Invasion foncière : L’Afrique expropriée de ses terres

Quotidien Mutations | 5 Oct 2010

L’Afrique, continent le plus pauvre, fait l’objet depuis quelques temps d’appropriations de ses terres à grande échelle. Le phénomène, loin d’être charitable, prend en otage les surfaces agricoles rurales, socle de la production alimentaire des campagnes, au profit de grandes surfaces de cultures dédiées à la production de biocarburants ou de cultures permettant, à certains Etats, d’assurer la sécurité alimentaire de leurs concitoyens.

Dans la plupart des contrats et accords de coopération signés ces derniers temps entre Etats africains et pays émergents, développés ou industrialisés, un paragraphe est réservé à l’agriculture. La Chine, la Turquie, le Brésil, les dragons d’Asie, les pays de l’Union européenne ou encore les multinationales, s’activent pour la conquête à grande échelle des terres à travers le continent. En février 2007, par exemple, lors de la visite au Cameroun du président de la république de Chine, Hu Jintao, un accord fut conclu portant sur le développement de la culture du riz dans la localité de Nanga Eboko (département de la Haute Sanaga) et dans le Nord-Ouest, sur une superficie totale de 10.000 hectares. Le président turc, Abdullah Gül et son homologue camerounais, Paul Biya, conclurent également plus tard des accords de coopération agricole.

Il en est de même du président de l’Assemblée consultative populaire de Chine, qui signa lui aussi des accords portant sur l’agriculture.

Si le phénomène n’est pas encore développé au Cameroun, plusieurs pays africains subissent les assauts de cette course effrénée à la terre que se livrent Asiatiques et Européens en Afrique. Ainsi, d’après les experts du Centre technique de coopération agricole et rural (Cta), réunis à Yaoundé du 27 au 28 septembre dernier avec les experts de la Ceeac, de l’Union européenne, de l’Agence française de développement et du Propac, dans le cadre de l’acquisition des terres en Afrique centrale, 120 organisations comprenant des multinationales de l’agroalimentaire et de la finance à l’instar de la banque Goldman Sachs, s’organisent actuellement pour l’achat d’immenses superficies de terres dans plus de 100 pays.

Invasion

Selon le Centre d’études et de prospective (Cep) du ministère de français de l’Alimentation, 20 millions d’hectares de terres sont concernées par le phénomène. 450.000 hectares sont aux mains d’investisseurs étrangers au Ghana, 803.000 à Madagascar, 160.000 au Mali ou encore 600.000 en Ethiopie. Les chiffres au Cameroun ne sont pas encore officiels.

Qu’est-ce qui fait autant courir les barons de la finance et de l’agroalimentaire en Afrique ? «La nature a horreur du vide, c’est pour cette raison que les autres viennent en masse en vue d’assurer la production pour leurs citoyens et protéger leur environnement en cultivant des plantes qui produisent des agro carburants», explique Roger Essame Etua, ingénieur agronome et coordonnateur de l’Ong camerounaise Sos vert. Pour le sénateur gabonais Ernest Ndassikoula, l’invasion des terres du continent est liée au contexte actuel : «L’Afrique devient un pôle d’attraction important à travers ses potentialités économiques. Parmi celles-ci, la terre représente un intérêt vital et elle suscite donc, de façon légitime auprès des investisseurs, un engouement.»

Cet engouement, selon André Tioro, secrétaire général de l’association Roppa au Burkina Faso, a entraîné la razzia de 700.000 hectares de terres au Mali, et de 100.000 hectares au Niger par la Libye avec rasement de cimetières. «Ce qui entame l’intégrité et la dignité des populations qui, non seulement ne peuvent plus accéder à la terre de leurs villages pour cultiver et nourrir leurs populations, mais sont blessées dans leur amour propre», indique-t-il. La course à l’accaparement des terres en Afrique n’est pas sans susciter des mécontentements. A Madagascar, la société coréenne Daewoo avait essuyé une vive opposition, de la part de populations, après avoir reçu de l’Etat d’importantes superficies de terre. Les populations n’ayant pas perçu leur intérêt dans ce projet, dénoncèrent le manque de transparence et contraignirent le groupe à quitter le territoire.

«Il y a une menace forte sur les terres du continent. Il faut savoir que la terre est le principal facteur de production en Afrique ; c’est aussi un facteur de conflits venant de l’extérieur et de l’intérieur, notamment entre élites et paysans. Il y a une question de gouvernance de la terre qui demande qu’on assure la protection des faibles contre les plus forts, qui accaparent toutes les terres. Il faut donc conjurer cette menace qui vient et qui risque d’ébranler la stabilité de nos Etats», prévient André Marie Afouba, président du Canadel. «Les investisseurs étrangers profitent pour accaparer nos terres au moment où les accords de partenariat économique (Ape) sont en négociation, souligne Césarie Kantarama, responsable de la fédération des agriculteurs d’Afrique de l’Est. Même si un Africain a beaucoup d’argent, il ne peut pas d’acheter de terres en Europe.»

La menace d’invasion qui plane sur les terres du continent était prévisible, suivant le schéma tracé par les plans d’ajustement structurel imposés par la Banque mondiale, selon un producteur tchadien. «On a interdit aux Etats d’investir dans les secteurs productifs, et donc dans l’agriculture. Avec cette option, les Etats ont abandonné d’immenses étendues de terres qui auraient pu servir au développement agricole, à asseoir la souveraineté et la sécurité alimentaires des pays, et participer à la rentabilité de nos terres», explique Kolyang Palebele, président d’une Ong paysanne tchadienne. D’après lui, «si les Etats n’avaient pas accepté cette situation, on en serait pas là. Ces investissements constituent d’énormes menaces pour nos enfants qui, à terme, n’auront plus où construire ou encore où cultiver».

