Feu nourri contre la société publique BIO

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Une plantation de palmiers à huile de l’entreprise canadienne Feronia, au Congo, en mai 2010. Photo: Belga
La Libre | 15 Juin 2022
 
Feu nourri contre la société publique BIO

■ Un ensemble d’ONG est très critique par rapport à la société belge d’investissement BIO.
■ “Cette institution fait plus de tort que de bien”, estime-t-on du côté du CNCD-11.11.11.
■ Le consortium demande une profonde réforme de l’agence.

Les attaques sont lourdes. Elles proviennent d’un large ensemble d’ONG et visent la société belge d’investissement pour les pays en développement BIO.

BIO, avez-vous dit ? Créée en 2001, l’agence a pour but de financer le secteur privé local. “L’émergence d’un secteur privé fort et durable est en effet un vecteur incontournable d’améliorations globales, significatives et durables des conditions de vie de la population locale”, explique le ministère des Affaires étrangères.

La création de cette société fait partie d’un virage entamé au début des années 2000 par bon  nombre de pays européens et qui avait pour objectif de donner des moyens beaucoup plus importants aux projets dans le Sud. “Ces agences existent dans tous les pays, explique Amaury Ghijselings, chargé de recherche et plaidoyer Souveraineté alimentaire pour le CNCD-11.11.11. Elles prennent même de plus en plus d’importance car, ces dernières années, la coopération au développement flirte souvent avec une vision néolibérale. C’est ce qu’on appelle le blending : on favorise le financement en associant des fonds publics avec des financements privés. Souvent les acteurs privés ont peur d’investir dans des projets de ce type et attendent que le secteur public le fasse avant de se lancer.” BIO, qui a un portefeuille d’investissement total sous gestion de plus de 1 milliard d’euros selon les ONG, est ainsi très rentable. “Dans la plupart de leurs projets, ils attendent un retour sur investissement de 10 %.” Bref, l’idée est de démontrer que coopération au développement et rendement économique sont compatibles.

Encore faut-il savoir de quel type de développement on parle. Selon Amaury Ghijselings, BIO a ainsi une vision de sa mission “qui n’est pas du tout en accord avec le reste des acteurs de la coopération au développement”. “Ils veulent le beurre et l’argent du beurre. Faire des bénéfices et de la coopération, c’est une vision dans l’ère du temps”, explique-t-il.

Passage par des paradis fiscaux

Rappelons que l’agence avait fait l’objet d’un véritable scandale il y a un peu plus de dix ans, lorsqu’on avait découvert qu’elle passait par des paradis fiscaux pour financer certains de ses projets. Depuis, l’institution a été réformée.

Cette nouvelle charge vient d’une étude de 300 pages commandée par le CNCD-11.11.11, la coupole flamande 11.11.11 et la Coalition contre la faim. Elle vise à “faire le point sur les réformes entreprises au sein de cette institution financière et d’évaluer son impact dans les domaines du climat et de l’agriculture”.

“On démontre par A plus B que BIO continue d’être davantage guidée par cette logique de retour sur investissement que par cette volonté d’avoir un réel impact sociétal et environnemental dans les pays du Sud, avance Amaury Ghijselings. Cet argent ne sert pas du tout le développement et les droits de l’homme. Il fait même l’inverse, BIO détricote ce que le reste des acteurs de la coopération au développement essaie de tricoter.” Dans le détail, les ONG expliquent avoir des inquiétudes par rapport à des projets financés par BIO “qui sont sources de violation des droits de l’homme”, notamment dans le domaine de l’agriculture.

Le fiasco Feronia au Congo

Et M. Ghijselings de reprendre l’emblématique cas de Feronia, une entreprise gérant des plantations de palmiers à huile sur des dizaines de milliers d’hectares, en plein cœur de la République démocratique du Congo. Accaparement de terres héritées de l’époque coloniale belge, conditions de travail problématiques, absence de consultations des communautés locales, pollution environnementale et recours à la violence par les surveillants des plantations : le constat des ONG sur la gestion de l’entreprise congolaise est accablant.

Ces dernières n’ont pas été les seules à réagir : la ministre belge de la Coopération au développement Meryame Kitir (Vooruit) considérait ainsi, début 2021, que le dossier Feronia était “problématique depuis plusieurs années” et ne correspondait pas à sa “vision de la coopération”. Il y a un peu plus d’un an, le projet prit une tournure dramatique, lorsque plusieurs personnes furent arrêtées lors d’une manifestation contre Feronia et détenues “de manière arbitraire" avec pour conséquence le décès d'un homme.

“Salles de musculation au Guatemala”

Face au scandale, l’institution belge a décidé d’arrêter sa coopération avec Feronia, qui est tombée en faillite. “BIO a accepté d’annuler une grande partie de la dette que l’entreprise avait envers elle, constate notre interlocuteur. Bref, un vrai cadeau pour le secteur privé, d’autant qu’on ne sait pas si le plan d’action environnemental et social a été respecté par le repreneur...”

L’exemple congolais ne serait qu’un parmi d’autres, d’après les ONG. “BIO est censée financer les petites et moyennes entreprises dans les pays du Sud. Mais, dans les faits, la société achète d’immenses terrains, alors qu’on sait que cela va augmenter la pression sur le foncier dans les pays du Sud et donc l’accès à la terre, déplore l’étude. Leur vision de la sécurité alimentaire est erronée. On ne développe pas avec un achat massif de terres.” Autre grief : plusieurs projets seraient voués à exporter des produits agricoles venant de pays du Sud vers l’Europe. “Quelle vision de la chaîne alimentaire a l’agence BIO ? Toutes les ONG veulent développer les filières courtes.” Amaury Ghijselings dénonce enfin des projets “n’ayant rien à voir” avec la coopération, comme “des salles de musculation au Guatemala”. “Jusqu’à il y a peu, ils finançaient encore des énergies fossiles...”

Notons que la ministre Kitir a déjà annoncé que les investissements de BIO dans l’enseignement privé, de même que les investissements dans les biocarburants de première génération, devraient être arrêtés.

Mais ce n’est pas suffisant, selon les ONG, qui appellent à une réforme urgente de BIO. “Il faut que le contrat de gestion soit revu afin que la société choisisse mieux ses projets, qu’elle nous consulte en amont, insistent les ONG. BIO vit en vase clos et on demande davantage de transparence.”

“Une dernière chance à BIO”

Le consortium veut encore donner “une chance” à l’institution financière. “Aux Pays-Bas, les ONG veulent fermer ce type d’organismes car elles estiment qu’on ne peut pas les réformer, affirme M. Ghijselings Nous, on a encore envie d’y croire. Mais si BIO est incapable de se réformer, alors on demandera qu’on n’y mette plus d’argent, car cette institution fait plus de tort que de bien.”

Le chargé de recherche reconnaît que les ONG ont besoin de grands financements. “Nous ne sommes pas opposés à subventionner une certaine forme d’industrialisation dans les pays du Sud, comme, par exemple, une usine qui transformerait des tomates locales en sauce locale pour éviter d’importer ce produit de Chine, développe-t-il. Mais soutenir des projets agro-industriels qui riment avec accaparement de terres et violation des droits humains n’a aucun sens.”

Contactée par La Libre, BIO explique que “ces notes apportent un éclairage critique sur la stratégie et les pratiques d’investissement de BIO. Elles contiennent un certain nombre d’idées, de suggestions et de recommandations intéressantes qui méritent d’être examinées et discutées”. L’institution publiera une “réponse approfondie” au rapport des ONG début juillet.

Raphaël Meulders

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