La guerre des terres arables aura-t-elle lieu ?

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Marianne | Mercredi 17 Novembre 2010

Régis Soubrouillard

Depuis la crise alimentaire de 2008, l'achat ou la location de terres arables sont devenus la priorité de nombreux pays qui souhaitent assurer leur sécurité alimentaire. En un an, le nombre d’hectares loués a décuplé, selon la Banque mondiale. Une fuite en avant qui n'ira pas sans poser problème à l'avenir. Certains experts évoquent déjà une colonisation par les terres arables et défendent le concept de souveraineté alimentaire.

Actif de plus en plus convoité, élément stratégique pour les pays soucieux d’assurer leur sécurité alimentaire, l’hectare de terre arable tend à devenir un bien précieux. Depuis la forte hausse des matières premières agricoles qui a provoqué les émeutes de la faim en 2008, le rachat des terres arables est devenu la priorité de nombreux pays pour assurer leur autosuffisance alimentaire. Selon le rapport de la Banque mondiale intitulé Rising Global Interest in Farmland : Can it yield sustainable and equitable benefits ? (L’intérêt croissant pour les terres agricoles dans le monde peut-il générer des bénéfices équitables à long terme ?) 45 millions d’hectares ont fait l’objet de transactions en 2009 contre 4 millions entre 1998 et 2008.

Un tableau inquiétant de cette ruée vers la terre. La Chine frôle la ligne rouge et manque de terres cultivables. Avec 10 % de surfaces agricoles exploitables, le pays doit nourrir 22 % de la population mondiale. Les Chinois, mais aussi les Russes, les Brésiliens, le Japon, la Corée du Sud, mais aussi de nombreux pays du proche-Orient se sont donc lancés dans une vaste conquête des terres cultivables. Une véritable course au foncier que se livrent multinationales et fonds souverains.  Parmi les clients favoris, en Afrique, l’Ethiopie, le Soudan et le Mozambique sont les pays qui vendent le plus, En Asie, les trois plus gros acquéreurs sont l’Indonésie, les Philippines et l’Australie. Plus récemment, les Chinois sont allés tâter le terrain canadien dont les terres sont parmi les moins onéreuses des pays industrialisés (en moyenne 10 fois inférieur aux autres pays occidentaux).

Chercheuse analyste en relations internationales, Viriginie Raisson revient sur  « Le grand monopoly des terres arables » dans un ouvrage très documenté baptisé 2033, l’atlas des futurs du Monde. Surpopulation, crise alimentaire, pénurie de pétrole, guerres de l’eau, comme son nom l’indique, cet atlas du futur revient entres autres sujets, sur « la nouvelle équation alimentaire ». Seulement 1,4 des 4,3 milliards d’hectares cultivables des terres cultivables de la planète est aujourd’hui cultivé. La Russie, l’Ukraine, l’Argentine disposent d’importantes réserves. Le Brésil et l’Indonésie gagnent chaque jour un peu plus sur la forêt. Et même le réchauffement climatique apporte sa pierre à l’édifice en libérant au Canada et en Sibérie des territoires jusque là trop froids pour être exploités. Largement suffisant pour nourrir plusieurs centaines de millions d’êtres humains : « pour être exploitables, bon nombre de ces terres exigeraient de réaliser d’importants aménagements, le plus souvent trop coûteux pour être accessibles. Bien plus que par l’extension des terres cultivables, c’est donc surtout par l’amélioration des rendements à l’hectare qu’on pourra accroître la production alimentaire mondiale » pondère Virginie Raisson.

Vers la souveraineté alimentaire...

Si, en théorie, l’agriculture dispose encore de grands espaces pour se développer, en réalité les volumes de terres exploitables sont très inégaux selon les continents et les « meilleures terres sont déjà largement exploitées ». De quoi limiter largement la perspective de réaliser des gains de productions importants.  Une équation bien moins simple à résoudre qu’il n’y paraît.  D’autant que s’il procède d’une logique agricole, l’essor de ce marché international de terres arables répond également à la recherche de placements rémunérateurs par des fonds spéculatifs. Un mouvement de spéculation sans précédent au point que certains experts du sujet utilisent l’expression de « colonisation par l’achat de terres arables ».

De quoi envisager le pire si ces transactions se multiplient. Virginie Raisson n’exclut ainsi pas que dans les continents vendeurs les plus touchés que sont aujourd’hui l’Afrique, l’Asie et l’Amérique Latine,  la perte de souveraineté agricole au profit d’acquéreurs étrangers et privés suscite des troubles sociaux ou « une hostilité croissante de la population à l’égard de ce type d’investissements ».

Car l’impact de ces investissements massifs sur le niveau de vie des populations locales n’est pas démontré. Contesté même. Plusieurs acteurs, ONG notamment, dénoncent cet accaparement prédateur de terres et défendent le concept de souveraineté alimentaire, faisant des populations locales l’acteur principal de toute décision liée à l’exploitation agricole de leurs terres.

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