Le tribunal a salué « l’indépendance et l’audace de la télévision de service public en matière d’investigation » (Photo : Charles Platiau / Reuters)
Vincent Bolloré perd un nouveau procès de presse en France
Le tribunal correctionnel de Nanterre a jugé mardi que le portrait-enquête de l’industriel Vincent Bolloré diffusé en 2016 dans l’émission de France 2 Complément d’enquête n’était pas diffamatoire. Il a en conséquence relaxé la chaîne et l’auteur du reportage qui épinglait également une filiale de la société luxembourgeoise Socfin.
Tristan Waleckx « n’est pas allé sur place au Cameroun pour enquêter », mais « pour braconner une histoire qui devait illustrer sa thèse préconçue », a estimé samedi l’avocat de Vincent Bolloré au sujet du portait de l’homme d’affaires réalisé en 2016 par le journaliste français. « La reconnaissance pénale du caractère diffamatoire des propos tenus sonnerait comme un désaveu d’une forme de journalisme qui allie propos tronqués et approximations superficielles », avait-il ajouté dans un entretien à l’AFP.
Tristan Waleckx avait été mis pareillement sur le gril le 4 avril par le défenseur de l’homme d’affaires breton qui avait dénoncé un travail journalistique « à charge » lors d’une audience devant le tribunal correctionnel de Nanterre. « Tout est vrai dans ce que j’ai dit », s’était défendu le journaliste d’investigation, qui avait travaillé six mois sur cette enquête.
Du papier de cigarettes à Canal+
Dans sa décision rendue hier, le tribunal lui donne raison, estimant que dans huit passages du reportage dont les propos étaient incriminés, aucun n’était « constitutif d’une infraction ». Et dans le neuvième, qui évoquait l’éventualité de « passe-droits » octroyés au groupe Bolloré dans un appel d’offres au Cameroun, si les propos pouvaient être en soi considérés comme diffamatoires, le tribunal a néanmoins souligné « l’absence d’animosité personnelle » de l’auteur du reportage et le « sérieux de son enquête ». « L’insinuation de passe-droits peut paraître excessive » mais n’a été utilisée qu’en « plein exercice de la liberté d’expression du journaliste », ont tranché les magistrats.
Dans le reportage diffusé en 2016 par France et qui a été récompensé par le prestigieux prix Albert-Londres, le journaliste retraçait le parcours de l’homme d’affaires, de la reprise de la fabrique familiale de papier à cigarettes OCB en Bretagne à la construction de son empire, en passant par la reprise en main de Canal+ et sa présence en Afrique.
Neuf passages de 72 minutes étaient mis en cause par l’entrepreneur, ainsi que par ses sociétés Bolloré SA et Bolloré Africa Logistics, également parties civiles. Etaient notamment visés les extraits consacrés aux activités de la Socapalm, une filiale camerounaise de la multinationale luxembourgeoise Socfin qui produit de l’huile de palme. Vincent Bolloré est actionnaire à hauteur de 38,7% de Socfin, dont l’actionnaire majoritaire est l’homme d’affaires belge Hubert Fabri (50%). Des sous-traitants de cette Socapalm, pour certains présentés comme des mineurs payés à la tâche, travaillant sans vêtements de protection et logeant dans des conditions insalubres, y témoignaient face caméra.
Bolloré réclame 50 millions d’euros
Le reportage évoquait également les conditions d’attribution d’une concession portuaire de la ville camerounaise de Kribi en 2015, le journaliste posant la question d’éventuels « passe-droits » ayant profité à Vincent Bolloré.
Tristan Waleckx s’est dit mardi « très soulagé » et « hyper heureux, même s’il y avait une chance sur mille pour qu’on puisse perdre ». Le tribunal a en outre condamné les parties civiles à verser chacune 3 500 euros à France 2 et au journaliste Tristan Waleckx au titre des frais de justice.
L’avocat de Vincent Bolloré et de ses sociétés Bolloré SA et Bolloré Africa Logistics, tous trois parties civiles, n’était pour sa part pas joignable dans l’immédiat. L’affaire ne s’arrête cependant pas là puisqu’elle se poursuivra devant le tribunal de commerce de Paris, qui doit trancher le 12 juin, Vincent Bolloré réclamant parallèlement 50 millions d’euros d’indemnisation pour atteinte à ses intérêts commerciaux.
« Procédures-baillons »
Le 29 mars dernier, Socfin et Socapalm avaient déjà été déboutés par le tribunal correctionnel de Paris dans un procès en diffamation intentée par Socfin et Socapalm contre deux ONG et trois médias français. Ils étaient poursuivis pour avoir fait état en avril 2015 d’« accaparements » de terres appartenant aux riverains des plantations de palmiers à huile et d’hévéas contrôlées par Socfin. Les juges avaient alors estimé que même si les propos litigieux étaient diffamatoires, les prévenus pouvaient être relaxés au titre de la bonne foi, compte tenu notamment « de l’existence démontrée de revendications portées par certains riverains des plantations » de la Socfin et de la Socapalm. Les deux sociétés ont fait appel de ce jugement.
La vingtaine de médias et ONG actuellement poursuivis par Vincent dénoncent des « procédures-baillons » destinées à les intimider pour les faire taire.
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Le Media Presse | 5 juin 2018
Accusés de « diffamation » par Bolloré, Tristan Waleckx et France 2 ont été relaxés
par Théophile Kouamouo - Journaliste
Le verdict est tombé aujourd’hui, clair comme de l’eau de roche. Poursuivi devant le tribunal correctionnel de Nanterre par Vincent Bolloré suite à une enquête qui a déplu à l’industriel breton, Tristan Waleckx, journaliste pour l’émission « Complément d’enquête » sur France 2, a été relaxé de tous les chefs d’accusation qui lui étaient opposés. Mieux : le tribunal a salué « l’indépendance et l’audace de la télévision de service public en matière d’investigation ». Étaient visés, dans l’enquête qui a reçu le prix Albert-Londres, des passages relatifs aux activités africaines de Bolloré, et notamment l’expression « passe-droits », relative à un appel d’offres gagné au Cameroun. Si elle peut « paraître excessive », elle a été utilisée « en plein exercice de la liberté d’expression du journaliste », dont le travail témoigne de son « sérieux » et de son « absence d’animosité personnelle ».
Ce verdict judiciaire a bien entendu satisfait un grand nombre de journalistes et d’activistes militant contre la corruption.
La question des procédures-bâillon demeure toutefois entière. Le tribunal a condamné Bolloré à verser 3500 euros à France 2 et à Tristan Waleckx au titre des frais de justice. Mais cette somme ne couvre qu’incomplètement les sommes engagées dans le cadre de cette bataille judiciaire. Et des rédactions de plus petite taille que celle de France 2 sont de plus en plus susceptibles d’abandonner des enquêtes touchant des chefs d’entreprise procéduriers par peur d’engager des dépenses finalement non remboursées. Par exemple, le site indépendant Bastamag, après avoir gagné contre Bolloré, a fait amèrement ses comptes : il a dépensé 13 000 euros et n’a récupéré au tribunal que 2000 euros.