L’eau, bien commun accaparé par la finance

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Repoterre | 7 décembre 2021

L’eau, bien commun accaparé par la finance

par Lorène Lavocat (Reporterre)

Le 7 décembre 2020, l’eau entrait à la Bourse de Chicago, ouvrant la voie à la marchandisation de cette ressource vitale. Et surtout à la spéculation, alertent des organisations, qui prévoient des actions ce mardi.

Il y a un an, le 7 décembre 2020, l’eau entrait en Bourse à Chicago. « C’était la première fois que cette ressource vitale n’était plus seulement considérée comme une marchandise qu’on peut acheter et vendre, mais aussi et surtout comme une valeur financière sur laquelle on peut spéculer », dit à Reporterre Riccardo Petrella, économiste et ardent défenseur du droit à l’eau.

Concrètement, la Bourse de Chicago et le Nasdaq ont effectué en décembre 2020 les premières transactions de contrats à terme liés à l’eau. Or sur un marché à terme, on s’échange non pas la matière en tant que telle, mais des contrats financiers pariant sur l’évolution des prix. « Ceux qui achètent et vendent ces contrats n’attendent pas la livraison physique des marchandises, mais spéculent sur la hausse ou la baisse de ces marchandises », expliquait voici un an le journaliste Antoine Costa.

Tout a commencé en Californie. Cet État produit la moitié des fruits et des légumes des États-Unis, à grand renfort d’irrigation. Or cette région subit largement les effets du changement climatique : incendies et sécheresses à répétition. « Les fleuves s’assèchent, les réserves baissent, l’eau devient de plus en plus rare, commente M. Petrella. Mais plutôt que de contraindre par la loi les agriculteurs et les industriels à économiser l’eau, les autorités s’en sont remises au marché. » En Californie, il est ainsi possible depuis plusieurs années de détenir des titres équivalents à des permis d’utilisation d’eau. Des titres que l’on peut donc vendre et acheter. « On a vu des agriculteurs vendre au plus offrant leurs titres plutôt que d’utiliser l’eau pour produire des fruits, parce que c’était plus rentable », souligne M. Petrella. Autant dire que cette marchandisation de l’eau n’a empêché ni les sécheresses ni les pénuries.

Depuis 2018, il existe aussi un indice financier, une sorte de « cours de l’eau », nommé le Nasdaq Veles California Water Index. Il est calculé sur la base des achats d’eau réalisés la semaine précédente. Le prix est exprimé en dollars par acre-pied, un volume correspondant à 1,2 million de litres. L’indice cote actuellement à 728 dollars, contre 495 dollars l’an dernier.

« On nie l’existence d’un droit à l’eau »

Mais cela ne suffisait (toujours) pas aux investisseurs. L’an dernier, ils ont donc décidé de créer des contrats à terme sur l’eau, cotés en Bourse. Officiellement, ces instruments financiers visent à fixer à l’avance le prix des livraisons de la précieuse ressource, en Californie. Ils doivent permettre aux gros consommateurs — notamment les producteurs d’amandes — de se couvrir contre la volatilité des prix, en cas d’aléas climatiques par exemple. Mais le risque est grand de voir les fonds d’investissement spéculer sur l’or bleu. « On n’ose pas imaginer ce que produirait un mouvement de panique ou d’euphorie boursière sur une ressource vitale comme l’eau, écrivait Antoine Costa dans Mediapart. Son prix pourrait réagir de manière complètement imprévisible, sans prendre en compte son statut de ressource vitale, indépendamment des menaces réelles qui pèsent dessus. »

C’est aussi ce que craint Riccardo Petrella : « L’entrée en Bourse de l’eau signifie qu’on nie l’existence d’un droit à l’eau, résume-t-il. Le droit à l’eau — avoir accès à 50 litres par jour par personne pour vivre dignement — ne peut plus être garanti par les politiques si c’est le marché qui fixe les règles. Cela risque de générer des injustices sociales énormes ». Autre problème, pointé par Mme Paquerot : le marché se fiche bien de la crise écologique. « Du point de vue d’un investisseur, il est rationnel de vider une nappe souterraine, d’engranger le profit que ça occasionne, puis d’investir cet argent dans un autre secteur », illustre la chercheuse.

Depuis un an, nombre d’organisations se sont élevées contre cette financiarisation, au sein de l’initiative Libérons l’eau de la Bourse. « La rareté pour les uns est la richesse pour les autres, selon le dogme libéral, dénoncent-elles dans une pétition. À l’heure où 2,2 milliards de personnes n’ont toujours pas l’accès minimum vital à l’eau potable et 3,4 milliards ne disposent pas d’un assainissement de base, que fait la finance ? Elle intervient massivement pour “gouverner” la pénurie d’eau et garantir ainsi, par le biais d’un prix spéculatif, que l’eau soit disponible pour les entreprises privées qui sont de grands utilisateurs et réalisent des profits. »

« L’eau est traitée comme de l’or, du pétrole et d’autres matières premières »

Même son de cloche, à peine plus nuancé, du côté du rapporteur des Nations unies sur les droits à l’eau potable et à l’assainissement : « L’eau est déjà extrêmement menacée par une population croissante, une demande croissante et une grave pollution provenant de l’agriculture et de l’industrie minière dans le contexte de l’aggravation de l’impact du changement climatique, a déclaré Pedro Arrojo-Agudo. Je suis très préoccupé par le fait que l’eau soit désormais traitée comme de l’or, du pétrole et d’autres matières premières qui sont négociées sur le marché à terme de Wall Street. »

Face au rouleau compresseur de la financiarisation, « le seul levier, c’est le politique », soutient Sylvie Paquerot : « Les citoyens doivent faire pression sur les États pour qu’ils refusent toute privatisation ou marchandisation de l’eau », dit-elle. C’est également ce que demandent les organisations de Libérons l’eau de la Bourse, qui organisent des rassemblements partout dans le monde le mardi 7 décembre. Parmi leurs revendications, « l’interdiction immédiate des transactions financières sur l’eau », mais également l’« interdiction de la cotation en Bourse des entreprises de services d’eau ». L’objectif, considérer l’eau comme un bien commun, au niveau mondial. Les mouvements de municipalisation de l’eau et de reconnaissance de droits à la nature vont dans ce sens.

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