Le M.A.G. Cultures N°61 | le 29-05-2009
LAURE BOURDONCLE
Louis Bockel, département de la politique agricole de la FAO, Rome
• Peut-on recenser les pays qui louent ou achètent des terres à l’extérieur de leurs frontières ?
Les pays qui s’approvisionnent à l’extérieur de leurs frontières pour la production de leur alimentation ont une capacité limitée en terres arables. Ces pays dépendent, d’ailleurs, de plus en plus de leurs importations en matières premières agricoles. Les pays dans lesquels la production agricole est externalisée sont choisis en fonction de la proximité culturelle et géographique des pays investisseurs. La disponibilité des terres non cultivées n’est qu’un des facteurs de sélection. La stabilité politique, le respect des lois et de la gouvernance sont également pris en compte. À l’heure actuelle, les Etats où s’effectuent les plus gros investissements sont le Mozambique, le Soudan, les Philippines, l’Indonésie, l’Uruguay et des républiques d’Asie centrale. Les principaux pays investisseurs sont les pays du Golfe, les pays émergents comme la Chine et certains pays de l’OCDE comme le Japon et la Corée du Sud. Cette demande d’investissement correspond à une recherche de garantie d’approvisionnement alimentaire à prix modéré pour le pays acheteur. Dans certains cas, les communautés locales sont impliquées dans des contrats, jusqu’à devenir elles-mêmes actionnaires. • Peut-on distinguer s’il s’agit d’Etats faisant ce type d’acquisition ou plutôt des firmes privées ?Le Brésil est le principal investisseur dans les pays ACP (Afrique Caraïbes et Pacifique). En Chine et en Inde, les investisseurs sont des entreprises nationales ou des joints venture entre firmes nationales et étrangères. La plupart des investissements sont brigués par des sociétés publiques et privées, s’accordant parfois sur des arrangements de partage de portefeuille.
• N’assiste-on pas à de néocolonialisme agraire ?
À l’heure actuelle, certaines convergences voient le jour, mais sont encore à confirmer. La nouvelle vague d’investisseurs se démarque de la précédente car elle s’attache à sécuriser les droits d’accès aux terres et d’engagement dans la production alors que les autres contractualisaient des producteurs. Nous nous acheminons vers une évolution plus intense en capital avec des contrats directs conclus avec des agences gouvernementales et les terrains sont alloués grâce à une démarche administrative. Pour plusieurs de ces contrats à long terme sur les droits d’accès à des terres, les bénéfices pour le pays d’accueil se présentent sous forme d’engagement de capital structurant : des infrastructures, des industries, des ports. • En quoi la question du foncier est-elle particulièrement cruciale ?Pour le pays acheteur, cela peut conduire à une perte pour ses investissements. Le deuxième risque réside dans le fait que les petits paysans doivent affronter une perte de revenus liés aux droits fonciers et à la perte de leur propre sécurité alimentaire. Il n’y a pas de réussite sur ce type de contrat si l’on ne peut assurer que les deux parties soient gagnantes.
Olivier Combastet, Pergam Finances, société de gestion de portefeuille
Il y a 4 ans, le fonds d'investissement que dirige Olivier Combastet a investi dans des terres agricoles en Uruguay et en Argentine, estimant ces placements sous-évalués et donc rentables à court terme.
• Pourquoi avoir acheter des terres à l’étranger ?
À la tête d’une société de gestion de portefeuille, j’essaie de trouver des placements exotiques et sous-évaluées pour que mes clients puissent trouver une rentabilité dans le fonds qu’ils investissent. L’achat de terres m’est apparu comme un bon investissement dans certains pays au regard des prix pratiqués, sauf en France où les prix restent trop élevés. La croissance démographique, le changement des modes alimentaires (notamment en Asie) et la problématique du changement climatique sont un cocktail qui, à mon sens, doit participer à la fi n de la tendance déflationniste du prix des terres. La tendance de ringardisation lié à l’agricole prend fin. • Quelles sont vos acquisitions ?J’ai débuté mes achats de terres en 2005, en les étalant sur une période de deux ans jusqu’en 2007. La majorité des terres acquises se situe en Uruguay (35 000 hectares dont 40 % sont consacrés à la culture et 60 % à l’élevage) et les autres, en Argentine, soit 10 000 hectares. J’ai effectué ses achats au travers de la société argentine Campos orientales, l’un des plus gros propriétaires terriens du pays. La plus value latente est de l’ordre de 30 % en deux ans.
• La terre, toujours un bon investissement, malgré la crise ?
