Les Chinois investissent dans les prairies canadiennes pour nourrir l'Asie

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Casquette vissée sur le crâne, lunettes de sportif, combinaison verte et pick-up puissant, Sheldon Zou réside à Ogema avec ses deux fillettes et son épouse Linda depuis un an et demi.
Agence France-Presse | le 16 juin 2013

Les Chinois investissent dans les prairies canadiennes pour nourrir l'Asie

Clément SABOURIN
Agence France-Presse

Pour satisfaire l'appétit insatiable de l'Asie, des immigrés chinois investissent depuis peu des millions de dollars dans les prairies de l'Ouest canadien. Vastes cultures ou élevages, ils bâtissent des fermes géantes afin d'exporter sur l'autre rive du Pacifique.

Ce phénomène est particulièrement développé dans la Saskatchewan, une province agricole plus grande que la France, mais peuplée de seulement un million d'habitants. Ici, les champs s'étendent à perte de vue et leur acquisition est particulièrement bon marché pour l'Amérique du Nord, les enfants du pays se détournant de l'agriculture pour chercher fortune dans les mines et le pétrole.

Avec l'arrivée de ces nouveaux paysans, la valeur moyenne des terres de cette province a augmenté de 10 % en 2012. Et dans les régions prisées des investisseurs asiatiques, le phénomène est encore plus fort: «Mes terres ont pris 50 % en trois ans», confie Ian Hudson, un agriculteur possédant un millier d'hectares autour d'Ogema, petit village du sud de la Saskatchewan.

Les autorités ont recensé une demi-douzaine de sociétés investissant massivement dans les terres arables. Elles le font directement avec leurs fonds propres, ou indirectement en aidant des clients à acquérir des terrains pour, généralement, hériter de leur gestion.

En faisant affaire avec de tels groupes, les investisseurs qui souhaitent cultiver eux-mêmes leurs champs bénéficient d'une expertise locale et de tarifs avantageux sur les semences, les engrais, le matériel, etc.

Impossible toutefois de savoir combien sont ces nouveaux propriétaires terriens d'origine asiatique, et encore moins combien sont devenus fermiers: le gouvernement avoue l'ignorer. Mais, confronté à l'inquiétude des maires locaux, il a diligenté une enquête l'année dernière.

«La loi de Saskatchewan est claire: seuls les citoyens et les résidents permanents du Canada peuvent investir dans les terres agricoles de la province (...) et les entreprises qui le font doivent être 100 % canadiennes», indique à l'AFP le ministre provincial de l'Agriculture, Lyle Stewart.

Toutefois, remarque-t-il, «des rumeurs veulent que certains intérêts essaient de contourner nos lois». Un enquêteur spécial a été nommé l'an passé afin de passer au crible les dernières transactions et «deux ou trois cas suspects ont été identifiés», confie le ministre, sans aller plus loin.

L'État chinois dans l'ombre?

Dans ces campagnes canadiennes, plusieurs agriculteurs rencontrés par l'AFP ont confié leurs doutes: et si ces immigrés chinois qui arrivent les poches remplies de dollars étaient en fait des prête-noms permettant à Pékin d'acquérir des terres arables?

Après avoir mis la main sur d'énormes gisements pétroliers dans la province voisine d'Alberta - forçant Ottawa à renforcer ses lois sur l'investissement étranger -, l'appétit de l'État chinois pour les ressources naturelles canadiennes apparaît en effet infini.

«Il y en a qui disent que c'est l'État chinois qui achète. C'est faux, ce sont seulement des gens avec certains moyens qui veulent faire un bon investissement», se défend Andy Hu.

À 39 ans, M. Hu est à la tête de Maxcrop, un fonds d'investissement sino-canadien spécialisé dans l'achat et la gestion de terres arables en Saskatchewan. Fondé en 2009, Maxcrop possède en son nom 3.000 hectares et en administre près de 30.000 autres achetés par certains de ses investisseurs. Avec les économies d'échelle réalisées, M. Hu peut exporter à bon prix ses produits agricoles vers la Chine.

