Quand l’Ethiopie ne touche plus terre...

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La revue de presse de la Mission Agrobiosciences | 18 avril 2011

Pour bon nombre d’observateurs, il s’agit d’une conséquence des récentes crises financière et alimentaire. Dès 2008, tout particulièrement en Afrique, les gouvernements des pays en voie de développement ont cédé des surfaces grandissantes de terres arables aux firmes étrangères des pays riches. Dans un contexte d’incertitude des marchés internationaux, l’acquisition de ces terres encore non cultivées était censée permettre de cultiver ailleurs ce que l’on ne pouvait produire chez soi et, ce faisant, de sécuriser ses approvisionnements.

Qualifié par les uns « d’accaparement des terres », au pire de « néocolonialisme », ce processus de location ou de vente de terres devait tout au contraire pour d’autres, y compris au sein de la Banque mondiale, « permettre de moderniser l’agriculture [des pays en voie de développement] et générer plus de profits et de denrées alimentaires pour la population locale » (Courrier International, août 2010). Un deal "gagnant-gagnant" en théorie. Depuis lors, les projets se sont multipliés au Congo, au Soudan, en Tanzanie, au Kenya ou encore à Madagascar, suscitant, toujours et encore les mêmes polémiques. Le nombre d’hectares ainsi cédés croît rapidement – 35 millions dont la grande majorité en Afrique si l’on en croit les dernières données de la Banque mondiale. Un phénomène qui soulève de nombreuses questions comme l’illustre parfaitement l’un des derniers projets en date en Ethiopie, projet au coeur du documentaire "Planète à vendre" d’Alexis Marant diffusé ce mardi sur Arte. Décryptages au fil de cette revue de presse de la Mission Agrobiosciences.
 
Ethiopie. Le "deal" du siècle

Pour le quotidien anglais The Guardian, il s’agit tout simplement du « deal » du siècle. En Ethiopie, le gouvernement vient de passer un accord avec l’un des géants mondiaux de l’agro-business, l’entreprise indienne Karuturi. L’accord porte sur la location, pendant 50 ans, de 3 millions d’hectares de terres dans la région du Gambella ! Des terres vierges, extrêmement fertiles, cédées à un prix dérisoire aux dires du responsable du projet, Karmjeet Sekhon [1]. L’objectif ? Cultiver, dans des exploitations ultra modernisées, de l’huile de palme, du sucre de canne ou encore du riz. En « échange », l’entreprise prévoit la construction de multiples infrastructures – routes, réservoirs - et même des villages entiers, pour accueillir les 60 000 personnes qui travailleront sur ces terres.

Objectif : assurer les approvisionnements

Amélioration des pratiques culturales et des rendements, accès aux dernières technologies, modernisation des infrastructures, création d’emplois… C’est là, officiellement, tout l’enjeu de ce type de démarche qui, aux yeux du ministre éthiopien de l’agriculture, « permettra indéniablement de soutenir le développement de l’agriculture paysanne » (Cité par le site Sur le feu). Et, toujours selon les autorités, devrait résoudre au passage l’éternel problème de la pénurie alimentaire, l’Ethiopie étant l’une des nations les plus dépendantes au monde des aides alimentaires et au développement. C’est donc au nom de la sécurisation des approvisionnements et de la réduction de la pauvreté que le gouvernement multiplie les accords avec des firmes étrangères, dans le cadre de son Plan de croissance et de transformation quinquennal. L’Inde n’est pas en effet la seule nation a avoir bénéficié de l’octroie de terres à bas prix. Selon The Guardian, ce sont pas moins de 36 pays dont la Chine, le Pakistan ou l’Arabie Saoudite qui développent actuellement des projets de grande envergure, principalement dans la région du Gamella.

Non sans faire grincer quelques dents.

Une fausse bonne idée ?

Le site « Sur le feu » dresse la liste des limites d’une telle démarche. Premier écueil pointé, la nature même des denrées cultivées. L’article explique ainsi qu’un riche investisseur saoudien met actuellement sur pied une grande ferme rizicole, dont la production doit être vendue sur le marché éthiopien à hauteur de 40%. Lorsque qu’on sait que, bien souvent, les denrées produites sur ces terres louées sont en très grande majorité destinées à l’exportation, on peut se réjouir que, dans ce cas, elles atterrissent aussi sur le marché intérieur. Mais voilà : la consommation de riz n’est pas très répandue en Ethiopie souligne l’article…

Autre point d’accroche avec la politique gouvernementale, si ces terres sont effectivement fertiles et vierges, elles ne sont pas pour autant désertes… Traditionnellement, le Gamella est, pour de nombreux éleveurs nomades de la région, une terre de pâturage. En théorie, même si cette dernière appartient à l’Etat, les éleveurs disposent d’un droit d’utilisation pour le pacage et l’agriculture, et ne peuvent en être expulsés. C’est là que les choses se corsent et que le flou s’installe…

D’un côté, on peut lire dans la presse que le gouvernement éthiopien mène actuellement une campagne de « villagisation » : les éleveurs qui le souhaitent sont conviés à s’installer dans des villages où l’accès aux services (scolarité, centre de soins, accès à l’eau potable) se trouve renforcé. De l’autre, la presse suggère que ce programme n’a d’autre fonction que d’évincer les éleveurs de leurs terres pour mieux les céder aux firmes étrangères. Une perspective que dément formellement le gouvernement. Quoi qu’il en soit, ce qui semble sûr, c’est qu’avec l’installation progressive de ces grandes exploitations, les zones de pâturage se réduisent peu à peu, mettant ainsi en péril l’activité pastorale. A cela s’ajoute la question des salaires pour les personnes travaillant sur ces exploitations. Pour les grandes firmes, ceux-ci sont conformes aux normes nationales ; pour les travailleurs, la paye se situe bien en dessous des rémunérations promises. D’où le désarroi exprimé par l’un des éleveurs concernés par le programme de « villagisation » : «  Karuturi et le gouvernement nous avaient promis que nous aurions de meilleurs emplois, de meilleures conditions de vie, mais jusqu’à présent, ils n’ont rien fait d’autre que de nous prendre nos terres et nous réduire à une profonde pauvreté ».

Partout, le même refrain…

Ethiopie, Mali, Congo, Zambie… Quelque soit le lieu, la problématique se répète inlassablement. A l’objectif d’autosuffisance alimentaire et de modernisation de l’agriculture annoncé par les gouvernements, répondent les craintes quant à la fragilisation de la souveraineté alimentaire, le risque d’engendrer une génération de paysans sans terre ou encore l’impact sur les écosystèmes.

Au cœur du problème, la grande opacité de termes des accords passés entre les Etats et les grandes firmes. C’est ce que pointait, déjà, en 2009, le rapporteur spécial des Nations-Unies sur le droit à l’alimentation, Olivier de Schutter : « es rares accords que nous avons pu consulter sont préoccupants : longs de trois ou quatre pages au maximum, ils comportent très peu de précisions sur les obligations des investisseurs étrangers (…) les investissements dans les infrastructures, la gestion durable des ressources naturelles, toutes ces questions sont laissées au bon vouloir de l’investisseur. C’est très inquiétant ». Force est de constater que ces propos sont "on ne peut plus" d’actualité.
 

[1] « It’s cheap. In fact, it’s very cheap » comme le rapporte The Guardian

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