Échanges instructifs lors du débat sur l’avenir de l’agriculture québécoise

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Le Placoteux | 24 août 2014

Échanges instructifs lors du débat sur l’avenir de l’agriculture québécoise

Par Richard Lavoie

Lionel Levac, journaliste à Radio-Canada depuis 40 ans, Pascal-André Bisson, propriétaire fermier depuis plus de 20 ans à La Pocatière, Marcel Groleau, président de l’Union des producteurs agricoles du Québec (UPA), Paul Lecomte, agronome et directeur général du Fonds d’investissement pour la relève agricole et Pierre Rhéaume, modérateur, chroniqueur pour le journal La Terre de chez-nous

MONTMAGNY – Ce qui avait été présenté comme un « débat » a finalement donné lieu à des échanges sereins et instructifs, entre quatre spécialistes du monde agricole du Québec et le public, à l’Exposition provinciale de Montmagny.

Environ 70 personnes ont pris part à cette première, jeudi matin, durant plus de deux heures. Fait à remarquer, sous le grand chapiteau, il y avait plusieurs jeunes filles et garçons de la relève.

Bien que plusieurs représentants de la presse régionale et nationale étaient présents, peu d’entre eux ont posé des questions. Entre 10 h 40 jusqu’à près de 13 h, on a discuté de quatre des cinq sujets à l’ordre du jour. Le quatrième point, concernant la cohabitation de l’agroenvironnement, des OGM, et le développement durable, a été mis de côté au profit de celui de la relève agricole, faute de temps.

Nouvelles technologies

En premier lieu, on s’est interrogé sur la nécessité des nouvelles technologies (robotisation, domotique, équipements de haute performance) dans le monde agricole.

Tous les panélistes s’accordaient pour dire que l’utilisation des technologies est généralement avantageuse. Cependant, au-delà de la productivité que cela peut apporter il faut être prudent, en ressort-il.

Pour Marcel Groleau, président de l’UPA, « il faut se poser la question à savoir si ce sera rentable pour l’entreprise agricole. Certaines technologies sont adaptées pour certains volumes de production », a-t-il mentionné, ajoutant qu’il faut faire attention au surendettement, les investissements étant souvent coûteux.

Ce ne sont pas que des gadgets ludiques, entend-on. « Les nouvelles technologies doivent participer à la résolution d’un problème », a souligné l’agriculteur et fromager Pascal-André Bisson. « Il faut quand même, malgré les technologies, qui sont très utiles et qui viennent alléger un certain nombre de tâches, que cela n’empêche pas les gens de sentir véritablement l’état de ce que l’on fait », de soulever le journaliste de Radio-Canada, Lionel Levac.

Sur ce, Marcel Groleau, a argué que l’utilisation des technologies ne doit pas être un facteur de dévalorisation de son utilisateur. « Même les fromagers artisanaux utilisent la technologie », a-t-il fait valoir. « Ils ne font pas tout ça à la main et au nez », a-t-il lancé. « Mon propos n’était pas passéiste », de préciser M. Levac. Qui plus est, l’utilisation de la technologie ne veut pas nécessairement dire robotisation totale. Mais il ne faut toutefois pas en être dépendant, au dépens des savoir-faire, a laissé entendre M. Brisson.

Accaparement des terres

Le deuxième thème, qui a déjà fait couler beaucoup d’encre, était celui de l’accaparement des terres par des grands fonds privés, des institutions financières, des fonds de placement ou même des entreprises étrangères.

Paul Lecomte, directeur du Fonds d’investissement pour la relève agricole (FIRA*), a mentionné que cet organisme participe justement à l’acquisition de terres au Québec pour aider les jeunes à débuter en agriculture. « Notre démarche n’est pas de développer l’accaparement de terres pour en faire une grande entreprise, mais bien une façon d’aider les gens à s’établir, alors qu’ils ont un projet précis », a-t-il spécifié.

En ce moment, il n’y aurait pas de statistiques précises à ce sujet au Québec. Cependant, selon ce qu’on sait, « ici ce n’est pas encore un mal omniprésent. C’est un problème, mais pas une hécatombe », de dire M. Lecomte. Les grands achats de terres seraient même en décroissance; les investisseurs se rendant compte que ce n’est pas une bonne stratégie pour des fonds d’investissement. « Cela, je pense, au bénéfice de notre agriculture qui est plus à l’échelle humaine », a-t-il soutenu. « L’influence de ces grands fonds devrait s’effriter, je l’espère, au cours des années qui viennent. » Mais l’on peut en douter.

Cependant, il faut être conscient qu’actuellement, « l’influence des gros acheteurs garde une forte pression sur la valeur fonds de terre et limite l’accès des terres à nos jeunes. C’est une problématique. D’où notre intervention. Si les jeunes ne peuvent pas acheter les terres, au moins ils pourront les louer. Les banques de contacts sont aussi des initiatives qui vont pouvoir aider nos jeunes à accéder à la propriété. »

À ce sujet, Lionel Levac, pose aussi la question : « Au nom de quoi limiter l’étendue de la propriété des terres? Pour la sauvegarde du ‘’modèle québécois‘’? Les fermes familiales ne sont plus ce qu’elles étaient, il y a 30 ou 40 ans… Ou il y a même 10 ou 15 ans. Le modèle familial n’est pas unique, mais, par contre, si on limite à moins de gens la propriété des terres et sur de plus grandes superficies, est-ce qu’on ne repousse pas encore, et de façon accélérée, ce modèle de ferme familiale, dans toutes ses variantes possibles? » Il y a, selon lui, de la place pour toutes sortes de modèles de fermes; pour la diversité : grande, moyenne ou petite.

