Casino, EDF, Suez, TotalEnergies: pourquoi la bataille mondiale entre ONG et multinationales se passe en France

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Challenges | 8 avril 2022

Casino, EDF, Suez, TotalEnergies: pourquoi la bataille mondiale entre ONG et multinationales se passe en France

Par Pierre-Henri de Menthon

INTERVIEW - Nombre d'entreprises sont poursuivies en France pour des faits commis à l'étranger et pas forcément par leurs filiales. L'avocate et ex-ministre Noëlle Lenoir explique la nouvelle donne juridique qu'impose le "devoir de vigilance".

Challenges - On assiste depuis quelques jours à une déferlante d'actions devant la justice française, concernant des multinationales. Pourquoi?

Noëlle Lenoir - Ces sociétés sont mises en causes en raison de leurs pratiques à l'étranger, car elles n'auraient pas exercé leur "devoir de vigilance". Il s'agit là d'un concept juridique récent. Une loi de 2017 vise en effet à rendre responsables les grandes entreprises des atteintes à l’environnement, aux droits sociaux et humains causées non seulement par leurs filiales, mais aussi par l’ensemble de leur chaine de valeur. La loi constitue un formidable levier pour obliger les groupes à se préoccuper de ce qui se passe dans tous les pays où ils sont implantés et où opèrent leurs fournisseurs et sous-traitants. Il doivent afficher les mesures qu’ils prennent pour s’assurer que toutes ces entités respectent l’environnement et les droits de l’homme dans le monde entier. Quand des ONG ou des syndicats, français comme étrangers, estiment que les mesures prises sont insuffisantes, ils peuvent mettre en demeure la société de changer son comportement et à défaut saisir le juge pour injonction. Ils peuvent aussi intervenir pour faire reconnaître la responsabilité civile de la société pour les agissements de ses filiales ou sous-traitants.

En quoi consistent les actions qui visent par exemple des groupes comme Casino, EDF, Suez, Mc Donald ’s, TotalEnergies ou Yves Rocher ?

Les motifs invoqués vont de l’insuffisance des mesures de lutte contre le changement climatique à l’atteinte au droit de propriété des populations autochtones affectées par des projets industriels, en passant par l’écoblanchiment, la discrimination ou encore la violation du droit à la santé ou à la sécurité des travailleurs. L’idée est d’attraire les sociétés mères ou donneuses d’ordre devant les tribunaux français et d’appliquer les protections de la législation française à des situations à l’étranger où ces protections n’existent pas. Ces situations peuvent être extrêmement diverses; le devoir de vigilance ayant récemment servi à mettre en demeure des sociétés de cesser immédiatement des activités en Russie

Sommes-nous les seuls à avoir une loi sur le devoir de vigilance?

Non, d’autres pays comme l’Allemagne et la Norvège, ont adopté en 2021 des lois sur le devoir de vigilance, mais de portée plus limitée que la loi française. En Allemagne, les ONG et les syndicats ne peuvent par exemple intervenir pour leur compte propre. Ils ne peuvent agir en justice que mandatés par une victime d’un dommage imputé au manque de vigilance de la société incriminée. Chez nous, les ONG peuvent attaquer des sociétés pour défendre la cause qu’elles représentent. Et leur "intérêt à agir" est interprété de façon extensive comme en témoigne un arrêt du 9 mars dernier de la Cour de cassation admettant le recours de Sherpa et des Amis de la Terre contre une société étrangère ayant un siège en France pour des atteintes à l’environnement en Afrique.

Qu’en est-il de la proposition de directive sur le devoir de vigilance présentée le 23 février par la Commission européenne?

Elle reprend les grandes lignes de la loi française en abaissant sensiblement le seuil d’applicabilité de loi qui de 5.000 ou 10.000 salariés dans la loi française, sera de 500 salariés pour un chiffre d’affaires de 150 millions d'euros (voire pour le textile, l’agro-alimentaire et les industries extractives, 250 salariés et 40 millions d'euros). Comme dans la loi française, les sociétés devront publier un plan de vigilance (sur internet, ndlr) auquel il est impératif d’accorder la plus grande attention: tout ce qui y est écrit est un engagement juridique qu’elles doivent pouvoir tenir. Pour le reste, les conditions de la mise en cause de leur responsabilité devant le juge judiciaire sont laissées à l’appréciation de chaque Etat membre. La proposition de directive renvoie ainsi aux Etats le soin de décider s’il faut instaurer une présomption de responsabilité à charge des sociétés, ce qui reviendrait à faire peser sur les entreprises européennes une responsabilité universelle de portée inégalée.

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