Chinois au Cameroun : une incompréhension foncière

Le Messager | Mercredi 6 janvier 2010

Cela fait maintenant trois ans que l’État camerounais a cédé 10 000 ha de terres agricoles à Sino Cam Iko, une multinationale chinoise spécialisée dans la production, la transformation et la commercialisation de produits agricoles. Son implantation s’est faite sur trois sites : deux dans le Centre (2 000 ha à Nanga-Eboko et 4 000 ha à Ndjoré) et un à l’Ouest à Santchou sur 4 000 ha).  Dès l’accord obtenu pour exploiter ces terres pendant 99 ans, les investisseurs chinois ont lancé des cultures expérimentales sur le riz, mais aussi sur le maïs et des fruits et légumes à Nanga-Eboko (170 km au nord-est de Yaoundé) et sur le manioc à Ndjoré (100 km de la capitale). Zhao, le directeur par intérim de cette société, se réjouit aujourd’hui des premiers résultats. « Ces deux zones sont propices à la culture de toutes sortes de variétés de riz, de maïs, de féculents et même de plantes maraîchères, à cause du climat, de la disponibilité de l’eau et de son sol très fertile ». L’essentiel des premières récoltes servira de semences pour les prochaines cultures. À Nanga-Eboko, une faible partie se retrouve cependant sur les marchés à un prix relativement inférieur aux mêmes produits importés.

Cette réussite agronomique, présente ou annoncée, ne suffit pas cependant à assainir le climat d’incompréhension qui règne entre Sino Cam et les habitants de la région qui l’accusent, entre autres, d’exploiter son personnel. La société emploie en permanence une dizaine de Chinois. On les voit au champ, occupés à désherber, labourer, repiquer, récolter… Quelques Camerounais, recrutés au coup par coup et payés à la journée, les assistent parfois. « Travailler pour ces gens, c’est travailler sans relâche sous le soleil, la pluie pendant huit à dix heures chaque jour pour 1 000 Fcfa », (1,5 €) se plaint un habitant de Nanga-Eboko. Moins que le SMIG fixé à 28 216 Fcfa (43 €) par mois au Cameroun.

« Interdit de toucher à la moindre papaye qui traîne, récrimine un taxi-moto qui n’a que brièvement travaillé dans cette ferme. Si vous êtes pris avec une poignée de riz dans votre sac, vous êtes conduit directement au commissariat pour vol. » Sino Cam se défend de toute exploitation. « Nous sommes encore en phase d’expérimentation et nous demandons aux ouvriers de travailler beaucoup pour gagner plus, mais ils préfèrent tricher. Ils disent eux-mêmes qu’ils sont là pour chercher de l’argent alors qu’il faut aussi penser travailler pour faire progresser l’entreprise », argumente Zhao. Un raisonnement économique qui a peu de chance de convaincre des gens qui, pour beaucoup, vivent depuis des années de la débrouille et n’ont aucun sens de l’entreprise.

Certains habitants manifestent leur opposition en boudant les produits issus de la ferme. « Je n’achète pas leur riz même s’ils le vendent un peu moins cher que le riz importé. C’est ma manière à moi de dénoncer leur présence », lance une restauratrice. D’autres critiquent la qualité du « riz chinois » qui tiendrait mal à la cuisson. Il n’empêche que tous les produits de Sino-Cam finissent par trouver preneur.

Manque de transparence

Au bout de trois ans, la présence des Chinois reste un sujet épineux à Nanga-Eboko. Son maire, Romain Roland Eto, avoue être « très embêté » chaque fois qu’il est sollicité pour en parler, « d’abord, dit-il, parce que la mairie et encore moins [mes] administrés n’ont pas été associés ou consultés avant la cession. » Et c’est là où le bât blesse. Au Cameroun, la cession des terres par l’État se fait en général sous le sceau du secret. Ce manque de transparence et d’information des populations riveraines ne peut qu’empoisonner dès le départ les relations entre elles et l’acquéreur.

L’Association citoyenne de défense des intérêts collectifs (ACDIC) va plus loin. Pour elle, ces cessions sont dangereuses et représentent une menace pour la souveraineté alimentaire du pays. « Lorsque des terres sont cédées aux nationaux d’un pays, je suis convaincu qu’ils n’importeront pas de main d’œuvre ni n’exporteront le produit de leurs récoltes. La production sera automatiquement écoulée sur le marché local. Avec les étrangers, Occidentaux, Chinois ou Indiens, nous n’avons aucune de ces garanties », dénonce Bernard Njonga, son président. L’ACDIC a organisé en juillet-août dernier des débats sur la question à Douala et Yaoundé et lancé un appel citoyen contre les cessions de terres aux étrangers.

Malgré cette opposition tous azimuts, un cadre du ministère de l’Agriculture et du développement rural, qui préfère garder l’anonymat, persiste et signe. « L’État pense à la population avant de prendre la moindre décision, assure-t-il, et l’arrivée des Chinois est une très bonne chose. Avec le temps, ceux qui se plaignent aujourd’hui s’en rendront compte. » La production de riz au Cameroun par les Chinois devrait, selon lui, contribuer à réduire les importations : 400 000 t par an pour une production locale de 50 000 t.

Reste une inconnue : le riz produit sur ces 10 000 ha restera-t-il au Cameroun ou sera-t-il massivement exporté vers la Chine comme le craignaient au départ les gens sur place ? « Nous allons vulgariser le moment venu les variétés très performantes que nous produisons dans tout le pays et même dans toute l’Afrique afin d’aider les populations locales à satisfaire leurs besoins alimentaires et augmenter leurs revenus », déclare Zhao qui promet que toute la production sera transformée ou commercialisée sur place, comme le mentionnerait le cahier des charges. Cette promesse suffira-t-elle à faire taire la méfiance des Camerounais alimentée par le manque de transparence ?

Charles Nforgang (Syfia Cameroun)
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