Cameroun - Accaparement des terres: Le danger permanent

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Ce qui fait courir les firmes internationales et élites vers les terres agricoles camerounaises, c'est le refuge monétaire
Mutations | Yaoundé, 27 Août 2013

Cameroun - Accaparement des terres: Le danger permanent

PIERRE CELESTIN ATANGANA ET BORIS BERTOL

Selon un rapport de la Banque mondiale publié le 22 juillet dernier, le continent compte 202 millions d'hectares de terres encore inexploitées. Ces vastes étendues de surfaces arables constituent une source de convoitise de la part des multinationales tant de l'agro-industrie que de l'industrie des biocarburants ainsi que des opérateurs locaux dont le goût irréfragable pour l'accumulation pousse à l'indécence. Ces terres, socle sur lequel s'appuiera la banque agricole pour accorder les crédits aux exploitants de ce secteur, relèvent encore toutes du domaine national, c'est-à-dire ne sont pas immatriculées. Ce qui crée une insécurité foncière dans les villages et coins reculés d'Afrique centrale en général, et du Cameroun en particulier.

Il y a quelques mois, le Ministre des Forêts et de la Faune, Philip Ngole Ngwese, ordonnait la suspension des activités de l'entreprise Herakles Farms dans la région du, Sud-ouest. Engagée dans l'exploitation à grande échelle de palmier à huile dans la localité de Mamfe et ses environs, l'entreprise a bénéficié de largesses du gouvernement pour l'acquisition de plus de 70 000 hectares de terres. Une situation qui a causé des déguerpissements de populations, la spoliation des surfaces cultivées par des centaines de familles. Celles-ci se sont retrouvées travaillant pour cette entreprise, sans moyen ni espace permettant de cultiver pour elles-mêmes. Face aux récriminations des populations et la pression des Ong internationales qui dénonçaient cet état de choses, le gouvernement a infléchi sa position sur cette activité dont la visibilité sur les retombées au niveau local était pourtant nette en termes de création d'emplois et de désenclavement de la zone.

Si le gouvernement a mis un bémol sur les activités d'Herakles Farms, c'est surtout à cause du niveau élevé des personnes s'étant retrouvées sans terre pour cultiver. Bien que les avis des uns et des autres divergent sur cette question. «Si on laisse ces terres sans les donner à une entreprise qui vient donner du travail à nos enfants et nous dédommager au passage, qu'est-ce que nous en ferons quand nous ne serons plus là?», s'interroge un riverain. Pour un parlementaire de la localité, il n'appartient pas aux Ong internationales de dire à quoi doivent être destinées les terres africaines et camerounaises en particulier. «Dans leurs pays, c'est l'agriculture intensive qu'on pratique; et tout le monde sait qu'elle nécessite de grandes surfaces cultivables, on peut s'interroger sur les motivations de cette levée de boucliers. Pourquoi le fait que nous laissions nos terres à une entreprise qui vient désenclaver un coin et trouver du travail aux Camerounais doit-il être mal perçu? Nous ne sommes pas dupes d'exiger certaines choses à cette entreprise, souligne ce parlementaire qui a requis l'anonymat.

Mais au-delà du Sud-ouest, c'est le Cameroun tout entier qui souffre de cette question. Dans le Mbam et la Haute Sanaga dans la région du Centre, le Nord-ouest et le Sud, des entreprises étrangères exploitent des dizaines de milliers d'hectares de terres pour la culture du riz et du jatropha. Dans les localités concernées, les populations se retrouvent sans terre, ou travaillent comme employés dans les espaces qui leur appartenaient hier. Dans le Mbam et Kim par exemple, le phénomène ne concerne pas uniquement les entreprises étrangères. Les élites locales achètent avec une frénésie inégalée outre des centaines d'hectares d'espaces appartenant à des paysans, mais également leurs plantations. «Mon père n'a plus rien aujourd'hui; toutes les plantations et les terres qu'on avait sont désormais la propriété d'une élite qui est venue tout acheter et mon père travaille aujourd'hui pour cet homme. Et c'est lui qui travaille maintenant pour lui, sa famille n'a plus rien», se plaint un jeune de Ntui.