Si les firmes occidentales exhibent des aspects positifs tels que la création d’emplois, le transfert de technologie ou encore la réalisation d’infrastructures, il y a cependant des points qui impactent négativement la vie des populations. D’après une étude de l’Afd et du groupe interministériel français sur la sécurité alimentaire, l’on assiste en effet «au recul de l’agriculture familiale, l’exode rural, le mépris des droits de propriété et d’usage du foncier, la mise en danger des couches fragiles, la dégradation de la sécurité alimentaire, la destruction d’écosystème, la déforestation, les difficultés d’installation des agriculteurs nationaux, surexploitation des ressources en eau». Toute chose qui aboutit, selon l’étude, à des troubles sociaux et politiques au niveau local, voire national.

Anticiper sur les réductions de quantités de matières premières sur le marché international, approvisionner les Etats d’Europe et d’Asie en ressources naturelles, limiter les risques associés aux fluctuations des prix sur les places internationales constituent, selon une étude du Cep, les mobiles de cette conquête que certains justifient par la recherche de partenaires pouvant permettre la création de richesse dans les pays africains. Si la menace extérieure est la plus visible, il en existe cependant une autre, plus violente, à l’intérieur des pays et qui vient des élites. «On a des villages qui sont devenus la propriété des individus, qui achètent à tour de bras des milliers d’hectares de terres dans les campagnes», indique un ingénieur agronome. Un phénomène qui a créé, au Zimbabwe et en Afrique du Sud, le courroux de populations noires privées de terres arables, pendant que 90% des surfaces cultivables étaient aux mains de fermiers Blancs.

Une enquête de Pierre Célestin Atangana

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Riposte : Comment protéger sa parcelle

Le continent envisage de contrôler les acquisitions, face à la menace d’invasion qui plane sur son patrimoine foncier.

En novembre prochain, s’ouvre dans la ville de Syrte, en Libye, le sommet des chefs d’Etat de l’Union africaine. Les travaux de ce conclave baliseront les perspectives de la gestion foncière en Afrique. Quelques semaines plus tôt, les ministres africains en charge de l’Agriculture se réuniront à Lilongwe, au Malawi, pour préparer les textes devant encadrer et contrôler l’accaparement des terres à grande échelle sur le continent ainsi que les moyens à mettre en œuvre pour faire appliquer ou toiletter les différentes réglementations foncières des pays. «Au vu des nouvelles opportunités qui s’offrent à l’Afrique en terme de biocarburants et d’investisseurs, nous devons arriver à capter des investissements directs étrangers.

On ne doit plus accepter les dessous de table, pour ne pas être floué», explique Patrice Mezui de la Ceeac.

Ainsi, pour prévenir et éviter des marchandages par le bas, les concertations entre les experts sont nécessaires même si, comme le souligne Isolina Boto du Cta, il est difficile de parvenir à des politiques foncières communes en Afrique. Si les uns et les autres reconnaissent que la transformation des ressources naturelles en valeur ajoutée et la rentabilité des terres passent par l’apport d’investisseurs étrangers, il est question de privilégier les échanges fructueux entre le Nord et le Sud. «Les Européens et les Asiatiques ont besoin d’espaces pour produire les agro carburants. Nous devons donc nous préparer à recevoir ce tout-venant, qui va nous envahir», indique Ernest Ndassikoula, sénateur gabonais.

Danger

Cette préparation consiste aussi à donner, aux textes existants, un champ d’application qui assure une protection aux terres du continent. «Il faut qu’on en arrive à la mise sur pied d’une taxe foncière internationale qui dissuade les acquisitions à grande échelle de terres qui négligent les intérêts des communautés», suggère un expert de l’Afd. Pour les ingénieurs agronomes, la rentabilité des terres n’est possible qu’avec la mise sur pied de politiques agricoles agressives et la reconversion, dans ce domaine, de la main d’œuvre qui souffre du manque de qualification professionnelle. «On ne peut pas faire une république de paysans ; on ne peut plus compter sur la petite agriculture à la houe, qui rend la production alimentaire déficitaire de 80%. Ce qui représente un grave danger pour la sécurité et la souveraineté alimentaires de notre pays et de plusieurs autres», lance Roger Essame Etua.

Pour lui, seule l’utilisation rationnelle des agronomes, confinés aujourd’hui dans la bureaucratie, pourrait permettre une gestion efficace des terres et de ses potentialités. «Il y a un peu plus de 20 ans, quand on formait 50 ingénieurs agronomes au Cameroun, la Côte d’Ivoire en formait 18. Là-bas, 8 étaient engagés dans la fonction publique pendant que 10 étaient installés à leur propre compte, par les soins de l’Etat à concurrence de 100 millions de francs Cfa chacun. Aujourd’hui en Côte d’Ivoire, on a des ingénieurs agronomes propriétaires de plantations de palmier à huile, d’ananas de 560 hectares où on assure la transformation des produits», précise M. Essame Etua.

Au chapitre de la réglementation foncière, les experts indiquent, pour le cas du Cameroun, que l’on dispose d’une batterie de textes performants. «Le problème, c’est la non application des textes, là où ils existent, ou leur obsolescence, ailleurs. Il y a des pays où la terre reste la propriété exclusive de l’Etat, qui en jouit à sa guise sans prendre en compte les intérêts des populations», déplore Isolina Boto. Du côté de la Ceeac, l’on pense qu’il faut promouvoir les projets locaux en mobilisant des ressources propres. «Il faut que les uns et les autres sachent qu’on n’est pas contre l’implantation des investisseurs en Afrique. Mais nous voulons le développement des infrastructures, une distribution des ressources qui tende vers l’équité, la promotion de partenariats gagnant-gagnant. C’est le sens de notre lutte», argumente Patrice Mezui.

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