La chute d’un agro-business étatsunien accapareur de terres : faillite d’une nouvelle imposture pour exploiter l’Afrique

Le matin du 7 décembre 2023, des confettis pleuvaient sur Alan Kessler, le PDG d’African Agriculture (troisième personne, de gauche à droite), alors qu’il sonnait la cloche d’ouverture de la bourse du NASDAQ
Oakland Institute | 9 octobre 2024

La chute d’un agro-business étatsunien accapareur de terres : faillite d’une nouvelle imposture pour exploiter l’Afrique

par Andy Currier 

Le matin du 7 décembre 2023, des confettis pleuvaient sur Alan Kessler, le PDG d’African Agriculture, alors qu’il sonnait la cloche d’ouverture de la bourse du NASDAQ et que la société fêtait son entrée à la bourse de New York. La mission revendiquée de l’entreprise étatsunienne était alors de « garantir l’approvisionnement en nourriture et protéine pour le siècle à venir » tout en offrant « une valeur significative à ses actionnaires ». Pour atteindre cet objectif, elle a présenté des projets ambitieux visant à produire des aliments pour bétail destinés à l’exportation et à vendre des crédits carbone sur une superficie stupéfiante de plus de 2,9 millions d’hectares de terres en Mauritanie, au Niger et au Sénégal.

Cependant, après un peu moins d’un an, l’avenir d’African Agriculture est déjà en péril. En septembre 2024, elle a été suspendue du NASDAQ après que le cours de son action soit resté en dessous du seuil minimum de 1 $. Les piètres résultats sur le marché public sont le signe de graves problèmes financiers pour l’entreprise qui cherchait à lever 40 millions de dollars avec son entrée en bourse. Autre signe sur la santé douteuse de l’entreprise, les travailleurs agricoles au Sénégal signalent qu’ils n’ont pas été payés depuis des mois et que plusieurs directeurs, dont Kessler, ont quitté l’entreprise au cours de l’année.

La chute de l’entreprise est suivie de près par les communautés sénégalaises qui luttent depuis des années pour la restitution de leurs terres. Les opérations d’African Agriculture ont commencé au Sénégal en 2018, lorsqu’elle a acquis un bail de 25 000 hectares de terres contestées, autrefois contrôlées par une entreprise italienne, Senhuile. Les terres sont situées dans la réserve naturelle de Ndiaël – une zone humide protégée qui a été partiellement déclassée par un décret présidentiel pour le projet italien en 2012. Le décret a été justifié comme servant « l’intérêt public », pour améliorer la sécurité alimentaire et amener un développement durable, mais la réalité de ces 12 dernières années n’a été que misère et dépossession pour les communautés locales.

S’exprimant au nom du Collectif pour la Défense du Ndiaël, qui représente 37 villages et plus de 10 000 personnes au Sénégal, Elhadji Samba Sow explique que la concession foncière a eu un « impact dévastateur sur nos communautés. Elle a été accordée contre leur volonté et sans leur consentement, alors qu’elles utilisaient ces terres depuis des générations pour le bois, la nourriture, les plantes médicinales et surtout pour les pâturages, étant donné que nous sommes des agro-éleveurs dont les moyens de subsistance dépendent de l’élevage ». Le projet a également bloqué le passage le long des routes traditionnelles entre les villages et les sources d’eau tandis que les canaux d’irrigation ont causé la mort d’au moins trois enfants par noyade.

Les communautés sénégalaises ont été indignées de voir leurs terres utilisées pour cultiver des aliments pour le bétail destinés à l’exportation alors qu’elles luttent pour l’accès à l’eau et la sécurité alimentaire dans leur pays. En janvier 2024, African Agriculture a annoncé un accord d’approvisionnement pour exporter de la luzerne vers la Corée du Sud depuis sa ferme au Sénégal. L’entreprise a également détaillé ses plans pour prendre le contrôle d’une grande partie du marché de l’alimentation animale en Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis, après que les réserves d’eau du sud-ouest des États-Unis, leur source actuelle, se seront taries.

Aux investisseurs potentiels, African Agriculture s’est vantée de l’eau bon marché à laquelle elle avait accès grâce au fleuve Sénégal, « à un centième du prix de ses concurrents étrangers ». Elle a omis de mentionner que le lac de Guiers est le seul réservoir d’eau du bassin inférieur du fleuve Sénégal, fournissant une part importante de l’eau à plusieurs villes, dont la capitale, Dakar, dont la population est déjà confrontée à des difficultés majeures pour l’accès à l’eau. Les promesses de l’entreprise selon lesquelles son utilisation de l’eau n’aurait pas d’impact sur les communautés locales n’ont pas été convaincantes, car elle ne semblait pas disposer d’un certificat de conformité environnementale.

