Intervention de Bruno Le Maire à New-York, devant l’Assemblée générale des Nations Unies

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La France soutient l’élaboration d’un code de conduite pour des investissements plus responsables

Ministère de l'Agricultuere (Paris) 19/02/2011

Le ministre de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l’aménagement du territoire a présenté les priorités de la présidence française du G20 en matière agricole.

Priorités de la présidence française du G20 en matière agricole

Intervention de Bruno LE MAIRE

Ministre de l’Agriculture, de l’Alimentation, de la Pêche,
de la Ruralité et de l’Aménagement du Territoire

Assemblée générale des Nations Unies

New York

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Représentants,

Je tiens à vous remercier pour votre invitation à venir m’exprimer devant l’Assemblée générale des Nations unies.

Vous le savez, le président de la République française a décidé de mettre à l’ordre du jour de la présidence du G20 la question agricole en général et la question de la volatilité du prix des matières premières en particulier. En tant que ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, j’ai souhaité venir dès le début de notre présidence et souligner ainsi le rôle majeur des Nations unies pour relever le défi agricole mondial. Je serai bien entendu très heureux, à l’issue de mon intervention, d’entendre vos remarques, vos propositions et vos observations.

Le défi agricole mondial, c’est d’abord un défi alimentaire.

C’est d’abord le défi de la faim dans le monde pour lequel nous nous étions fixés un objectif ambitieux en 2005 : réduire de moitié à l’horizon 2015 la proportion de la population mondiale qui souffre de la faim.

Lorsque nous regardons la situation actuelle, nous devons avoir conscience qu’il nous reste des progrès considérables à accomplir pour éradiquer la faim dans le monde.

Depuis 2009, la faim est remontée en flèche dans beaucoup de pays, c’est l’une des terribles conséquences des crises alimentaire et financière mondiales. Dans beaucoup de régions parmi les plus pauvres de la planète, les progrès dans ce domaine là sont au point mort. Depuis quelques mois, la hausse des prix alimentaires a fait basculer 44 millions de nouvelles personnes en dessous du seuil de pauvreté. Et comme l’a très bien dit le président de notre Assemblée, la hausse des prix agricoles touche d’abord les pays les plus pauvres et les populations les plus démunies. En dépit de certains progrès, un enfant sur quatre souffre encore d’insuffisance pondérale dans le monde en développement. Tout cela est inacceptable.

Le défi alimentaire, c’est aussi être capable de produire plus pour nourrir les 9 milliards d’individus sur la planète en 2050. Pour cela, une hausse de la production agricole de 70 % d’ici 2050 est nécessaire. Est-ce que nous en serons capables ?

La production agricole mondiale aujourd’hui ne croît plus que de 1,5% par an, alors qu’elle augmentait de 3% par an entre les années 1960 et 1990. La production agricole mondiale se heurte à des rendements agricoles qui stagnent, notamment dans le secteur du blé. La production agricole mondiale se heurte à des changements climatiques de plus en plus fréquents, à des perturbations climatiques de plus en plus lourdes qui nécessitent de produire mieux et qui créent de l’instabilité sur la production agricole.

Le défi alimentaire d’ici 2050 sera donc extraordinairement difficile à relever pour tous les pays de la planète.

Ce défi agricole est enfin un défi économique.

N’oublions pas que l’agriculture est la première source d’emplois au monde avec 1,3 Milliards d’emplois. N’oublions pas que 40% de la population active mondiale dépend directement des marchés agricoles mondiaux.

Or lorsque nous regardons la situation, la situation économique et agricole est aujourd’hui périlleuse. Elle est confrontée à une volatilité beaucoup plus forte que tous les autres secteurs économiques de la planète sans exception.

Le blé, par exemple, est passé de 140 euros la tonne en Europe en juillet à plus de 260 euros aujourd’hui. Le prix de l’orge a doublé. L’indice des prix alimentaires établi par la FAO est à son plus haut niveau depuis sa création en 1990.

La CNUCED l’a rappelé le 1er février à Genève et je veux le redire à cette tribune avec beaucoup de force, cette volatilité des prix agricoles mondiaux est insupportable pour les pays les plus vulnérables. Elle est insupportable pour les producteurs dont elle affecte les capacités d’investissement. Elle est insupportable pour les consommateurs qui doivent payer plus cher leurs produits alimentaires et qui nous font courir le risque de connaître à nouveaux des émeutes de la faim comme celles qui ont touché un certain nombre de pays en 2008.

Enfin, chacun voit aussi que l’agriculture désormais est soumise à des comportements spéculatifs inacceptables. La spéculation ne fait pas la volatilité des prix agricoles mondiaux mais la spéculation accroit encore la volatilité insupportable des prix agricoles mondiaux.

