Cameroun. Socapalm, des terres agricoles louées à prix d’ami

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Rassemblement de militants, devant le siège social de Bolloré, en Île-de-France, le 6 juin 2017, afin de protester contre l’accaparement des terres. Paul Barlet/Le Pictorium/MaxPPP
L'Humanité | 6 juin 2018

Cameroun. Socapalm, des terres agricoles louées à prix d’ami

Rosa Moussaoui

La Socapalm, filiale de la société Socfin, détenue à 38,7 % par Bolloré, loue à l’État camerounais 58 063 hectares de terres agricoles pour 7,69 euros par hectare et par an.

Nouveau revers judiciaire pour Vincent Bolloré. Hier, le tribunal correctionnel de Nanterre a relaxé le journaliste Tristan Waleckx, poursuivi pour diffamation par l’homme d’affaires suite à la diffusion en 2016 d’un portrait dans l’émission « Complément d’enquête », sur France 2. Neuf passages, sur 72 minutes, étaient mis en cause par l’entrepreneur et par ses sociétés Bolloré SA et Bolloré Africa Logistics, qui réclamaient 450 000 euros de dommages et intérêts à la chaîne et à son journaliste. Parmi les extraits incriminés, ceux qui ont été tournés dans les plantations de palmiers à huile de la Socapalm, au Cameroun, ont concentré les attaques des avocats de Bolloré. Le journaliste a filmé des sous-traitants logés dans des conditions insalubres, travaillant à la tâche, sans vêtements de protection. Parmi eux, des ouvriers agricoles se présentant comme des mineurs de 16 et 14 ans, un point particulièrement contesté par les parties civiles. « On a rencontré une quinzaine de mineurs travaillant sur cette plantation », a soutenu Tristan Waleckx à la barre, appuyé par Emmanuel Elong, un témoin camerounais, responsable de la Synergie nationale des paysans et riverains du Cameroun (Synaparcam).

La Socapalm, ancienne société publique privatisée en 2000, est aujourd’hui détenue à 67 % par une holding luxembourgeoise, la Socfinaf, elle-même contrôlée à 59 % par la Socfin, une firme agro-industrielle belgo-luxembourgeoise détenue à 38,8 % par le groupe Bolloré. Par un bail emphytéotique conclu le 30 juin 2000 pour une durée de 60 ans renouvelable, l’État camerounais mettait à disposition de la Socapalm privatisée 78 529  hectares de terres agricoles. Montant du loyer annuel : 604 069 euros, soit 7,69 euros par hectare et par an. Une somme dérisoire : à titre de comparaison, le loyer des parcelles louées aux paysans camerounais oscille, autour des zones agro-industrielles, de 61 à 154 euros par hectare et par an (1).

Sur le terrain, les conflits se multiplient

Cinq ans plus tard, le 30 août 2005, les deux parties s’accordent sur un avenant au bail. La surface des terres concédées à la Socapalm est finalement réduite de 20 466 hectares. La société doit rétrocéder des terrains aux collectivités locales « pour des besoins d’urbanisation », des parcelles « inappropriés à la culture du palmier à huile (marécage, mangrove et relief accidenté) » ainsi que « des terrains contenant des infrastructures publiques (lignes électriques, chemin de fer, routes, pistes, ponts, etc.) ». Le loyer est revu à la baisse : 446 638 euros mais, par hectare et par an, il reste inchangé.

Sur le terrain, les conflits se multiplient. Le 3 juin 2013, un rapport de l’OCDE, saisie par plusieurs ONG, recense dans les plantations de la Socapalm de nombreux manquements dans les domaines de l’emploi, des relations professionnelles, en particulier la négociation collective, de la santé, de la sécurité au travail, de l’environnement. La Socapalm, constate le document, « n’a pas suffisamment pris en considération le respect des droits des populations locales riveraines », qui souffrent d’une « diminution de certains de leurs moyens de subsistance et de leur espace vital sans compensation réelle ». L’OCDE voit s’ouvrir, toutefois, « des perspectives d’amélioration des conditions de vie des travailleurs de la Socapalm et des populations riveraines des plantations », le groupe Bolloré déclarant « vouloir assumer ses responsabilités et user de son influence auprès de ses partenaires ».

Des parcelles à rétrocéder qui n’ont jamais été bornées sur le terrain

Le 5 mai 2015, changement de ton. En réponse aux mises en cause de plusieurs ONG et aux actions de riverains dénonçant l’« accaparement de terres », Socfin affirme dans un communiqué que sa filiale Socapalm a bien procédé à la rétrocession de 20 000 hectares de terres. « Il est donc totalement faux de parler d’“accaparement de terres” aujourd’hui, et toute incitation des populations à organiser des soulèvements sous le prétexte d’une “récupération de ces terres” procède de la pure manipulation », prévient la holding. Problème, les parcelles à rétrocéder n’ont jamais été bornées sur le terrain. Sous la pression des riverains, l’État du Cameroun s’est finalement saisi de l’affaire avec la création, le 20 juin 2017, d’un groupe de travail chargé de l’audit de la situation foncière et domaniale de la Socapalm. En vue de « rétablir la sérénité », ce groupe de travail a pour mission de « déterminer les limites réelles » des terres concédées à la Socapalm et de « vérifier l’effectivité du paiement de la redevance domaniale ». Ces intentions, pour l’instant, n’ont pas vraiment été suivies d’effet et la composition même de ce groupe de travail est contestée, puisqu’il n’inclut pas de représentants des communautés locales.

Sur ce dossier, Socfin et Bolloré ont engagé, depuis 2009, une vingtaine de poursuites judiciaires. Des « procédures bâillons », dénoncent RSF et les syndicats de journalistes. Tristan Waleckx, lui, est encore poursuivi au Cameroun. Le journaliste attend aussi, le 12 juin, un autre verdict. Devant le tribunal de commerce de Paris, Bolloré lui réclame 50 millions d’euros d’indemnisation pour « atteinte à (ses) intérêts commerciaux ».

(1) Samuel Nguiffo et Michelle Sonkoue Watio, « Investissements dans le secteur agro-industriel au Cameroun. Acquisitions de terres à grande échelle depuis 2005 », IIED, Londres, 2015.

La confédération paysanne occupe le vignoble de bolloré

Hier midi, plus de soixante-dix agriculteurs et agricultrices de la Confédération paysanne, venus de toute la France, dont son porte-parole national, Laurent Pinatel, ont envahi le vignoble de l’industriel Vincent Bolloré à La Croix-Valmer, dans le Var. Cette action vise, selon le syndicat agricole, à dénoncer « l’accaparement de terres par ces financiers qui, en France et dans le monde, ont fait du foncier un véritable business ». Le patron de Canal Plus avait acquis ce vignoble en 2000 dans des conditions rocambolesques. Le tribunal avait reçu pas moins de 20 offres de reprise, dont celles des patrons du Château Smith-Haut-Lafitte.
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