Les prix des matières premières ont certes chuté, mais restent 50 % au-dessus des prix de 2005. Avec la crise, les transactions ne sont pas très importantes, cependant, ce type d’actif garde beaucoup d’intérêt car le marché y est fondamentalement sain. • Que vous inspire l’exemple de Madagascar ?D’abord, c’est un Etat qui a décidé de louer des terres. Je suis choqué par le fait que les Malgaches aient besoin des Coréens pour valoriser leurs terres d’autant que Madagascar bénéficie des aides de la FAO. Il y a aussi un manque de tact de la part des Coréens. Le deal en question, n’était pas gagnant/gagnant. Bref, un contrat mal fichu. Il aurait fallu restituer aux locaux de la production et de la formation.
• N’êtes-vous pas sur le même modèle ?
D’abord, nous sommes encore libre d’acheter ou de vendre. Pour une de mes exploitations, j’ai acheté mes terres à un propriétaire de chaîne de supermarché qui ne les exploitait pas. J’ai créé de l’emploi (80 personnes de main-d’oeuvre locale) et j’ai participé, par ce biais, à restaurer l’école du village. Ces gens-là ont bien compris qu’il fallait unir nos forces : les uns apportant du travail à l’intérieur ; les autres apportant du capital venant de l’extérieur. Thierry Ruf, directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) En période de crise, l'achat de terres reste un bon investissement aux yeux des acquéreurs. • Qui dit achat de terres pour cultiver, dit besoin d’approvisionnement en eau…C’est vrai que jusqu’à présent, la question de l’eau n’a pas été abordée dans le cadre de recherches. Pourtant, elle a toute sa place dans le processus d’achats de terres. Au Maroc, des investisseurs installés sur un territoire de 200 hectares prélèvent dans les nappes, sans se soucier de leur non renouvellement. Au Mexique, aussi, de grandes entreprises ont planté des champs de tomates, abandonnés au bout de 15 ans, l’eau disponible s’étant épuisée. De cette façon, on crée des zones semi-arides. En Equateur, l’exploitation de floriculture a fini par attiser les problèmes sociaux, les personnes se rendant compte qu’elles étaient exploitées, avec en prime, des terres polluées par les herbicides, les pesticides et l’eau devenue rare. L’agrobusiness n’a pas de vision à long terme. Une fois le cycle terminé, les grosses compagnies s’en vont à la recherche de nouvelles terres. Effectivement, les capitaux sont mobiles ; pas les terres.
• Peut-on discerner une évolution dans la façon dont les terres sont acquises ou louées ?
Selon moi, l’on s’achemine vers l’octroi de territoires de plus en plus vastes. On ne se contente plus d’un territoire à l’échelle d’un cadastre mais plutôt à celle d’une vallée ou d’une contrée entière à l’intérieur desquelles, les acquéreurs disposent de l’eau comme des terres. Plus besoin dans ce cas-là, de négocier des droits d’eau comme c’était le cas auparavant sur des territoires « plus petits ».
• Pourquoi s’acheminerait-on, selon vous, vers une telle tendance ?
Avec la crise, les banques et les bailleurs de fonds préfèrent investir sur des terres qui ne coûtent pas encore trop chères, comme c’est encore le cas en Afrique. Là, on peut encore acquérir des droits à bon compte.
Pierre Roche, Directeur général de Beten International, société de services
Si les Français s'intéressent à l'achat de terres en Ukraine, très peu d'entre eux sautent le pas.
« De part mon expérience en Russie et dans les pays de l’Est depuis 1985, je conseille notamment les agriculteurs qui souhaitent s’installer en Ukraine. Depuis 2005, plus d’un millier de personnes sont venues y effectuer un voyage d’étude. À tel point que j’ai dû créer au sein de ma société d’engeenering une agence de voyage de tourisme professionnel. Ce sont avant tout des voyages de découverte que nous pouvons, par la suite, spécialiser en fonction des demandes. Nous pouvons, par exemple, aider les agriculteurs intéressés à créer leur propre société. Souvent, s’ils sont séduits par le projet, les finances ne suivent pas. Pour débuter en Ukraine, il faut compter entre un million (le minimum) et deux millions. Il existe des tracasseries administratives, différentes de celles de France. Et comme l’Ukraine est un pays récent, les lois évoluent en permanence d’où la nécessité de pouvoir se mettre à jour régulièrement. Bien qu’en 2000, l’exploitation des kolkhozes ait été privatisée, l’achat et la vente de terre est interdite aux étrangers, en raison d’un moratoire dont l’annulation est chaque année différée. En plus de toutes ces contraintes, les Français ont du mal à s’expatrier contrairement aux Allemands et aux Italiens. C’est certainement une question de culture et la crainte de la barrière de la langue. Surtout, il faut pouvoir sortir de ses schémas habituels français – l’exploitation traditionnelle – pour une dimension industrielle, soit une moyenne de 5 000 hectares à l’image des exploitations américaines et canadiennes. »