Quand la terre devient refuge, elle vaut de l’or

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Dans certaines régions, les prix des terres agricoles sont montés en flèche, empêchant les agriculteurs d’acquérir leur outil de travail ou faisant grimper en flèche le prix des locations. (Photo : Alain Dewez)

Le Soir | 26.07.2014

Quand la terre devient refuge, elle vaut de l’or

Eric Burgraff

Le prix des terres agricoles flambe par la faute d’investisseurs étrangers au secteur. Un lobby s’est créé à Libramont pour sensibiliser le monde politique et enrayer la machine.

Quarante-six millions d’hectares sur un an… Le chiffre, hallucinant, traduit le niveau d’accaparement de terres agricoles par des sociétés soucieuses de rendements financiers d’un genre nouveau. Il ne s’agit pas de les soustraire à la culture ou à l’élevage, mais d’en prendre le contrôle pour en tirer quelques bénéfices.

Le phénomène, longtemps caractéristique des pays en voie de développement, sévit désormais en Europe de l’Ouest. Des sociétés d’investissement et des fonds de pensions se muent en grands propriétaires terriens, y voyant une nouvelle occasion de spéculer. Si en Belgique, le mouvement ne se mesure qu’en centaines d’hectares – environ 2.000 par an, selon certaines estimations – pour les défenseurs du monde agricole, c’est déjà trop. Aussi, à l’occasion de la foire de Libramont, une demi-douzaine d’associations a annoncé le lancement d’une plate-forme de sensibilisation.

« La crise de 2008 représente un tournant, dit Vanessa Martin, de l’ASBL Terre-en-Vue (lire ci-contre). Alors que la bourse perdait tout d’un coup de son intérêt, les terres agricoles sont devenues des valeurs refuges. » Conséquence, dans certaines régions, les prix sont montés en flèche. Avec un double impact : d’une part, des (jeunes) agriculteurs se trouvent incapables d’investir des sommes folles pour acquérir leur outil de travail, d’autre part, ils voient grimper les prix des locations. Car si de grands groupes financiers investissent, c’est évidemment pour en tirer un rendement locatif.

« Ils veulent 1 %, ça peut paraître peu mais c’est beaucoup plus élevé que le bail à ferme légal, dit Philippe Duvivier, président de la Fugea (Fédération unie de groupements d’éleveurs et d’agriculteurs). Lorsque la terre atteint 35.000 ou 40.000 euros l’hectare, 1 %, ça représente 350 à 400 euros de location par année alors que le bail à ferme légal fixe les montants à 200-250 euros ». Et d’aligner l’exemple récent d’une propriété de 100 hectares à vendre dans la région d’Ath. Les neuf agriculteurs locataires ont proposé 15.000 euros l’hectare… Alors que la procédure de vente n’est pas clôturée, un groupe d’investisseurs flamands a fait monter les enchères jusqu’à 50.000 euros… « C’est énorme pour la Wallonie mais c’est la moitié de la valeur de la terre agricole flamande, on comprend mieux dès lors leur intérêt ».

« Et ce qui est insupportable dans cette histoire, c’est que les investisseurs sont des fournisseurs du monde agricole : un constructeur de bâtiments, un marchand d’aliments pour bétail, souffle Philippe Duvivier. L’opération qu’ils montent ressemble à une véritable confiscation de notre outil de production. Ils n’ont aucun scrupule alors qu’ils font déjà du bénéfice sur notre dos depuis des années. C’est exactement la même opération que celles pratiquées par des Chinois dans le Bordelais ou par des fonds de pensions sur les terres du Nord-Pas-de-Calais. »

Dès lors, la Fugea, le Mouvement d’action paysanne, le Fian (FoodFirst Information and Action Network) et le CNCD annoncent la création d’une plate-forme de sensibilisation du monde politique (d’autres mouvements progressistes, environnementaux et altermondialistes sont appelés à les rejoindre).

Stéphane Desgain, chargé de recherche au Centre national de coopération au développement (CNCD), commente : « Si les échelles sont différentes, entre les pays en développement ou la Belgique, c’est un même combat, qui justifie notre soutien à cette initiative ». Une initiative qui a une mission urgente : accompagner la régionalisation (depuis le 1er juillet) de la législation fédérale sur le bail à ferme. « Nous voulons que le monde politique en profite pour l’améliorer… au bénéfice des agriculteurs. Nous espérons que les textes iront dans le sens du nouveau Code wallon de l’agriculture, qui vise en principe la préservation d’une agriculture familiale. »

Autre mission de la plate-forme : s’imposer dans la concertation sur le sujet entre politiques et professionnels. C’est que les idées de créer des structures publiques de portage des terres ou – comme cela existe en France – des outils de régulation publique du négoce de terres agricoles, font leur chemin au sein du nouveau gouvernement wallon. Reste à les faire aboutir.
 

Terres en vue

On connaissait déjà le crowdfunding, ou comment financer un projet en tirant parti des réseaux sociaux. Voici désormais venir le micro-crowdfunding, ou comment offrir aux agriculteurs la terre dont ils ont besoin en tirant parti des réseaux… locaux.

La coopérative « Terre-en-vue » s’est lancée dans l’aventure du financement alternatif avec succès. A son actif, 10 hectares de terres à Wavreille, 2 hectares à Rotheux, 10 à Bourdon… acquis pour des dizaines de milliers d’euros grâce à la solidarité locale. L’intérêt de l’opération, c’est que les mises de fonds sont dédicacées à un dossier particulier. Et la contrainte, c’est que les parcelles ainsi acquises sont soumises « à une servitude environnementale » : préservation des biotopes d’intérêt écologique, fermes polyvalentes plutôt que monoculture et, de préférence, écoulement de la production en circuit court. Avec au bout de la chaîne la satisfaction d’acheter régulièrement les fruits d’un petit morceau de « sa » terre.

E.B.

 

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