L’attractivité des terres agricoles africaines constitue t-elle un indicateur de développement ?

 

Eleveur de Nianing, Sénégal (Photo: Olivier Ramonteu, http://www.olivier-ramonteu.fr/)

 

Le Nouvel Observateur | 04.05.2010

Author: Fadel NIANG

L'Afrique est entrée de plein pied dan la globalisation. Elle a enregistré de 2004 à 2007 une croissance économique réelle de plus de 5 % par an. De 2007 à nos jours, elle a su résister à la crise économique et financière mondiale. L'Afrique, et son sous-sol riche en matières premières et en pétrole, est aujourd'hui courtisée par toutes les puissances de la planète. En témoigne les sommets rapprochés et successifs Chine-Afrique, Europe-Afrique, Inde-Afrique et Amérique latine-Afrique qui se sont tenus entre 2006 et 2009.

L’Afrique n'est plus considérée comme un "boulet" mais comme une opportunité. De ce fait, elle est devenue pour ces différents pays un enjeu et un partenaire majeur tant sur le plan économique que politique.

En conséquence à ces opérations de charme, l'accaparement des terres arables et/ou minières Africaines s'est accéléré ces dernières années, aux dépends parfois des populations locales. Depuis 2004, l'Afrique aurait cédé au moins 30 millions d'hectares à des capitaux étrangers. Cette ruée se transforme souvent en compétition mortelle entre investisseurs pour l'acquisition des meilleures terres agricoles, et l’appropriation des zones minières et pétrolières les plus productives.

Cet intérêt grandissant pour les ressources Africaines doit cependant être analysé en se référant non plus aux rapports des experts des multinationales cotées en bourse à New York, Londres ou Tokyo, mais plutôt en tenant compte des réalités de terrain qui reflètent le vécu quotidien des populations soumises à cette nouvelle donne mondiale.

Le monde industrialisé entre globalisation et récession

Si l’on se réfère au développement du commerce et des mouvements de capitaux d’avant la crise financière, il s’agissait avant tout pour les pays industrialisés de faire valoir l’idée selon laquelle l’économie internationale, bien qu’étant au croisement des circuits nationaux, était dotée d’une existence propre, possédait ses propres règles, et qu’en conséquence, il ne revenait pas aux États d’influer sur les flux du commerce mais de se laisser porter par ceux-ci et ainsi, de trouver leur place à l’intérieur de ce réseau de réseaux, pour prendre une image contemporaine, qu’est l’économie internationale.

 

C’est ce modèle de globalisation qui va inéluctablement conduire à la crise économique et financière et à la récession des années 2007-2010. La crise conduisit les spéculateurs – prédateurs à l’assaut des rivages et des terres Africaines. En effet, le marché financier étant orienté à la baisse durant cette période, des spéculateurs se sont réfugiés dans le commerce des matières premières, notamment le pétrole et les produits agricoles, amplifiant artificiellement la hausse des cours. La terre agricole est devenue une valeur refuge des marchés, un investissement à faible risque.

 

Situation en Afrique en général, et au Sénégal en particulier

Les grandes étendues fertiles Africaines sont ainsi devenues l’objet de toutes les convoitises et sont entrées dans le collimateur des fonds d’investissements et autres multinationales.

La Chine et l’Inde font figure de leaders dans l’accaparement des terres arables. Parmi les pays qui investissent le plus, on compte également l’Arabie Saoudite, l’Afrique du Sud ou encore les Emirats Arabes Unis, tous en manque de terres agricoles pour nourrir leurs propres populations. Très dépendants de l’importation alimentaire, ces Etats sous le couvert des multinationales ont décidé d’investir directement dans l’achat de terres pour se prémunir contre la hausse du prix des denrées alimentaires et garantir leur sécurité alimentaire.

Le manque d’infrastructures agricoles modernes et de devises entraîne les autorités politiques africaines à faciliter l’installation des multinationales étrangères. Cette situation est gravissime et préoccupe les associations locales et des Organisation Non Gouvernementales internationales. Ces organismes militent pour la préservation des systèmes fonciers traditionnels africains et ne cessent de sonner l’alerte.

C’est le Soudan qui a été la zone la plus convoitée par les pays du Golf et d’Asie du fait d’une part de sa situation géographique vis-à-vis de ces pays, et d’autre part de la fertilité et de l’étendue des terres pouvant être annexées.

Cependant, le scandale le plus retentissant à ce jour est l’implication de Daewoo Logistics dans une opération de ce type à Madagascar. La multinationale Sud-Coréenne devait s’accaparer un peu plus d’un million d’hectares (soit un peu plus de la moitié des terres agricoles de la grande île…), pour la culture du maïs et la production d’huile de palme pendant 99 ans. En échange de cette opération, Daewoo avait mis sur la balance la construction d’infrastructures et la création d’emplois.

Au Sénégal, différentes sources indiquent que des investisseurs privés saoudiens et qataris, de même que le Fonds d’Abu Dhabi pour le développement, ont exploré les possibilités d'acquérir des terres pour produire des denrées alimentaires, telles que le blé, l’orge, le riz, le soja, pour l'Arabie saoudite.

Avec le lancement de différents programmes de redynamisation de l’agriculture au Sénégal autour du plan REVA (retour vers l’Agriculture) et de la GOANA (Grande Offensive pour l’Agriculture, la Nourriture et l’Abondance) de nombreux privés et responsables politiques sénégalais ont profité du système pour s’approprier des terres dans des perspectives purement spéculatives. Une bonne partie de ces terres a été par la suite mise à la disposition de privés étrangers pour y cultiver des produits essentiellement destinés à l’exportation.

