Monde
Le Mali et la Colombie cherchent à attirer des investisseurs locaux ou étrangers pour développer des projets agro-industriels sur d’immenses parcelles.
Des organisations locales paysannes se mobilisent contre ces programmes de cession ou de location de terres, qui empiètent parfois sur leurs propres exploitations.
En Colombie, l’Orénoque est à vendre
« Le président colombien Juan Manuel Santos l’avait dit lors de son discours d’investiture en 2010 : la Colombie a suffisamment d’eau et de terres pour devenir le nouveau grenier de l’Amérique. Il a bien l’intention de le prouver. »
Pour la politologue colombienne Paula Alvarez, Bogota ne veut rien de moins que mettre en vente son « Far East », une énorme portion de terre qui commence aux portes de la capitale, pour descendre en pente douce vers l’est et le sud jusqu’aux bassins de l’Amazone et du légendaire Orénoque.
Cet eldorado de près de 7 millions d’hectares – un huitième du territoire français – est convoité par des banquiers locaux et des investisseurs chinois, brésiliens, argentins, indiens et israéliens qui comptent y planter maïs, soja, pins et palme africaine. L’histoire rappelle celle du Cerrado, la savane brésilienne mise à profit, et désormais en danger, par les cultivateurs de soja.
Près de la moitié de sa superficie a été grignotée par les champs qui servent à cultiver de quoi alimenter le bétail européen notamment. Une situation qui menace plusieurs de ses 5 000 espèces endémiques. « La Colombie veut copier le Brésil. Notre ministre de l’agriculture a fait venir des ingénieurs brésiliens, pour apprendre aux Colombiens à fertiliser les sols acides du bassin de l’Orénoque. Les choses sont bien avancées », s’inquiète Paula Alvarez.
À moins que le pays se mobilise pour sauver sa plaine encore habitée par une poignée de cow-boys qui y font paître leurs troupeaux. Deux sénateurs d’opposition ont gagné une première manche cette année : ils ont obtenu que la Cour constitutionnelle colombienne rejette une réforme qui aurait livré aux grands investisseurs des terrains réservés aux familles paysannes.
Ils proposent maintenant de limiter par la loi l’achat de terres par des étrangers, pour éviter que des rangs de maïs et de soja ne rayent de la carte les morichales , ces oasis de palmiers habitées de milliers d’oiseaux, qui parsèment la grande plaine de l’Orénoque. « Les conséquences seraient désastreuses. Imaginez les tonnes d’engrais et de pesticides qui s’y déverseraient », lance Paula Alvarez.
La presse économique du pays s’en prend à ces « écologistes radicaux, opposés au progrès et à l’investissement ». Reste qu’aux dires d’un investisseur colombien, les Chinois prévoiraient d’apporter savoirs, machines et main-d’œuvre. « Que nous resterait-il ? », s’interroge Paula Alvarez. En Colombie, 500000 hectares de terres agricoles appartiendraient à des étrangers. Une part des terrains cultivables qui reste raisonnable, au regard de celle qu’ont cédée ses voisins : 4,5 millions d’hectares au Brésil, 13 millions au Paraguay.
Au Mali, main basse sur les terres irrigables
Les travaux ont commencé un peu avant les premières pluies, au printemps 2009. Les villageois de Kolongo, près de la ville malienne de Mopti, se rappellent très bien ces ouvriers chinois aux commandes d’engins de terrassement, creusant une énorme tranchée à travers les champs, sous le regard ébahi des paysans.
« Quand nous leur avons demandé ce qu’ils faisaient là, ils nous ont dit que les ordres venaient de la présidence et qu’ils n’avaient rien à nous dire », rapporte Bréhima Dembele, responsable d’une organisation paysanne malienne, AOPP.
En réaction, les exploitants organisent des forums de discussion, harcèlent les autorités locales, interpellent les députés. À force de faire pression, ils découvrent comment une partie des terrains qu’ils occupent a été cédée à la Libye pour cultiver du riz destiné à l’exportation. L’Office du Niger, administration publique malienne, a cédé gratuitement pour un bail de cinquante ans 100 000 hectares de terrains irrigables à Malibya, filiale du fonds souverain de la Libye, en échange de l’aménagement de ces espaces et du développement d’un canal et d’une route. Une opération légale : dans ce secteur, la terre cultivée par les paysans appartient à l’Office du Niger.
Les travaux se poursuivent malgré les interrogations des communautés locales. Le long des 40 km du canal, des maisons sont détruites. Des villageois doivent marcher des kilomètres pour rejoindre leurs champs coupés en deux par le creusement du canal. Des pasteurs n’ont plus accès à leurs pâturages habituels. « Une centaine de maraîchères de Kolongo ont été expulsées, relève le CCFD-Terre solidaire dans un rapport.
Certaines ont reçu un dédommagement qui leur permet de louer des terres très éloignées de leur village. »
Pour l’heure, le projet Malibya n’a pas d’autres conséquences. La guerre en Libye puis le changement de régime ont mis entre parenthèses les chantiers d’aménagement des 100 000 hectares de terres concédés. Le canal ? Faute de pompes, les agriculteurs ne peuvent utiliser l’eau qui y stagne au fond, et les bords sont trop accidentés pour laisser paître le bétail. « Mais le projet est loin d’être enterré, prévient Bréhima Dembele. L’Office du Niger cherche à faire revenir les investisseurs libyens. »
Les associations paysannes disent se heurter à l’intransigeance de l’Office du Niger. Cette administration continue d’arguer de son bon droit pour distribuer des titres de propriété à des acheteurs locaux ou étrangers. Les ONG relèvent au moins trois autres cessions de terres de moindre ampleur sur les bords du Niger qui se heurtent à l’hostilité des fermiers locaux.
« L’État malien a caricaturé notre position en disant que nous refusons tout investissement, estime Bréhima Dembele. Nous pensons que deux systèmes agricoles peuvent cohabiter au Mali. Les investisseurs pourraient par exemple aménager les 100 000 hectares, en exploiter la moitié pour leur propre compte et l’autre moitié resterait à l’usage des petits exploitants qui bénéficieraient des travaux d’irrigation. Nous sommes ouverts au dialogue mais personne n’est jamais venu nous voir. Dans ces affaires, nos droits sont piétinés. »
Christine Renaudat (à Bogota) et Olivier Tallès