Les gouvernements wallons et bruxellois soutiennent, en effet, "l'établissement du traité multilatéral contraignant visant à garantir le respect des droit humains par les firmes transnationales, actuellement en négociation à l'ONU". Le nouveau gouvernement flamand ne mentionne pas explicitement ce traité de l'ONU mais sa déclaration politique n'en demeure pas moins un engagement clair à réguler les entreprises à l'échelle internationale.

Cet engagement des Régions est incontestablement le résultat de la pression politique exercée par la société civile pour que les pouvoirs publics adoptent (enfin !) au niveau international des règles contraignantes pour les multinationales.

Car aussi surprenant que cela puisse paraître, il n'existe, à l'heure actuelle, aucune règle internationales obligeant les entreprises à respecter les droits humains et à préserver l'environnement. C'est pourquoi les Etats négocient depuis 2014 dans l'enceinte de l'ONU un traité contraignant visant à règlementer leurs activités.

L'urgence d'un tel traité est incontestable vu l'ampleur des violations commises. Le Rana Plaza au Bangladesh, Bophal en Inde, la pollution à grande échelle par Chevron en Equateur, le déversement d'amiante par Eternit en Inde, les accaparements de terres accompagnées de violations des droits humains par SOCFIN en Sierra Leone n'en sont que quelques exemples.

Dans l'écrasante majorité des cas, les victimes n'obtiennent pas réparation de leur préjudice devant les tribunaux, en raison de l'absence de ce cadre juridique international. En 2008, par exemple, la fuite de deux pipelines du géant pétrolier Shell provoque un véritable désastre écologique dans le delta du Niger, exposant ainsi les populations à de graves risques sanitaires et rendant l'agriculture et la pêche impossibles. Lorsque les communautés affectées tentèrent d'obtenir réparation devant les tribunaux nigérians et britanniques, la maison-mère de Shell refusa de reconnaître sa responsabilité, arguant qu'elle n'était pas responsable pour la négligence de sa filiale nigériane, qu'elle détenait pourtant à 100 % !

Ces négociations au sein de l'ONU, dont le prochain round s'ouvre ce lundi 14 octobre à Genève, constituent donc une occasion historique de mettre fin à l'impunité des multinationales, à condition que les Etats de l'Union européenne (UE), dont la Belgique, changent radicalement de cap. Jusqu'à présent, leur participation se limitait à une simple présence. Aucune proposition constructive n'était avancée de leur part. Soulignons, par ailleurs, qu'il n'existe aucune loi belge ou de norme européenne obligeant les multinationales à respecter les droits humains et l'environnement.

Cette attitude vis-à-vis du projet de traité de l'ONU contraste fortement avec le soutien énergique de l'UE et de la Belgique pour l'arbitrage international sur les investissements. Selon les propos tenus par Didier Reynders à la Chambre de représentants le 9 octobre, la Belgique s'impliquera même activement dans les négociations sur l'arbitrage qui ont lieu à Vienne en même temps que les négociations sur le traité relatif aux multinationales à Genève.

Les effets du système de l'arbitrage, inscrit dans de nombreux accords de libre-échange dont le CETA (l'accord entre l'UE et le Canada), sont pourtant délétères pour les droits humains, l'environnement et la démocratie. Cette arme de destruction légale permet aux multinationales d'attaquer directement les Etats devant des arbitres - sans passer par les tribunaux nationaux - en leur réclamant des milliards d'euros de dédommagement, dès qu'un acte des pouvoirs publics risque d'entraîner une réduction de leurs profits. Une réglementation interdisant certains pesticides, comme celle prévue dans l'Accord de gouvernement wallon, pourrait par exemple être attaquée[1]. Ce risque est loin d'être théorique. Dans une autre affaire, la Belgique est actuellement poursuivie devant un tribunal d'arbitrage relié à la Banque mondiale.

L'adoption d'un traité contraignant sur les multinationales permettrait dès lors de réduire le déséquilibre de pouvoir entre d'un côté, les peuples privés d'accès à la justice et de l'autre, les entreprises privées dont les intérêts économiques sont surprotégés par les tribunaux d'arbitrage. C'est ce qu'exigent plus de 600 000 citoyen.ne.s en Europe signataires de la pétition "Des droits pour les peuples, des règles pour les multinationales[2]". Le gouvernement fédéral belge refuse pour le moment de répondre à cet appel de la société civile. Les accords régionaux suffiront-ils à faire changer la position de Didier Reynders, encore Ministre des affaires étrangères. Si non, combien de temps encore la Belgique restera-t 'elle complice des crimes des multinationales ?
 

[1] Par exemple, la transnationale Dow AgroSciences a attaqué en 2009 le Canada sur base de l'ALENA (Accord de libre-échange nord-américain), après que les autorités québécoises aient interdit un type de pesticide particulièrement toxique.

[2] https://stopisds.org/fr