African Agriculture a d’abord ignoré la lutte des communautés sénégalaises pour récupérer leurs terres, qui dure depuis plus de dix ans, malgré une documentation abondante de l’Oakland Institute, de GRAIN et d’Action Aid. En mai 2022, le Collectif Ndiaël a écrit à l’entreprise pour exiger la restitution immédiate de ses terres ainsi qu’une remise en état et une indemnisation pour les dommages subis. Après ce plaidoyer des communautés, le prospectus boursier de l’entreprise fut mis à jour en octobre 2023 pour finalement reconnaitre ces revendications foncières, dont African Agriculture a concédé qu’elles pouvaient être « jugées valables ». Cette attention sur la légitimité des revendications foncières de l’entreprise n’a certainement pas contribué à attirer les investisseurs.

Malgré les turbulences liées à ses activités au Sénégal, African Agriculture a prévu d’étendre ses exploitations à travers le Sahel. En décembre 2022, l’entreprise a annoncé un accord en Mauritanie pour cultiver de la luzerne sur 1 600 hectares avec un potentiel d’extension à 500 000 hectares, ce qui aurait représenté la totalité des terres arables du pays. Au Niger, African Agriculture a également signé des accords pour 2,9 millions d’hectares destinés à l’agriculture et à la compensation carbone. Ces projets au Niger ignoraient les nombreuses recherches qui ont révélé que les projets de crédit carbone en Afrique étaient profondément défectueux et problématiques et qu’ils ne parvenaient pas à réduire les émissions de carbone. Plusieurs recherches ont au contraire démontré qu’ils causaient des ravages sociaux en provoquant des expulsions forcées, la perte de moyens de subsistance et de la violence – pour générer des profits pour les investisseurs. Des questions légitimes se posent quant au degré de consentement des communautés locales aux plans de l’entreprise compte tenu de l’énorme ampleur des surfaces concernées. 

L’avenir incertain d’African Agriculture porte un coup dur aux investisseurs et aux membres du conseil d’administration de l’entreprise qui cherchent à tirer profit de ces projets. La société du magnat de l’énergie et des mines d’origine roumaine Frank Timis, Global Commodities & Investments Ltd., est le principal actionnaire d’African Agriculture. Timis, qui a été impliqué dans des scandales de fraude, de corruption et accusé d’avoir trompé les investisseurs, est connu au Sénégal pour son implication dans un projet énergétique offshore impliquant des fonctionnaires du pays. Le conseil d’administration de l’entreprise comprend également deux anciens diplomates américains : Bisa Williams, l’ancien ambassadeur des États-Unis au Niger et Daphne Michelle Titus, une officielle du département d’État américain. Koch Industries – la deuxième plus grande entreprise privée américaine et faiseur de roi du parti républicain – est également investie dans l’entreprise par le biais d’une de ses filiales.

En avril 2024, Kessler a quitté African Agriculture, sautant du navire pour devenir le PDG d’une nouvelle entreprise appelée African Food Security. Cette nouvelle entreprise a pour objectif ambitieux de « révolutionner la production alimentaire en Afrique en exploitant les vastes ressources et le potentiel inexploité du continent » en cultivant du maïs sur 305 000 hectares au Cameroun et 335 000 hectares en RDC. Kessler affirme qu’il vise à obtenir plus de 875 millions de dollars pour s’étendre à l’Afrique de l’Est et opérer sur un million d’hectares de terres dans les trois à cinq prochaines années. African Food Security a déjà signé un partenariat pour un projet de capture de carbone sur 205 000 hectares au Cameroun.

Kessler prétend que les opérations d’African Food Security contribueront à atteindre les 17 objectifs de développement durable des Nations Unies et que son entreprise opèrera « en harmonie avec nos communautés ». Étant donné l’histoire d’African Agriculture au Sénégal, les communautés camerounaises ont tout lieu de se méfier des promesses de Kessler. Plus inquiétant encore, au Cameroun, l’entreprise s’est associée à la famille de Baba Danpullo, un milliardaire tristement célèbre, éleveur et propriétaire de plantations accusé d’accaparement de terres, de corruption et de répression brutale des défenseurs des droits fonciers.

Alors que des dirigeants comme Kessler peuvent rapidement tourner la page sur l’échec de leurs projets passés, les villageois sénégalais continuent de souffrir de l’accaparement de leurs terres et de la débâcle financière d’African Agriculture. Après des années de lutte pour récupérer leurs terres, certains d’entre eux n’ont eu d’autre choix que d’accepter de travailler dans la ferme d’African Agriculture. Aujourd’hui, ils sont désespérés. Un travailleur a expliqué : « Nous n’avons pas été payés depuis plus de trois mois… maintenant, nous ne pouvons pas payer les frais de scolarité de nos enfants et nos familles souffrent de la faim. Nous souffrons terriblement et certains pensent maintenant à partir en Europe pour chercher du travail. C’est notre dernier recours. »

Il est désormais clair qu’African Agriculture ne tiendra pas ses promesses de « développement » de la région. Sur son lit de mort, l’entreprise doit restituer ses terres aux communautés du Sénégal, du Niger et de Mauritanie. Les gouvernements africains doivent tirer les leçons de cette débâcle et cesser de céder leurs terres et de précieuses ressources en eau à des sociétés étrangères dirigées par les « Kessler » de ce monde, qui font des promesses extravagantes mais ne font au bout du compte que piller les communautés locales.

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