Djigo Moussa, à propos de la mise a disposition de terres au profit d’investisseurs saoudiens : « C’est la mort programmée de l’élevage local… »

Medium_djigomoussa
"Le contrat-bail que l’Etat a fait ou fera avec les investisseurs est tout sauf lisible"
Quotidien de Nouakchott | Mardi, 14 Juin 2011

Djigo Moussa, à propos de la mise a disposition de terres au profit d’investisseurs saoudiens : « C’est la mort programmée de l’élevage local… »

Djigo Moussa est président du comité de suivi des affaires foncières, une structure mise en place par les représentants de 60 villages de la Moughata’a de Boghé pour produire un document par lequel, les populations feront valoir leurs droits sur les terres du Brakna mises à disposition d’investisseurs saoudiens par les autorités mauritaniennes.

M. Djigo est un ancien cadre de la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS) où il occupa pendant de longues années le poste de chef de service de travail et migrants. Depuis 2002 après avoir démissionné de cette boîte, il travaille à la mairie de Boghé comme responsable du service technique de la commune. Il a accepté de répondre à nos questions.

Le Quotidien de Nouakchott : Le gouvernement Mauritanien vient de rendre publique un avis par lequel, il annonce son intention de mettre une importante superficie de terrains à usage agricole situées dans la Wilaya du Brakna à la disposition d’investisseurs saoudiens. En tant que citoyen président du comité de suivi des affaires foncières mis en place par les représentants de 60 villages qui s’opposent à ce projet, et un citoyen Mauritanien tout court, qu’en pensez vous ?

Djigo Moussa : La crise alimentaire mondiale de ces dernières années, l’accentuation du réchauffement climatique et ses effets notamment la raréfaction de l’eau (surtout dans les pays de la péninsule arabique), la recherches de solutions alternatives par les biocarburants, constituent aujourd’hui un leitmotiv pour les dirigeants des pays riches et/ou émergeants. Ces pays se projettent déjà dans l’avenir pendant que nos dirigeants paradent dans l’insouciance pour ne pas dire l’inconscience. Les tentatives de résolution de ces problèmes et leurs effets politiques, sociaux et économiques, empreintes des voies inattendues, insolites voire perverses. Les voies forcent les portes des pays pauvres de la planète, en particulier les portes des pays africains. Mais de tous les pays pauvres, les pays les plus facilement forcées-avec désinvolture- sont des pays où la démocratie est encore un habit. Il est surprenant après plus de cinquante ans d’indépendance que les administrations compétentes de l’Etat, ne sachent pas la nature de zone de grand pastoralisme de cette partie qu’ils projettent de concéder aux Saoudiens.

Voilà qu’après 50 ans d’indépendance que l’Etat Mauritanien reste encore à faire. Jusqu’ici, les intérêts des affairistes viennent avant ceux, fondamentaux, essentiels, communs, du peuple Mauritanien dans ses différentes composantes. Voilà, des investisseurs qui veulent se libérer de leur dépendance alimentaire avec l’aide de nos dirigeants et nous laisser nous, les citoyens, continuer à dépendre des importations, dans un contexte mondial de rareté chaque jour plus importante, des produits alimentaires.

Voilà des investisseurs qui cherchent à se faire concéder nos terres pour les biocarburants alors que nos populations continuent à végéter dans la misère et mourir de faim pendant que nos populations restent encore soutenues, à bras le corps, par les organisations internationales.
Voilà des investisseurs qui viennent chez nous pour préserver et économiser leurs réserves d’eau et utiliser les nôtres pendant que nos populations vivent dans l’eau et ne savent qu’en faire. Le Crédit Agricole leur étant totalement fermé mais ouvert exclusivement aux parasites du pouvoir.

Le contrat-bail que l’Etat a fait ou fera avec les investisseurs est tout sauf lisible ; un contrat lisible devrait être connu de l’administration, des élus (députés et sénateurs) et la ou les contreparties devraient être connues, les retombées prévues précisées. Tout porte à croire que c’est un projet conçu entre l’Etat Mauritanien et des affairistes nationaux d’une part et les investisseurs Saoudiens d’autre part. Dans ces conditions, il y’aura un contrat officiel insignifiant du point de vue des avantages pour le pays et un contrat de l’ombre qui sera de loin le plus important et par lequel des comptes à étranger des hommes du pouvoir et de leurs lieutenants seront remplis de pétrodollars.

Quotidien de Nouakchott : Pouvez-vous nous fournir des indications plus détaillée sur la position exacte des populations de Boghé exprimée à travers les représentants de 60 villages qui vous ont désigné à la tête du comité de suivi ?