La terre est elle-même devenue un objet de spéculation. Nous assistons partout à travers la planète à des achats massifs de terres agricoles : 45 millions d’hectares de terres agricoles ont été achetés selon la Banque mondiale début 2010 dans le monde. 70% de ces terres agricoles ont été achetés en Afrique. Ces achats privent l’Afrique du développement autonome de son agriculture.

La matière première agricole est également devenue un objet de la financiarisation. Les marchés financiers qui se tournaient vers l’immobilier ou vers les actions, depuis la crise financière de 2008, se tournent vers les produits agricoles. Sur les marchés, il s’échange sur le papier chaque année 15 fois la production mondiale de céréales (blé et maïs). Sur les marchés, 85% des positions sont détenues par des acteurs purement financiers dont l’activité n’a pas de lien réel avec l’agriculture.

Face à ce double défi alimentaire et économique, que proposons-nous ?

La première proposition de la France est de réinvestir dans l’agriculture mondiale. Nous avions fait au cours des années 1980 un certain nombre de progrès pour développer l’agriculture dans les pays en développement. Nous avons reculé. Nous devons reprendre la main et permettre aux pays en développement d’être indépendants en matière agricole.

Cela passe par des investissements publics.

Tous les pays doivent rebâtir des politiques de développement agricole compatibles avec les engagements commerciaux internationaux. L’investissement en agriculture a un effet démultiplicateur pour lutter contre la pauvreté. Le développement de l’agriculture vivrière, l’amélioration des rendements, l’irrigation durable, la construction de nouvelles infrastructures, le perfectionnement de la chaîne alimentaire sont des défis majeurs et urgents pour les pays en développement.

Dans ce cadre, je n’hésite pas à le dire, les pays riches ont un devoir de solidarité à l’égard des pays pauvres. Les pays riches ne doivent pas viser au développement de leur agriculture au détriment de l’agriculture des pays pauvres. Les pays riches doivent aider les pays pauvres à développer leur propre agriculture et leur autonomie agricole. L’aide publique au développement en agriculture est décisive : elle doit être maintenue. Je rappelle que la part de l’agriculture dans l’APD est passée en 20 ans de 15% à moins de 5%. Il faut renverser la tendance, il faut tenir les engagements qui ont été pris par la communauté internationale, notamment les engagements du G8 au sommet de L’Aquila en 2009.

Réinvestir dans l’agriculture mondiale, cela suppose aussi de développer les investissements privés.
Car nous savons tous que face aux problèmes budgétaires de la plupart des Etats, l’investissement public ne suffira pas : il faut aussi développer les investissements privés dans l’agriculture. Pour cela, nous proposons de créer le cadre adapté pour permettre aux acteurs d’investir en limitant leurs risques. Nous proposons des investissements privés responsables, notamment dans le domaine foncier. Avec la FAO, avec la Banque mondiale, je sais que vous travaillez à l’élaboration d’un code de conduite pour des investissements plus responsables. Avec le Brésil, nous soutenons cette initiative.

Nous devons également développer des partenariats publiques/privés, notamment des infrastructures. Enfin, nous devons mettre la recherche des pays développés au service de l’agriculture des pays en développement. Nous devons partager avec ceux qui en ont le plus besoin les moyens de recherche et de technologie agricole. La mise en place du groupe consultatif pour la recherche agronomique internationale doit contribuer à cet objectif.

La deuxième solution que nous proposons après le réinvestissement de l’agriculture mondiale c’est la régulation des marchés agricoles internationaux.

Je veux être très clair sur un point. Réguler le marché, ce n’est pas lutter contre le marché. Réguler le marché, c’est améliorer son fonctionnement et faire en sorte qu’il répartisse de manière plus efficace les richesses. Nous ne souhaitons pas le retour à une économie agricole administrée. Nous souhaitons des marchés agricoles qui fonctionnent mieux, qui fonctionnent de manière plus juste, qui fonctionnent de manière plus équitable.

Je le dis ici, à quelques mètres de Wall Street, nous avons fait la régulation financière mondiale, nous devons désormais engager la régulation agricole mondiale. Sinon, une nouvelle fois, ce sont les pays les plus pauvres et les populations les plus vulnérables qui en seront les victimes.

Pour réguler ces marchés nous proposons d’avancer dans quatre directions.

La première direction c’est l’amélioration de la transparence des marchés car l’incertitude, la non disponibilité des informations entraînent la volatilité et la spéculation. Ne pas connaître l’état des stocks mondiaux de blé, de riz ou de maïs favorise la volatilité des prix et entraîne des difficultés majeures pour les pays en développement.

