L'Ukraine, faute de moyens, tarde à devenir le grenier de l'Europe

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(Photo: Economy of Ukraine, 2010)

RFI | 22 juin 2011

Alors que le G20 se réunit mercredi 22 et jeudi 23 juin à Paris pour tenter de lutter contre la volatilité des prix agricoles, et alors que les besoins alimentaires au niveau mondial vont continuer d'augmenter ces prochaines années, l'Ukraine est appelée à redevenir une des premières puissances agricoles du monde. Le pays dispose d'un potentiel considérable mais doit encore augmenter ses investissements productifs et clarifier son cadre législatif.

Avec notre correspondant en Ukraine, Laurent Geslin


La plaine s'étend à perte de vue, déjà brûlée par le soleil du printemps. Bienvenue en Ukraine, dans le « grenier à blé de l'Europe », 42 millions d'hectares de cultures, installées sur les meilleurs sols du continent, les fameuses « terres noires » - ou tchernoziom.

« Cette terre, c'est le rêve, pas un caillou sur des milliers d'hectares, elle part en poussière quand on la travaille et elle n'use pas le matériel. Elle est extrêmement fertile et surtout, elle stocke bien l'eau ». Florian Garnier et son associé sont arrivés en Ukraine il y a deux ans, attirés par la qualité des sols. « Nous avons repris un ancien kolkhoze à 180 kilomètres à l'ouest de Kiev. Nous avons loué 500 hectares la première année, puis 2 700 la deuxième. A terme, notre objectif est de mettre 4 000 hectares en culture ». Soja, blé, colza, maïs, la production se chiffre déjà en milliers de tonnes, soit plus que la majorité des exploitants français. Elle ne représente cependant qu'une goutte d'eau pour le marché ukrainien.

En effet, les exploitations agricoles ukrainiennes les plus importantes couvrent des superficies qui peuvent atteindre 300 000 hectares.

« Aucune région au monde ne dispose à la fois de terres de cette qualité et d'un bassin de consommation aussi important. Il existe bien sûr des opportunités ailleurs, par exemple en Argentine, mais à des milliers de kilomètres des premiers clients», explique Andriy Yarmak, un expert agricole basé à Kiev.

Investisseurs russes, fonds de pensions américains, agro-holdings ukrainiennes, la lutte pour les meilleures terres fait rage depuis quelques années déjà. D'autant plus que le gouvernement du Président Viktor Ianoukovitch se prépare, dans quelques mois, à lever pour les investisseurs ukrainiens le moratoire institué en 1996, au moment de la privatisation des anciens kolkhozes soviétiques, et qui interdit depuis la vente des terres agricoles. « Les petits paysans, qui ne possèdent que quelques hectares, n'auront pas les moyens de résister à la pression financière des grands groupes », martèle Ivan Kyrylenko, membre du Bloc Ioulia Tymochenko (BiouT), « c'est pourquoi l'opposition ukrainienne, qui représente le peuple ukrainien, demande la prolongation du moratoire ».

Chez les experts occidentaux, si l'on reconnaît qu'une ouverture progressive du marché de la terre est nécessaire, on s'interroge quant aux modalités de la transition. « Je ne sais pas où les agriculteurs ukrainiens vont trouver l'argent pour investir dans le foncier, alors même que l'investissement productif est déjà très insuffisant pour assurer de bons rendements », souligne Jean-Jacques Hervé, chargé des affaires agricoles pour Index Bank, la filière ukrainienne du Crédit Agricole, « on arrive péniblement à une moyenne de 3 tonnes de blé par an et par hectare, alors que les sols et le climat ukrainiens permettent facilement 5 tonnes, sans forcer les doses d'intrants ». Le pays manque de tracteurs, de moissonneuses-batteuses, de silos de stockage de bonne qualité... Alors, pour moderniser l'agriculture, il est nécessaire d'attirer des investisseurs. Mais pour cela, encore faudrait-il rétablir un climat de confiance mis à mal par des scandales à répétition et par un cadre législatif en permanente mutation.

A l'automne 2010, le gouvernement ukrainien avait institué des quotas sur les exportations de céréales, officiellement pour maitriser l'inflation des produits agricoles sur le marché intérieur. Les résultats n'ont pas été au rendez-vous : huit mois plus tard, les prix ont bondi de 40%, 10 millions de tonnes de grains attendent toujours d'être vendues, et le manque à gagner pour l'agriculture ukrainienne se chiffre à plus d'un milliard d'euros. De plus, Mykola Prysyazhnyuk, le ministre de l'agriculture, est suspecté de corruption massive, les contrats d'exportations ayant presque tous été accordés à Khlib Investbud, une société mixte aux actionnaires inconnus, mais que l'on sait proche du pouvoir.

Suite aux pressions de la Commission européenne et du FMI, les quotas ont finalement été levé en mai, mais il en faudra plus pour rassurer les investisseurs. « Il est essentiel que l’État ukrainien fixe un cadre juridique qui assure sur le long terme la continuité d'utilisation du sol pour les exploitants, que cela soit par la levée du moratoire ou, comme en France ou en Allemagne, par la mise en place de baux ruraux sur le long terme », explique Henri Bernabot, conseiller auprès du ministère de l'agriculture ukrainien. Les besoins agricoles au niveau mondial vont continuer d'augmenter ces prochaines années, l'Ukraine se doit d'être bientôt prête.

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  • 22 June 2011

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