Les investisseurs mettent le cap sur l'Afrique

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Conférence sur l'Afrique, le 15 novembre, à Paris Challenges
Challenges | 30-11-2012

Les investisseurs mettent le cap sur l'Afrique

Par Thierry Fabre

Une conférence vient de réunir à Paris 140 spécialistes du capital-investissement et des cadres de la diaspora africaine pour vendre le potentiel d'un continent en pleine révolution économique.

Dans les salons d'un immeuble cossu du XVIe arrondissement de Paris, les 140 investisseurs réunis ce 15 novembre sont tout sourire. Au siège du cabinet d'avocats Orrick Rambaud Martel, ces spécialistes du capital-investissement ont trouvé un filon en or. "L'Afrique offre aujourd'hui les meilleurs rendements de la planète, s'enflamme Luc Rigouzzo, président d'Amethys Finance, qui a levé 300 millions d'euros pour investir sur le continent noir. Ils peuvent atteindre 30%, notamment dans les secteurs qui connaissent une croissance fulgurante comme les télécoms." A la tribune, les exemples de réussites africaines se succèdent: EcoBank, créée au Togo en 1985 et implantée dans 35 pays ; Azalaï, une PME devenue premier groupe hôtelier ouest-africain, ou encore Trainis, start-up spécialisée dans la formation des cadres supérieurs. Maître de cérémonie, Jean-Luc Koffi Vovor, président du think tank Kusuntu, rassemblant des jeunes cadres de la diaspora africaine, exulte: "En France, ce type de conférence est une première. Les investisseurs ont enfin pris conscience que l'Afrique vit sa révolution."

C'est le nouvel eldorado. Fonds d'investissement, industriels, banques ou cabinets d'avocats se ruent en Afrique. Exemple: le 14 novembre, le fonds américain Carlyle a réalisé son premier investissement sur le continent en apportant 210 millions de dollars, aux côtés d'autres financiers, à Export Trading Group. Etablie en Tanzanie, cette entreprise de 7.000 salariés fournit des équipements aux agriculteurs dans 30 pays. Quelques jours plus tôt, le français Wendel, le holding présidé par Ernest-Antoine Seillière, avait annoncé son premier deal africain: 125 millions de dollars investis dans le groupe IHS, qui gère 4.000 tours de télécommunications au Nigeria, au Cameroun et en Côte d'Ivoire.

Ruée des multinationales

Même tendance du côté des multinationales. Nestlé, le leader mondial de l'agroalimentaire, a ouvert une usine en Angola et en République démocratique du Congo (RDC) ; l'américain Coca-Cola, qui a augmenté ses capacités en Tanzanie et au Kenya, prévoit d'investir 12 milliards de dollars d'ici à 2020 ; côté français, Orange est revenu en force, en se hissant au deuxième rang du continent, avec 74 millions de clients. Accor, lui, prévoit d'ouvrir 30 hôtels, soit 5.000 chambres d'ici à 2016.

"Il y a un regain d'intérêt spectaculaire des grands groupes qui avaient cédé un peu vite leurs filiales africaines", commente Rémy Fekete, associé du cabinet Gide Loyrette, très actif sur le continent. Ainsi, en dix ans, les flux d'investissements étrangers ont plus que triplé, atteignant 36 milliards de dollars. Accompagnant le mouvement, les banques d'affaires - Lazard a créé en septembre son entité africaine - et les cabinets d'avocats mettent aussi le cap sur l'Afrique noire.

Les atouts de l'Afrique

Pourquoi un tel rush? Parce que le continent connaît ses "dix glorieuses", une décennie de croissance record: 5,4% par an en moyenne depuis 2000. "La rupture économique a eu lieu dès la fin des années 1990, mais les pays du Nord viennent à peine d'en prendre conscience, décrypte Jean-Michel Severino, gérant du fonds Investisseurs & Partenaires, ancien patron de l'Agence française de développement. La rapidité du changement est phénoménale. Je n'aurais jamais cru voir cela de mon vivant." L'Afrique a été dopée par sa démographie: elle a une population jeune (20 ans en moyenne), active, avec 500 millions de travailleurs, et très urbaine, comptant plus de villes de 1 million d'habitants que l'Europe. Et le continent noir a rassuré les investisseurs en "améliorant sa gouvernance et sa gestion de l'économie", selon une étude récente de la Banque mondiale, même si les progrès restent modestes. Surtout, sans crier gare, l'Afrique a fait un grand saut technologique.