Le deuxième axe que nous proposons c’est l’amélioration de la coordination des politiques agricoles pour prévenir et pour gérer les risques. Il n’est pas normal qu’aujourd’hui chaque Etat producteur à travers la planète puisse décider de manière unilatérale de couper ses exportations lorsqu’il en ressent le besoin, quitte à créer une hausse brutale des prix sur les marchés, sans avoir de possibilité de mieux coordonner les décisions.

Le troisième axe que nous proposons c’est la régulation des marchés dérivés de matières premières agricoles. Il ne s’agit pas de priver l’agriculture des instruments de couverture nécessaires. Il s’agit d’améliorer les instruments de marché existants en prévoyant par exemple des limites de position sur les marchés agricoles mondiaux.

Le quatrième axe que nous proposons pour réguler les marchés agricoles c’est le soutien aux pays les plus vulnérables, les plus touchés par les crises agricoles à répétitions. Nous proposons de développer des réserves humanitaires d’urgence prépositionnées, en lien avec le Programme alimentaire mondial. Nous proposons de définir des instruments de protection et d’assurance pour les pays importateurs de matières premières agricoles. Nous proposons de limiter les restrictions aux exportations, par exemple au bénéfice de l’aide alimentaire d’urgence ou des pays les plus vulnérables.

Quel est le calendrier et quelle est la méthode que nous comptons appliqués pour mettre en œuvre toutes ces propositions ?

Le sommet du G20 en novembre proposera des solutions concrètes pou relever le défi agricole mondial. D’ici là, la filière « développement » du G20 travaillera à la mise en œuvre du plan d’action pour le plan de développement défini à Séoul. Les ministres des Finances qui se retrouvent à Paris demain feront des propositions pour mieux encadrer les marchés dérivés. Pour ma part, je réunirai au mois de juin à Paris l’ensemble des ministres de l’Agriculture du G20 avec toutes les organisations internationales concernées. C’est la première fois que les ministres de l’Agriculture du G20 avec les organisations internationales se réuniront pour discuter du problème des crises agricoles.

S’agissant de la méthode : le G20 donnera l’impulsion politique, au plus haut niveau, celui des chefs d’Etat. Le président de la République française est convaincu que l’agriculture est devenue un sujet stratégique pour la stabilité de la planète, il est convaincu qu’il y a urgence à réagir, il est convaincu qu’il y a urgence à définir des solutions concrètes. Mais le G20 ne fera pas tout. Le G20 n’a ni la légitimité, ni la capacité de régler à lui seul le problème des crises alimentaires mondiales.

Le travail du G20 se fera donc en étroite coordination avec les organisations internationales – c’est le sens de ma présence ici aujourd’hui – en particulier, avec les organisations du système des Nations unies. Je l’ai dit à Rome à Jacques Diouf, je le dis ici devant l’Assemblée générale des Nations unies.
Nous ne voulons pas créer de nouvelles structures internationales. Nous voulons améliorer les structures existantes et travailler dans leur cadre.

Je souhaite aussi que nous puissions travailler avec tous les Etats à un consensus international. Il ne s’agit pas que le G20 trouve une solution pour tous les autres, il s’agit que tous ensemble nous trouvions une solution pour la faim dans le monde et la sécurité alimentaire mondiale.

J’ai recueilli à Berlin le 22 janvier dernier les propositions de 48 ministres de l’agriculture. Je me suis déplacé en Inde, en Chine, en Russie… Je me rendrai dans les prochaines semaines au Brésil, en Argentine, en Afrique et à Istanbul en mai pour la Conférence des Nations unies sur les Pays les moins avancés. J’attends évidemment avec beaucoup d’impatience toutes les propositions que vous pourrez me faire sur ce sujet. La prochaine Assemblée générale en septembre sera également l’occasion de faire un bilan de nos travaux.

Je veux le dire ici avec beaucoup de gravité : la question de la sécurité alimentaire mondiale n’est pas une question du G20, c’est une question qui nous engage tous, c’est une question qui nous concerne tous. Nous avons une responsabilité morale à trouver des solutions que nous n’avons pas encore été capables de définir depuis des années. Nous avons une responsabilité morale à ne pas laisser des dizaines de pays en développement à travers la planète seuls face aux crises alimentaires. Nous avons une responsabilité morale, nous pays membres du G20 qui disposons d’agricultures fortes, à aider au développement des agricultures dans les pays en développement, à soutenir leurs agricultures, à leur apporter les solutions technologiques, les solutions de savoir-faire dont ils ont besoin pour être autonomes en matière agricole.

Le G20 agricole est une chance, pas pour les pays membres du G20 eux-mêmes, mais pour l’ensemble des pays de la planète. Je souhaite que nous puissions la saisir tous ensemble.

Je vous remercie.

Consulter au format Pdf l’intervention de Bruno Le Maire devant l’Assemblée générale des Nations-Unies (PDF - 44.3 ko)

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