Développer la production agricole au Gabon n’est plus urgent, mais vital !

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Maraîchage à Port-Gentil - Gabonreview.com
Gabon Review | le 6 septembre 2012

Développer la production agricole au Gabon n’est plus urgent, mais vital !

Par Luc Lemaire

Les phénomènes météorologiques extrêmes qui se multiplient dans les zones tempérées du globe, la spéculation financière qui touche les marchés agricoles devenus très lucratifs, la mainmise de quelques multinationales sur les semences et les technologies et la promesse de voir la population mondiale passer à 9 milliards d’individus d’ici 2050, sont autant d’indicateurs qui confirment que le prix des denrées alimentaires va flamber dans les années à venir. Pour un pays qui importe 80% de son alimentation, c’est une catastrophe.

Il n’y a plus de doutes pour aucun expert dans le monde : la faim est la prochaine calamité qui va s’abattre sur les pays pauvres. Et dans le cas du Gabon, il faudra choisir entre dilapider ses revenus en importation de denrées alimentaires ou se décider à les produire enfin tout seul. A moins de se résigner à connaître la famine.

Pour l’ONG internationale Oxfam, spécialisée dans la lutte contre la famine et la pauvreté, le prix moyen des denrées de base pourrait plus que doubler d’ici à 2030 et «la moitié de cette augmentation pourrait être causée par le changement climatique». Les prix du maïs pourraient augmenter de 177% par rapport à ceux de 2010, ceux du blé de 120% et ceux du riz de 107%, chiffre Oxfam dans son rapport «La Terre se réchauffe, les prix flambent». Selon Tim Gore, en charge du changement climatique à Oxfam, «l’augmentation des températures et la modification des régimes de précipitations freinent la production agricole et poussent constamment les prix à la hausse». Mais plus que ces changements auxquels les agronomes pourraient trouver des palliatifs, ce sont les événements «extrêmes» telles que les pluies torrentielles, les sécheresses, les canicules ou les inondations qui pourraient provoquer les plus fortes explosions de prix.

A cela s’ajoute un fait nouveau : la spéculation financière. L’indice de la l’Organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, la FAO, qui mesure les évolutions de prix d’un panier de céréales, oléagineux, produits laitiers, viande et sucre est au plus haut depuis sa création, en 1990. Un rapport de la Banque centrale européenne publié le jeudi 20 janvier 2011 donne l’exemple des prix du blé qui «ont augmenté de 91 % entre le début et la fin de l’année 2010». Pourtant, selon Olivier de Schutter, rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’alimentation, les produits alimentaires ne manquent pas encore : «aujourd’hui comme en 2008, il n’y a pas de problème de pénurie […] Les prix du blé, du maïs et du riz ont augmenté dans de très fortes proportions. Ce n’est pas dû à une diminution des stocks ou des récoltes mais aux traders qui réagissent aux informations et spéculent sur les marchés.»

Selon la FAO, les échanges de denrées alimentaires représentent 1 000 milliards de dollars en 2010, revenant quasiment à leur niveau de 2008 1 030 milliards, l’année des émeutes de la faim. L’indice des prix agricoles est en février 2011 à 231 points sur l’index établi par la FAO. il était en juin 2008 à 213,5 points sur ce même index, lors des émeutes de la faim. Pour le moment, il n’y a pas eu, au sens propre du terme, d’émeutes de la faim en 2010/2011, mais les révolutions en Tunisie et en Égypte sont parties des révoltes contre l’augmentation du prix du pain.

Enfin, la privatisation des semences et le monopole qui en résulte pour quelques multinationales comme Monsanto, font qu’il devient de plus en plus difficile de conserver une politique agricole nationale qui ne se plie pas à leur modèle économique : elles vendent les semences, et les produits phytosanitaires indispensables à leur croissance, et imposent avec elles les techniques industrielles et chimiques d’agriculture qui, outre le fait qu’elles épuisent les terres agricoles, déterminent une rentabilité minimale pour les producteurs.

Le Gabon ne peut plus se permettre d’attendre

Le pays n’assure en effet que 20% de ses besoins alimentaires. Ce qui induit un déficit dont le coût est de 150 milliards de francs CFA par an. Depuis quelques temps, le pays tente, non sans difficulté, de promouvoir son agriculture. C’est à ce titre que le budget consacré à ce secteur est passé de 4,132 milliards de francs CFA en 2007 et 5,086 milliards de francs CFA en 2008 à 34 milliards en 2010. Un Programme spécial de sécurité alimentaire est censé être en cours avec l’appui de la FAO et diverses actions sont menées pour réaliser l’un des aspects du «Gabon Vert», tant promu.

Lors d’une déclaration devant le parlement, le 26 novembre 2009, Paul Biyoghé Mba, alors premier Ministre, avait expliqué que le «Gabon Vert», l’un des trois piliers économiques du président Ali Bongo, consisterait, entre autres, en «la redynamisation de notre agriculture, la valorisation des produits forestiers non ligneux, le développement de l’élevage et de la pêche, ceci afin de renforcer notre sécurité alimentaire, de réduire nos importations».  Il avait alors été spécifié que ce programme consisterait à promouvoir le palmier à huile, l’hévéa, le cacao et le café, mais surtout à soutenir la production vivrière : manioc, riz, banane, produits maraîchers et élevage de petits ruminants. Paul Biyoghé Mba avait prévu de doter, durant le septennat 2010-2016, l’Agriculture, l’élevage, la pêche et le développement rural de 175 milliards de francs CFA.

Si l’agriculture industrielle, destinée à l’exportation, voit le jour avec l’implantation d’Olam, il semble bien que ce soit au détriment de la production vivrière, celle qui permettrait de nourrir les populations à un coût raisonnable. En 2010, les statistiques officielles faisaient état d’une production de 77 000 tonnes de manioc alors que la demande nationale du Gabon se chiffrait à 220 000 tonnes. La production de la banane était de l’ordre de 46 500 tonnes pour une demande annuelle de 150 000 tonnes. Quant aux légumes, les besoins étaient de 31 109 tonnes par an alors que la production était de 13 000 tonnes. La production nationale de la viande était largement insuffisante par rapport aux besoins alimentaires des Gabonais. Certains produits de base, notamment le riz, la pomme de terre, les produits laitiers, le blé et ses dérivés étaient entièrement importés. Il apparaît que 3 ans plus tard, rien n’a changé.

Dans un contexte mondial qui va en se dégradant beaucoup plus rapidement qu’estimé, parvenir à l’autosuffisance alimentaire n’est plus une option mais un impératif. D’autant plus que le Gabon est particulièrement bien doté pour y parvenir : il ne manque ni de terres fertiles, ni d’eau, ni de moyens financiers comme c’est le cas pour de nombreux pays démunis. Ne lui manquent qu’une véritable volonté politique et une administration moins corrompue, prête à faire son travail sans chercher à détourner les fonds prévu à cet effet. Bien peu de choses en fait !

Aujourd’hui, il devient difficile pour la grande majorité de la population de se nourrir convenablement du fait de l’explosion des prix des denrées alimentaires. L’hévéa et l’huile de palme n’y changeront rien et si les promesses faites en 2009 ne sont pas rapidement relancées et tenues, il y a fort à parier qu’au Gabon aussi, des émeutes de la faim seront à l’ordre du jour dans les années à venir.
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