 75 % de terres arables bercées par un climat tropical humide, la Sierra Leone, à l’ouest de l’Afrique, fait figure d’eldorado foncier. Encouragés par une forte demande mondiale en produits agricoles, des hommes d’affaires sillonnent désormais cet Etat pacifié en quête des meilleures parcelles.

Pour lever les réticences des paysans à céder leurs terres, ces investisseurs proposent des contrats de location longue durée (50 à 100 ans), une petite indemnisation et un emploi dans les futures plantations. Et ça marche : entre 2009 et 2012, environ 1,1 million d’hectares de terre, soit 21,4 % des surfaces arables du pays, ont été cédés à des investisseurs étrangers qui ont installé de vastes plantations de canne à sucre et de palmiers à huile. « L’immense majorité des Sierra-Léonais vivent de l’agriculture, explique Joseph Rahall. Brader nos terres de cette manière, c’est condamner nos paysans à une pauvreté certaine ! »

Chefs traditionnels écartés

En 2011, il découvre l’ampleur du phénomène des accaparements, avant de mettre le doigt sur les manœuvres d’une société de droit luxembourgeois, Socfin, acronyme de Société Financière des Caoutchoucs. Contrôlée par l’entrepreneur français Vincent Bolloré et l’homme d’affaires belge Hubert Fabri, elle cherche à s’emparer de 6 500 hectares de terre dans la région de Malen dans le sud du pays.

Alors que ce contrat risque de ruiner neuf mille agriculteurs des vingt-quatre villages environnants, il est approuvé en mars 2011 par le ministère de l’Agriculture ainsi que par le chef traditionnel de la région, BVS Kebbie, et par vingt-huit autres propriétaires terriens.

« Socfin a utilisé des manœuvres incroyables pour arracher cet accord, s’insurge le militant. Ses représentants ont entassé sur une table bien en vue des liasses de billets pour convaincre les villageois que l’accord était bon. Ces pauvres gens n’avaient jamais vu autant d’argent. Des policiers en armes se tenaient également alignés sur la place, au cas où il aurait fallu mater les plus récalcitrants. Le plus fort, c’est que les chefs de village opposés à l’accord ont été démis de leurs fonctions pour être remplacés en dernière minute par des hommes plus complaisants qui ont signé l’accord sans sourciller. »

En mai 2011, deux mois seulement après l’irruption de Socfin dans la région, Joseph Rahall et Green Scenery dénoncent dans un rapport l’iniquité de l’accord, faisant écho aux critiques des communautés qui révélaient ses impacts terribles sur leurs conditions de vie.

«  J’ai tout de suite été accusé de diffamation par Socfin, ainsi que d’avoir porté atteinte à l’image de l’Etat sur la scène internationale, car j’avais alerté des organisations étrangères. Je me faisais traiter d’ennemi du progrès par ceux-là mêmes qui allaient plonger la région dans la pauvreté. »

Loin de s’émouvoir du sort des paysans, Socfin louera dans les années qui suivent deux nouveaux lots de terre, étendant son domaine sur 18 000 hectares, soit les deux tiers de la région. Plus de 12 000 ha seront plantés en monoculture de palmiers à huile tandis que les parcelles restantes demeurent indisponibles, car mal identifiées dans un cadastre.

Les incertitudes foncières et le règne des miliciens de Socfin plongent la région dans l’arbitraire. Tout devient suspect : cultiver une parcelle, circuler sur les routes, et même faire le commerce des noix de palme, alors que le palmier pousse librement sur les jachères de la région.

« Les gardiens confisquent systématiquement les paniers de noix, un aliment couramment consommé par les familles, regrette l’agronome. Il y a peu, des agents de sécurité ont détruit des installations artisanales d’extraction de l’huile. Toutes les activités traditionnelles sont progressivement anéanties. »

Les paysans spoliés se sont bien vite regroupés en une association de défense, Maloa (Malen Affected Land Owners and Land Users Association). Active et bien organisée, celle-ci interpelle le monde politique et associatif de Sierra Leone. Et parfois même, elle vise juste.

A sa demande, la Commission des droits de l’homme a diligenté une enquête dans la région et tenté une médiation en faveur des paysans. En vain : ni le chef BVS Kebbie, ni le ministère de l’Agriculture ne veulent revenir sur les accords.

Maloa entreprend alors une marche de protestation à Pujehun, la capitale provinciale. Là, c’est l’escalade. En octobre 2013, un coup de filet policier conduit six responsables de l’association en prison.

Libérés sous caution, ils seront finalement condamnés, sans preuve, à payer 35 000 dollars pour « crimes de conspiration » et « destruction de quarante plants de palmiers ». Il faudra une forte mobilisation des organisations partenaires pour réunir les fonds et faire libérer les activistes.

Les anciens paysans, employés dans les plantations de Socfin reprennent alors la contestation. La société avait promis un travail pour tous. Il n’en est rien : mille personnes seulement bénéficient d’un contrat permanent, deux mille autres besognent à la journée, une partie de l’année. Le travail est rude et comporte de nombreuses tâches à exécuter intégralement pour toucher un salaire complet. Ce qui est impossible. Alors que le salaire minimum en Sierra Leone s’élève à 50 euros par mois, les saisonniers de Socfin touchent entre 15 et 25 euros.

Grèves et intimidations

Depuis juillet 2018, les travailleurs multiplient les grèves pour se rappeler au bon souvenir du nouveau président Maada Bio, qui avait promis durant sa campagne électorale d’intervenir dans le conflit. Les travailleurs sont d’autant plus confiants que les législatives de mars 2018 ont porté l’un des leurs au Parlement, le député Shiaka Sama, ancien porte-parole de Maloa.

Mais les intimidations ne disparaissent pas pour autant. Lorsque le chef Kebbie empêche Shiaka Sama d’ouvrir une permanence dans la région, les travailleurs organisent une grande manifestation, le 21 janvier dernier. Elle sera écrasée dans le sang. Les policiers, qui tirent à balles réelles, tuent deux personnes. Dans la nuit et les jours qui suivent, des raids policiers conduisent quinze personnes en prison, dont le député.

« Ce déchaînement de violence est très nouveau, regrette Joseph Rahall. Les quinze activistes arrêtés ont fait un mois de prison avant d’être libérés sous caution, non sans porter le poids de vingt-trois chefs d’accusation. Pour l’heure, nous devons continuer à affirmer que l’agro-industrie ne permettra pas aux Sierra-Léonais de se nourrir et qu’il faut limiter les surfaces de plantation. Et dans les mois qui viennent, il faut aussi soutenir les activistes de Malen pour leur éviter la prison. Rendez-vous dans quelques années pour leur procès. »

Source : Imagine demain le monde, mai/juin 2019.

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