Sénégal-Agriculture: Accaparement des terres cultivables

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Wal Fadjri | 10/02/2011

Le phénomène inquiète la société civile. La ruée des terres sur le plan mondial n'a pas épargné le Sénégal où des paysans sont dépossédés de leurs surfaces cultivables au profit de promoteurs qui n'ont, jusqu'ici, respecté aucun de leurs engagements, comme ce fut le cas dans la communauté rurale de Diokoul, dans la région de Louga.

Au Sénégal, 16,45 % des surfaces cultivables sont déjà attribuées à dix-sept privés, dont sept étrangers. C'est ce que révélé avant-hier Amadou Kanouté, Directeur exécutif de l'Institut pour la citoyenneté, les consommateurs et le développement (Cicodev) qui dit s'être basé sur les résultats d'études non exhaustives.

Intervenant lors d'une conférence publique sur 'Accaparement des terres en Afrique de l'ouest. Exporter ou Nourrir les populations. Impact sur les consommateurs ruraux', dans le cadre du Forum social mondial qui se tient à Dakar, M. Kanouté a invité les autorités à freiner ce phénomène qui affecte beaucoup de producteurs dans le monde rural et qui continue d'enfoncer certaines populations dans la misère.

Selon le Directeur exécutif du Cicodev, les études révèlent qu'en tenant compte des autres menaces sur les terres cultivables comme la salinisation, l'érosion côtière, l'éboulement en sable dunaire, la pression démographique, entre autres, il est à craindre pour la sécurité alimentaire du pays.

'Des études menées par quelques institutions telles que Ipar et Enda ont montré que quelque 600 mille hectares de terres ont été donnés à dix-sept privés nationaux ou étrangers. Et cela s'est fait à une allure extrêmement rapide qui n'augure pas de bons horizons.

Si le phénomène n'est pas encadré, si l'on ne met pas en place des mécanismes pour qu'il puisse servir aussi bien l'Etat, les populations et les consommateurs, nous allons nous retrouver dans une situation où toutes les terres cultivables de ce pays vont être entre les mains des privés.

Et l'insécurité alimentaire et nutritionnelle va grandir plus', met-il en garde. Avant de souligner le risque de voir la population sénégalaise avoir des modèles de consommation basés sur les produits qui viennent plus de l'extérieur ou que nous ne produisons pas.

'Vous n'imaginez pas ce que cela va avoir comme conséquence sur notre balance commerciale et les problèmes qu'on aura si ces pays producteurs décident de retenir leurs produits pour leurs citoyens', prévient-il. Et de rappeler que la sécurité alimentaire de leurs citoyens et les retombées financières sont les deux stratégies qui motivent les acteurs.

Au cours des discussions, les intervenants ont listé la crise alimentaire mondiale de 2007-2008, la prévision d'augmentation des cours mondiaux des céréales à long terme, la volatilité des prix depuis 2008, la crise financière, le développement des agro-carburants comme autant de facteurs explicatifs de la ruée vers les terres cultivables dans les pays en développement.

Mais, les organisations de la société civile mettent à l'index les institutions internationales pour avoir exercé des pressions sur les Etats pour faciliter les conditions d'accès à la terre. 'La Banque mondiale y a joué un rôle, en appuyant le processus, en poussant les Etats à rendre leur législation foncière beaucoup plus laxiste pour attirer les investisseurs.

Et nos Etats font la concurrence entre eux pour attirer les investisseurs', renchérit Amadou Kanouté. En effet, selon lui, avant 2008, l'expansion annuelle des terres agricoles dans le monde était de 4 millions d'hectares, mais en fin 2009, les demandes d'acquisition ont atteint 45 millions d'hectares de terres agricoles. Sur lesquelles plus de 70 % des demandes de terres sont en Afrique.