Principal choc, la téléphonie mobile. "Le bouleversement de ce secteur a agi sur l'ensemble de l'économie", avance Rémy Fekete. Dans des pays où les lignes fixes étaient quasi inexistantes, le mobile a fait une percée fulgurante: de 2% en 2000, le taux de pénétration est passé à 72% de la population en 2012! Un big bang qui a développé de nouveaux usages, notamment les services financiers en permettant aux Africains de virer des fonds ou de rembourser un prêt avec leur téléphone.

Au Kenya, pas moins de 19 millions de clients (pour 41 millions d'habitants) utilisent un service de banque sur mobile, "la plus grande plateforme du monde, souligne Luc Rigouzzo. Ils sont en train de sauter l'étape du chèque et de la Carte bleue." Et les assureurs s'y mettent: "Au Nigeria, la compagnie Mansard distribue ses produits d'épargne sur mobile", rapporte Hakim Khelifa, du fonds Marocinvest. La rentabilité atteint les sommets: dans la banque, elle dépasse 30% des fonds propres en Tanzanie et au Mozambique, et même 50% au Botswana, un petit Etat d'Afrique australe.

L'autre potentiel immense est l'agriculture. "Investissez dans la chaîne de valeur agricole. L'Afrique compte 60% des terres disponibles dans le monde, souligne Amethis Finance (Compagnie Benjamin de Rothschild) dans sa plaquette destinée aux investisseurs. La production de céréales a déjà été multipliée par trois en dix ans. Et, à cause de l'urbanisation, la consommation de nourriture va augmenter à un rythme de 5% par an." Les géants de l'agroalimentaire ont mis un coup d'accélérateur, tels les français Bel (La vache qui rit) et Danone, qui vient d'acquérir la Centrale laitière, leader marocain du secteur. Avec l'objectif d'en faire sa tête de pont pour attaquer les marchés d'Afrique noire.

Alors, l'Afrique est-elle sortie d'affaire? A voir. D'abord, ce grand bond en avant a brûlé une étape: l'industrie. "Le tissu industriel est très faible. Et les exportations sont composées, pour l'essentiel, de matières premières non transformées", constate Jean-Michel Severino, auteur de Le Temps de l'Afrique (éditions Odile Jacob). Pour 75% des pays d'Afrique subsaharienne, les trois premiers produits exportés sont des matières premières et ils pèsent, en moyenne, les deux tiers des exportations.
Toutefois, certains Etats commencent à profiter d'une nouvelle vague de délocalisations venue d'Asie: dans le textile et la chaussure, l'Ethiopie a accueilli plusieurs investissements de groupes chinois qui viennent y chercher une main-d'oeuvre moins chère.

Mais il y a plus inquiétant. "Cette croissance inégalement répartie ne s'accompagne pas toujours du développement", avertit le fonds Investisseurs & Partenaires (Danone, Bred, CFAO...): "L'Afrique subsaharienne affiche toujours le taux de pauvreté le plus important de la planète malgré une diminution de 10 points en vingt ans." Et après l'Amérique du Sud, c'est la région du monde la plus inégalitaire.

Risques politiques

"Les sociétés sont sous tension à cause de la rapidité des migrations ou de la lutte pour détenir la terre, ce qui peut créer des conflits violents", relève Jean-Michel Severino. Or "beaucoup de fonds débarquent en ayant les yeux rivés sur la rentabilité exceptionnelle de certains secteurs, et en minimisant le risque politique", s'inquiète-t-il. Sans préparation, ces investisseurs risquent de subir des déconvenues. Et de plier bagage, comme beaucoup l'avaient fait en Asie du Sud-Est lors de la crise de la fin des années 1990.

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