Ancien cadre dans une usine chinoise de Mattel, Andy Hu dirigeait 1.000 employés et avait une situation confortable lorsqu'il a immigré au Canada en 2004. Après avoir d'abord fondé une agence immobilière en Alberta, il a découvert le potentiel agricole de la Saskatchewan.

«Les terres sont sous-estimées ici», répète-t-il à l'envi, notant que parallèlement «la Chine et l'Asie ont besoin de davantage de protéines» avec l'émergence d'une classe moyenne qui «est prête à payer pour bien s'alimenter».

Il a alors sillonné la province, à la recherche des meilleurs filons, et a commencé par jeter son dévolu sur Ogema, petit bourg de 400 habitants, il y a trois ans.

Rapidement, plusieurs clients de M. Hu ont acquis des milliers d'hectares de terres autour du village. Investisseurs plutôt qu'agriculteurs, les nouveaux propriétaires, dont certains résident encore en Asie, ont confié à Maxcrop la tâche de louer ces champs aux cultivateurs locaux.

Ces derniers sont encore partagés face à la popularité soudaine de leur coin de pays. Avec la spéculation, «c'est plus difficile désormais d'acheter des terres quand on est un jeune agriculteur», note Stuart Leonard, 34 ans et cinquième génération de paysans arrivés au début du XXe siècle du Luxembourg.

Arrêtant un instant son tracteur pour marquer une pause dans le marathon annuel de semis, M. Leonard remarque que «peut-être faudrait-il chercher à comprendre d'où vient l'argent» de ces néo-Canadiens, d'autant que «beaucoup d'accusations sont lancées».

Pour Mark Wartman, ancien ministre de l'Agriculture et nouveau président du CA de Maxcrop, ces questions sont sans importance: «ce qui intéresse la loi, c'est l'identité du propriétaire, c'est tout».

De Tian An Men aux prairies canadiennes

Casquette vissée sur le crâne, lunettes de sportif, combinaison verte et pick-up puissant, Sheldon Zou réside à Ogema avec ses deux fillettes et son épouse Linda depuis un an et demi. Venu en Amérique du Nord par y «profiter de sa liberté», cet ancien manifestant de la place Tian An Men a investi 1,5 million de dollars dans l'achat de matériel agricole et de 1 600 hectares autour d'Ogema.

Avec pudeur, ce quadragénaire explique que cet argent provient de ses activités antérieures d'homme d'affaires en Chine, puis aux États-Unis, et dans une moindre mesure, de prêts familiaux.

Arrivé sans expérience, il a dû compter sur la bienveillance des agriculteurs locaux pour apprendre les rudiments du métier. Cette année, c'est la première fois qu'il effectue lui-même les semis, 16 heures par jour.

À ses côtés se tient Georges, un ami Chinois récemment établi au Canada. Ancien journaliste, ce colosse explique qu'après avoir vécu près de Toronto, il a décidé de venir tenter l'aventure avec Sheldon: «Acheter des terres ici, c'est un investissement intelligent».

Pour Andy Hu, les terres agricoles ne sont qu'une première étape. Dans un village abandonné non loin d'Ogema, il présente un immense élevage de moutons ouvert en 2011 et surveillé toute l'année par un jeune immigré chinois et sa femme. Son objectif est d'en faire d'ici deux ou trois ans le plus grand élevage du pays, avec 5.000 têtes, et d'exporter toute la viande vers la Chine. «Les opportunités sont immenses ici», explique M. Hu.

Face à ces bouleversements fonciers, Stuart Leonard s'interroge: «Ces grands groupes qui achètent petit à petit toutes les terres ne pourront jamais les cultiver eux-mêmes. Vont-ils faire de nous de simples employés?»
  •   AFP
  • 16 June 2013

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