Pourquoi faut-il des gendarmes pour replanter un domaine en litige au Cameroun ?

Des villageois protestant contre la replantation de palmiers à huile sur la plantation de la Socapalm à Édéa. Image reproduite avec l’aimable autorisation de Félicité Ngo Bissou/AFRISE.Mongabay | 18 Avr 2025

Pourquoi faut-il des gendarmes pour replanter un domaine en litige au Cameroun ?

Victoria Schneider, Yannick Kenné

- Les gendarmes camerounais ont, à la fin du mois de mars, fait usage de gaz lacrymogènes pour disperser des villageois qui manifestaient contre la replantation de palmiers à huile sur des terres en litige.
- Les villageois soutiennent que les terres auraient dû leur être restituées et accusent la Socapalm de recourir à la force et à l’intimidation pour les empêcher de les récupérer.
- Socfin, société mère luxembourgeoise de la Socapalm, affirme que ce domaine n’est pas lié à un conflit foncier de longue date et que la présence des gendarmes avait pour seul objectif de dissuader toute intrusion au sein de la plantation.
- L’association locale de femmes AFRISE, soutenue par plus de 50 autres organisations, exige que la société cesse ses activités de replantation et appelle le gouvernement à enquêter sur les accusations d’accaparement de terres et d’autres abus commis par la Socapalm.

Le 25 mars dernier, une unité de la gendarmerie camerounaise a fait usage de gaz lacrymogènes pour disperser des villageois d’Apouh à Ngog. Ces derniers, s’étaient réunis pour manifester contre la replantation de palmiers à huile, par la Société camerounaise de palmeraies (Socapalm), sur des terres disputées dans le sud-ouest du Cameroun. Les villageois soutiennent que les terres auraient dû leur être restituées et protestent contre le déracinement de 6 000 jeunes plants de bananiers plantains, qu’ils avaient plantés pour revendiquer leurs droits sur ces terres.

« Socfin [la société mère de la Socapalm basée au Luxembourg] a pris une stratégie de nous menacer et de nous tabasser pour nous empêcher d’accéder nos terrains », déclare Félicité Ngo Bissou, présidente de l’Association des femmes riveraines de la Socapalm d’Édéa (AFRISE), à Mongabay, lors d’un entretien téléphonique, le 3 avril dernier. « Pour cela, ils ont alors maintenant amené une armée de guerre, ils ont gâté toutes ces bananeraies et ils sont en train de mettre les palmiers à huile partout ».

Apouh à Ngog, comme plusieurs autres villages de la région, se trouve au cœur d’un conflit foncier de longue date, qui oppose les habitants de la commune d’Édéa à la Socapalm. Selon les habitants, depuis que la Socapalm a établi la plantation en 1969, les activités de la société n’ont cessé d’empiéter sur leurs terres ancestrales, leur laissant peu d’espace pour l’agriculture, pour se loger ou pour enterrer leurs êtres chers. Les villageois affirment qu’à Apouh, la Socapalm occupe presque toutes leurs terres.

Il y a deux ans, Socapalm a commencé à retirer les palmiers vieillissants d’une parcelle contesté à Édéa et, en janvier 2025, Ngo Bissou et un groupe de femmes dirigé par AFRISE y ont planté des jeunes plants de bananiers plantains.

Ngo Bissou explique à Mongabay, que la parcelle de terre où la Socapalm a planté de nouveaux palmiers à huile, fait partie des 3 712 hectares (9 173 acres) que la société est contractuellement tenue de restituer aux villageois, en vertu d’une clause d’un contrat de bail datant de l’année 2000.

Un porte-parole de la Socfin rejette cette affirmation : selon lui, le terrain contesté à Édéa, est la propriété exclusive de la société et qu’il n’est donc pas couvert par d’éventuels amendements aux contrats de location de la Socapalm avec le gouvernement camerounais. Il a également déclaré que pour des terres louées, qui ont déjà été restituées ailleurs dans le pays, les communautés doivent s’adresser au gouvernement et non à l’entreprise pour en avoir le droit d’accès et d’usage.