Et, note-t-il, '21 % de ces demandes sont déjà opérationnelles. La majorité des investissements est orientée vers l'exportation. L'Afrique ne peut se contenter d'être une mère porteuse pour les citoyens d'autres continents. Elle se doit en priorité d'être une mère nourricière pour ses propres enfants', dénonce-t-il.

Ainsi, au vu de toutes les conséquences néfastes que l'accaparement des terres cultivables engendre, Cicodev Afrique exhorte le gouvernement du Sénégal à faire un moratoire sur les acquisitions de terres à grande échelle.

'Cet arrêt de l'accaparement des terres s'impose pour résoudre les problèmes et tensions urgents, c'est-à-dire une satisfaction immédiate des demandes des paysans et une analyse de l'impact de ces exploitations selon les principes et les droits des consommateurs'.

En outre, l'organisation préconise d'attendre jusqu'à ce que les discussions sur la loi d'orientation agro-sylvo pastorale et la réforme foncière aient atteint leur terme. Mais, Kanouté pense aussi que ce processus devra se faire en partant du principe qui appelle à la reconnaissance et le respect de droits de propriété et d'usage des terres, que ce soit statutaire ou coutumier, primaire ou secondaire, formel ou informel, individuel ou de groupe.

Couvrant une superficie de 272 km' et situé dans l'arrondissement de Nganda, dans la région de Louga, la communauté rurale de Diokoula subit l'assaut des promoteurs privés. Et les paysans de quatre des trente-trois villages qu'elle polarise, en ont fait les frais.

Eux qui ont été expropriés de 3 000 hectares au profit d'une ferme implantée par un promoteur privé, dont l'indenté reste inconnue car n'étant informé de la mesure que par l'autorité suprême.

Ainsi, ces paysans qui, selon les études présentées avant-hier, avaient en moyenne 5 hectares chacun, sont maintenant obligés de se lancer dans le 'Mbayaan', c'est-à-dire l'emprunt d'un lopin de terre auprès de parents, d'amis, dans d'autres villages à l'approche de la saison des pluies pour cultiver de quoi subsister.

Ce qui constitue une autre menace sur l'environnement, car la terre ne connaissant plus de jachères parce que, selon les études, le lopin prêté est généralement celui que le prêteur laisse en friche ou cultive en rotation.

Venus partager leur désarroi avec les altermondialistes, ces paysans ont pointé un doigt accusateur sur le président de la République qui leur a 'arraché leurs terres sans les dédommager ou encore leur en octroyer d'autres ailleurs'.

Ils l'accusent d'avoir exercé des pressions sur le président du Conseil rural pour faire voter l'octroi des terres sans la participation, le consentement éclairé et informé des agriculteurs qui utilisaient les terres.

'Abdoulaye Wade nous a porté un lourd préjudice. Il nous a ôté les terres que nos ancêtres nous ont léguées pour l'agriculture. Il l'a fait avec la complicité du Conseil rural', dénonce Maniang Guèye de Daara, venu apporter son témoignage lors de cette conférence publique.

Pourtant, avec l'implantation de la ferme, monts et merveilles avaient été promis aux paysans de la zone. En effet, selon Amadou Kanouté, il leur avait été promis l'octroi d'un hectare de terre à chacun et leur encadrement dans l'utilisation de nouvelles techniques pour un rendement plus important que ce qu'ils produisaient dans leurs champs.

De plus, on leur avait fait miroiter l'apprentissage de nouvelles techniques de métissage de bétail pour le développement de nouvelles espèces qui vont enrichir leur cheptel avec une nouvelle race de vaches.

Mais, que nenni. Du coup, l'insécurité alimentaire est plus grande chez ces paysans qui ne vivaient que des produits du terroir tels que le mil, le niébé, l'arachide (graines et huile), l'oseille, le manioc, les pastèques. '

Le niébé est en perte de vitesse de 54 à 14 % dans la tranche de -500 kg et est en passe d'être délaissé pour des cultures de rente comme l'arachide dans les tranches de -500kg à 1 tonne', relève l'étude.

S. Diop

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