Djigo Moussa : Les délégués des différents villages de la commune de Boghé comme de tous les quartiers de la ville de Boghé, comme toutes les organisations d’agriculteurs et d’éleveurs comme des organisations des femmes et des jeunes, se sont réunis le jeudi, 26 Mai pour réaffirmer sans équivoque et de manière unanime, leur rejet solennel et total du projet de l’Etat de concéder cette zone agropastorale aux Saoudiens. Je dis réaffirmé parce qu’il a paru du fait d’une réaction antérieure qui prête à interprétation, que ce projet était susceptible d’être accepté sous certaines conditions. Il n’en est rien. Cette rédaction était une tricherie conçue par un homme qui ne représente que sa seule personne. La position des populations, c’est non.

Ce projet se fonde ; d’une part, sur les dispositions pertinentes de la législation foncière et domaniale du pays, notamment du décret N° 2010-080 abrogeant et remplaçant le décret N° 2000/089 du 17 juillet 2000 portant application de l’ordonnance 83. 127 du 05 juin 1983 portant réorganisation foncière et domaniale et d’autre part, sur le fait qu’un tel projet constitue, objectivement un attentat à la vie du cheptel et des populations des localités concernées, étant donné que c’est la seule zone de grand pastoralisme du département.

Quotidien de Nouakchott : Quel sera, selon vous l’impact du projet Saoudien, sur la vie des populations et du cheptel de la région au cas le président de la république, M. Mohamed O Abdel
Aziz déciderait d’attribuer cet espace vital aux investisseurs du royaume d’Arabie Saoudite ?


Djigo Moussa : L’impact ne peut être que négatif. A la fois du point de vue du pastoralisme, du point de vue économique et social que du point de vue environnemental et sanitaire. Je pense un tout premier lieu que l’Etat Mauritanien est entrain, en toute connaissance de cause, d’attenter à la vie des populations du département, car, ces populations vivent pour une bonne partie d’entre elles, principalement des revenus de l’élevage. Or, la seule zone pastorale dans laquelle se menait cet élevage est précisément celle que l’Etat veut attribuer. Cela signifie pour ma part la mort programmé de l’élevage local. Il y’a une deuxième conséquence de la mise en œuvre de ce projet : les terres agricoles riveraines du fleuve ne pourront plus être cultivées car le cheptel se rabattra forcément au sud pour se préserver et s’abreuver, s’il ne passe pas au Gorgol, au Guidimakha, au Mali ou au Sénégal. Les champs deviendront des pâturages (ils l’étaient déjà, mais à un moindre degré). La troisième conséquence, ce sera la résurgence, la multiplication, l’amplification des conflits entre agriculteurs et paysans. La quatrième conséquence, au sud du pays, il n y’a pas suffisamment de forages pastoraux capables d’abreuver le cheptel qui dépendait avant de mares, de marigots, des dépressions, des puits pastoraux que contenaient la zone. La cinquième conséquence est que la pression sur la faune sera d’autant plus importante qu’elle s’appliquera sur une partie très réduite de parcours, et à terme, tout pâturage disparaîtra. La sixième conséquence, c’est que ce projet, qu’il utilise l’eau provenant de forages ou de l’eau provenant du fleuve, aura des répercussions à long terme sur nos réserves d’eau, épuisera rapidement les nappes phréatiques et accéléra le phénomène de la sécheresse. La septième conséquence sera que le paludisme, auparavant circonscrit au sud remontera au nord et le répit annuel que connaissait les populations et le bétail prendra fin de manière définitive.

Enfin, le bétail cherchant de l’eau et des pâturages et qui sera forcément attiré par ces nouvelles zones humides et vertes, provoquera des dégâts qui seront sources de conflits entre pasteurs et nouveaux occupants du terrain.

Le Quotidien de Nouakchott : Comment compter vous réagir pour faire échec à ce projet du gouvernement Mauritanien ?

Djigo Moussa : Nous sensibiliseront toutes les populations du département, tous les élus, tous les ressortissants demeurant à Nouakchott et à l’intérieur du pays et à l’étranger autour de notre refus. Nous saisirons la presse nationale et internationale, l’ensemble des partis politiques, des organisations de la société civile du pays. Nous saisirons un avocat et nous porterons cette affaire devant les juridictions compétentes. Nous comptons aller plus loin en saisissant la commission des Nations Unies chargée des affaires foncières. Une série de marches de protestation sont programmées dans notre plan d’action à la fois au plan local que celui de Nouakchott. Nous établirons une liste noire de nos cadres dont le comportement nous apparaitra suspect. Nous mobiliseront les populations pour des journées ville morte. A l’administration locale, nous remettrons un dossier circonstancié et documenté dans lequel nous exprimerons notre refus et les raisons qui le fondent. Enfin, nous solliciterons de tous nos marabouts, des prières contre tous ceux qui sont derrière ce projet. Je vous remercie.

Propos recueillis par Thièrno Souleymane CP Brakna
  • Sign the petition to stop Industria Chiquibul's violence against communities in Guatemala!
  • Who's involved?

    Whos Involved?


  • 13 May 2024 - Washington DC
    World Bank Land Conference 2024
  • Languages



    Special content



    Archives


    Latest posts