Cette situation conduit malheureusement à un résultat totalement opposé à celui escompté lors du lancement de ces deux opérations de grande envergure. Car le REVA devait permettre de résoudre le problème du chômage, de l’exode rural et de l’émigration clandestine des jeunes sénégalais, tandis la GOANA avait pour objectif de poser les premiers jalons d’une large politique d’autosuffisance alimentaire.

Et les populations locales et leurs droits dans tout cela ?

Si l’on se restreint à l’Afrique de l’Ouest, le secteur agricole et l’ensemble des activités rurales emploient la majorité des personnes actives (60 à 65%). La proportion de la population ouest africaine vivant en milieu rural, varie d'environ 41,7% au Cap-Vert (pays le plus urbanisé) à 82,6% au Burkina Faso. Le secteur agricole reste une composante essentielle des économies et il contribue globalement pour environ 30% à la formation du PIB, contre 28% et 42% respectivement pour l’industrie et les services. Cette contribution à la formation du PIB varie selon le PNUD de 17,4% au Sénégal à 62,4% en Guinée-Bissau.

 

Le phénomène d’achat et de location des terres africaines se développe donc à un moment où la question des investissements pour relancer l’agriculture se pose avec insistance. Il est donc nécessaire de mettre en garde contre ces investissements provenant de spéculateurs qui seraient très peu soucieux de la protection des populations locales contre d’éventuelles crises alimentaires.

 

Le second problème posé par l’exploitation des terres agricoles en Afrique par d’autres pays et par les multinationales étrangères c’est le droit à la propriété foncière. Dans plusieurs pays du continent, les législations autour de ce droit sont floues. Cela nécessite la définition d’une politique foncière harmonisée pour le continent, centrée sur la sécurisation foncière pour les populations, tel que préconisé par Monsieur Tidiane Ngaido, chercheur à l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires – IFPRI.

 

Le dernier problème se situe au niveau des efforts qui ont été déployés ces dernières années pour produire des denrées alimentaires destinées aux marchés extérieurs plutôt qu’aux marchés intérieurs. De ce fait, les acquisitions de terres pour produire des denrées alimentaires destinées à l’exportation ne font qu’aggraver la situation de sécurité alimentaire des populations locales.

 

Le régime sénégalais actuel se réjouit d’avoir rendu des sénégalais milliardaires grâce au libéralisme social dont il se réclame. Cependant, il faut se rendre à l’évidence que les heureux élus, peu nombreux, ne pourront compenser les innombrables paysans chassés de leurs terres et qui viennent grossir les rangs des sinistrés des quartiers spontanés de la banlieue dakaroise, lesquels quartiers se retrouvent sous les eaux durant chaque saison des pluies.

 

Conclusions et orientations

La maîtrise de la crise économique ainsi que la baisse des prix des matières premières et des prix des produits agricoles ont ralenti le processus d’accaparement des terres africaines, ce qui devrait permettre aux responsables africains de se rendre compte de la situation et de la reprendre en main pour rectifier le tir.

En réalité, si aucune décision n’est prise afin de réguler la situation, cette course effrénée vers les terres arables risque de se transformer en catastrophe humaine.

En effet, comme l’explique Jeanne Zoundjihékpon, professeur à la Faculté des sciences agronomiques de l'Université d'Abomey-Calavi au Bénin, l’accaparement des terres arables a de nombreuses conséquences néfastes sur les populations. «La terre est à la base de la vie sociale en Afrique. Si les paysans vendent leur terre, ce sont toutes les valeurs traditionnelles qui se perdent, tout le tissu social qui se déchire. Mais pas seulement, la sécurité alimentaire est aussi menacée. Les petits paysans dépendront de ce que les nouveaux exploitants produiront et des prix qui leur seront imposés. Les denrées alimentaires seront d’autant plus chères si la production agricole est destinée à la fabrication de biocarburants. Enfin, les monocultures pratiquées sur des surfaces importantes mettent directement en danger la biodiversité locale».

En définitive la relation entre l'Afrique et tous les autres pays qui la courtisent doit se structurer autour d'un agenda global, au-delà de l'aide au développement classique ou de la spéculation foncière agricole ou minière, liée aux conjonctures.

Il convient de moderniser les politiques de développement en Afrique. Les aides et les investissements doivent avant tout servir à stimuler la croissance économique nécessaire à la lutte contre la pauvreté.

En réalité, c'est souvent le manque de transparence des contrats négociés directement entre les Etats africains et les investisseurs étrangers qui est problématique. Ces contrats ne constituent pas des opportunités pour les populations car ils ne permettent ni un réel développement rural ni une diversification des sources de revenus pour les paysans dépossédés de leur terre. C’est pourquoi faudrait il chercher à faire adopter un code de conduite international qui permettrait de mieux réguler les accords et protégerait les populations locales et les agriculteurs.

Les pays Africains ont tout intérêt à innover et à s’inspirer des modèles qui combinent une vision nationale du développement économique équitable, claire et à long terme, combinée à une bonne gouvernance et à des financements au développement importants, bien ciblés et organisés.

Groupe de Fadel Niang  Latif Aidara  Soudou Diagne Pape Ndiaye
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