Socfin a été accusée d’accaparement de terres, de violations des droits humains et d’abus sexuels dans de nombreux pays où elle exerce ses activités. En 2023, la multinationale a chargé l’organisation Earthworm Foundation d’enquêter sur les griefs des communautés au Cameroun, au Nigéria, en Sierra Leone, au Liberia et au Cambodge.

Son rapport sur la Socapalm, publié en février dernier, a confirmé les allégations de harcèlement sexuel et estime aussi que les communautés n’avaient pas récupéré les terres louées que la société avait accepté de restituer à l’État en 2020.

En réponse, la Socapalm a publié un plan d’action dans lequel elle s’engage à recueillir les griefs des communautés concernant les terres, à poursuivre les négociations avec les communautés locales et à veiller au respect des limites des plantations, qui font actuellement l’objet d’une nouvelle enquête par le ministère en charge des affaires foncières.

Dans un entretien enregistré par un journaliste indépendant local, un habitant d’Apouh, nommé Janvier Etamane a déclaré que le Sous-préfet d’Édéa, Hector Fame, le plus haut fonctionnaire du district, avait ordonné que la Socapalm et les habitants de la région parviennent à un accord avant que la société ne reprenne ses activités de replantation. « Mais, soudain, nous avons vu une myriade de soldats armés équipés de gilets pare-balles autour des employés de la Socapalm pendant qu’ils replantaient. C’est à ce moment-là que nous, les villageois, nous sommes révoltés », a expliqué Etamane.

Des images filmées par Ngo Bissou, lors des activités de replantation de la Socapalm, révèlent l’usage de gaz lacrymogènes par les gendarmes pour disperser les manifestants.

« La présence des gendarmes, le 25 mars 2025, avait pour seul objectif de dissuader toute intrusion au sein de la plantation et de permettre à nos équipes de procéder aux activités de replantation de la parcelle (il ne s’agit pas d’une extension) », écrit un porte-parole de Socfin, en réponse aux questions de Mongabay. La replantation s’est déroulée comme prévu, ajoute-t-il, « sans incident notable ».

Le porte-parole nie également que les employés de la Socapalm aient arraché les jeunes plants de bananiers plantains plantés par les villageois. « Ils n’ont pas été déracinés. Nous avons simplement poursuivi nos travaux de replantation dans la zone désignée, là où des parcelles avaient été défrichées en 2024, et là où de nouveaux arbres n’avaient pas encore été replantés. Au début des travaux, ces jeunes plants n’étaient plus visibles, car ils avaient été complètement recouverts par la culture de couverture utilisée dans le cadre de notre programme ».

Au début de l’année, Socfin avait déclaré à Mongabay que la société n’occupait plus aucun terrain disputé et que la restitution des terres rétrocédées était désormais sous la responsabilité du gouvernement camerounais. La société affirme que le domaine sur lequel les nouveaux arbres ont été replantés, à la fin du mois de mars, n’a été acquis par la Socapalm qu’à la suite d’une fusion en 2010, et qu’elle n’avait fait l’objet d’aucun litige jusqu’à très récemment.

Joint par téléphone, le Sous-préfet d’Édéa, Hector Eto Fame, déclare à Mongabay : « Si vous voulez savoir qui a mobilisé les forces de l’ordre, rapprochez-vous de la Socapalm. Ce n’est pas moi qui ai mobilisé les responsables des forces de maintien de l’ordre ».

À la suite des protestations contre les activités de replantation, AFRISE et 50 autres organisations locales et internationales ont écrit une lettre ouverte au haut fonctionnaire de la Sanaga-Maritime, où se trouve la plantation, exhortant les autorités à suspendre les activités de la Socapalm et à enquêter sur cet incident.

Ngo Bissou précise que les villageois ont décidé de rester sur le lieu de la dispute pendant que la société poursuit ses activités de replantation, sous la surveillance des gendarmes.

Cet article a été publié initialement ici en anglais le 4 avril, 2025.

Who's involved?

Whos Involved?

Carbon land deals




  • 05 May 2025 - Washington DC, US
    World Bank Land Conference 2025: Securing Land Tenure and Access for Climate Action: Moving from Awareness to Action
    07 Oct 2025 - Cape Town, South Africa
    Land, Life and Society: International conference on the road to ICARRD+20
  • Languages



    Special content



    Archives


    Latest posts