Pour Bernard Njonga, Président de l'Association citoyenne de défense des intérêts collectifs (Acdic), ce qui fait autant courir les firmes internationales et élites, c'est le refuge monétaire. «La meilleure couverture contre la récession pour les 10 ou 15 ans à venir c'est l'investissement dans les terres agricoles. Et comme dirait Mikhail Orlov fondateur de Black Earth Farming l’astuce ici est de ne pas se contenter de moissonner les récoltes, mais de moissonner de l'argent», explique Bernard Njonga. Pour Boniface Mbala, la question de l'accaparement des terres par des élites pose plusieurs problèmes. «La terre est un enjeu économique et commercial désormais; les gens achètent les terres pour les revendre plus tard à un prix qui défie toute concurrence ou alors les viabilise pour les mêmes desseins», relève-t-il.

Seulement, aucune de ces ventes n'est encadrée, regrette-t-il. «La fougue avec laquelle les élites accaparent les terres des paysans dans les villages à un franc symbolique, est effroyable souligne-t-il. Elles ne sont pas conscientes que cette frénésie constitue une réelle situation d’insécurité pour elles-mêmes et leurs familles».

Selon la Banque mondiale, l'Afrique possède près de la moitié de toutes les terres utilisables non cultivées du monde. «Mais, fait savoir le rapport de l'institution sur le phénomène, à ce jour, le continent n'est pas parvenu à développer les 202 millions d'hectares de terres disponibles pour mieux lutter contre la pauvreté, générer de la croissance, créer des emplois et promouvoir une prospérité partagée».

Pourtant, fait observer la Banque, les pays africains et les communautés pourraient mettre fin aux «accaparements des terres», accroître leur production agricole et améliorer leurs perspectives de développement, s'ils parviennent à moderniser, au cours de la décennie, les procédures complexes qui régissent le droit foncier et la gestion des terres en Afrique. L'Afrique a le taux de pauvreté le plus élevé au monde avec 47,5% de la population vivant avec moins d'1,25 dollar par jour (soit un peu plus de 500Fcfa).

La question foncière selon un économiste camerounais, pourrait causer plus de problèmes qu'elle n'en résoudrait. «Il faut craindre le syndrome du Zimbabwe car, si on opte pour la réforme foncière telle qu'envisagée, l'on verra des dignitaires s'accaparer des meilleures terres et de vastes surfaces car, ce sont ces personnes qui ont les moyens d'acheter la terre», explique-t-il. Le rapport souligne que plus de 90% des terres rurales agricoles en Afrique ne sont pas enregistrées ce qui facilite l'accaparement des terres et l'expropriation sans dédommagement substantiel. Cependant, le rapport «Securing Africa 's Land for Shared Prosperity» citant des expériences pilotes menées avec succès dans des pays africains comme le Ghana, le Malawi, le Mozambique, la Tanzanie et l'Ouganda, propose un plan d'action en 10 étapes qui pourrait contribuer à révolutionner la production agricole, mettre un terme à l'accaparement des terres et éradiquer l'extrême pauvreté en Afrique.

C'est pourquoi, souligne la Banque mondiale, «à moins que les droits communaux et individuels, ne soient enregistrés et que la gouvernance des terres ne soit améliorée, la récente vague d'investissements directs étrangers en Afrique subsaharienne ne se traduira pas par une croissance inclusive et durable. Car la spoliation des communautés locales causera des troubles et les investissements ne porteront pas leurs fruits comme on l'a vu à Madagascar en 2009». Une position que défend Boniface Mbala. «Si on ne fait rien pour encadrer l'accès à la terre, cela va causer des troubles sociaux inestimables et inimaginable dans le pays».

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