Ces paroles ont semblé faire l’unanimité. Cependant, pour Pascal-André Bisson, « il est inadmissible que des fonds privés ou des institutions financières s’accaparent de notre bien culturel et des fonds de terre », et peu importe la grandeur de l’exploitation, la terre doit rester la propriété des agriculteurs québécois. « On devrait, à ce titre, s’inspirer du modèle français », a-t-il suggéré, mentionnant que le contrôle des investisseurs est un mal nécessaire.

À ce titre, l’UPA propose depuis quelques années, que l’on créé au Québec la SADAQ (Société d’aménagement et de développement agricole du Québec). Cependant, pas plus tard que le jeudi 21 août, jour du débat, on pouvait lire dans La Terre de chez-nous, que le ministre de l’Agriculture, Pierre Paradis, a reporté « aux calendes grecques » la création d’un tel organisme. Selon lui, la situation actuelle n’est pas assez problématique pour justifier l’intervention de l’État.

Le président de l’UPA a d’ailleurs admis au journaliste de La Terre, qui le questionnait à ce sujet, que la SADAQ ne fait pas l’unanimité auprès des producteurs agricoles. « Mais le problème n’est pas réglé pour autant », a-t-il affirmé, le prix des terres agricoles ayant augmenté substantiellement ces dernières années, par exemple, jusqu’à 20 000 $ l’âcre dans la région de Saint-Hyacinthe.

Il semble qu’il y a un véritable problème de spéculation, selon le président, même si ce n’est pas encore la crise totale. Et l’urbanisation galopante contribue à ce phénomène. Parfois, des acheteurs laissent aller les terres en friche et peuvent ensuite demander à ce qu’elles soient dézonées. 

 « Moi je ne suis pas en faveur du contrôle du prix des terres, a-t-il dit. Je suis en faveur de la gestion des transactions des terres. Dans le but qu’elles appartiennent au producteur agricole. Peu importe la taille du producteur. Qu’elles restent entre les mains des producteurs, soit pour consolider l’entreprise, ou pour permettre à un jeune d’accéder à la terre agricole. » Il faut dire que souvent les terres achetées par grands lots sont louées à des agriculteurs. Or, les locateurs peuvent décider de changer l’utilisation qu’ils en font et le locataire, devant se reloger, est mis dans l’embarras.

Le projet de SADAQ ayant été écarté, le président de UPA est d’avis « que le Commission de protection du territoire agricole, les MRC et les municipalités pourraient jouer un rôle plus important qu’elles ne jouent actuellement », pour la protection des terres agricoles. « Ce n’est pas parce qu’il y a un ralentissement de l’intérêt des investisseurs [pour les terres], qu’il faut penser que l’enjeu n’existe plus », a-t-il conclu.

Selon Paul Lecomte, il y a tout de même des initiatives intéressantes. Il a vu dans certaines régions du Québec des activités de productions alternatives permettant de préserver l’agriculture. D’ailleurs, a-t-on appris, dans les MRC de L’Islet et de Montmagny, il semble qu’on a demandé d’identifier des « zones déstructurées », afin de protéger l’agriculture de l’étalement urbain.

Libres échanges Europe et transpacifique

« D’entrée de jeu, de dire le fromager Pascal-André Bisson, le problème c’est qu’on a à peu près pas d’information à ce sujet du gouvernement fédéral. Et ça laisse la porte ouverte à toutes sortes de rumeurs.

La base du libre échange avec l’Europe toutes matières confondues va être assujettie à la valeur de la monnaie européenne. Tant que l’euro se maintiendra au taux où il se situe depuis les trois dernières années, l’entente ne devrait pas trop affecter les marchés d’ici. Par contre si la parité monétaire s’installe, ce serait assez catastrophique, surtout dans le domaine fromager. Cependant, il croit qu’il pourrait tout de même un impact majeur dans le domaine laitier et fromager au Québec.

Les élections s’en venant, de mentionner Lionel Levac, l’information devrait venir bientôt. « Cela fait partie des ‘’pompons politiques’’, en prévision d’une campagne électorale… ». Mais ce qu’il craint encore plus que le libre échange avec l’Europe, c’est la négociation du Partenariat transpacifique (PTP).

Initié par les États-Unis, il inclut l’Australie, Brunei, le Canada, le Chili, le Japon, la Malaisie, le Mexique, la Nouvelle-Zélande, le Pérou, Singapour et le Vietnam. La Thaïlande, les Philippines, et la Corée du Sud ont également exprimé un intérêt pour se joindre aux discussions.

« Ces pays, de lancer M. Levac, sont les plus virulents défenseurs de la libéralisation des marchés. […] Alors là ça va être assez difficile et je ne serais pas surpris qu’il y ait encore un grignotage de la gestion de l’offre lors de cette négociation », d’autant plus, avait-il mentionné que « ce n’est pas dans la génétique du gouvernement conservateur de protéger des systèmes comme celui de la gestion de l’offre. »

La perception générale à ce sujet semble donc plutôt négative et l’on considère qu’il y a une disproportion entre ce que le Canada accepte, comparativement aux opportunités qui nous seront offertes, en particulier dans le secteur des fromages. L’Europe et plusieurs autres pays exigeront aussi des standards de production élevés, en particulier en ce qui concerne les viandes. Cela pourrait vouloir dire une adaptation des modes d’élevage et des coûts importants pour répondre aux exigences d’importateurs.

La question de la propriété des quotas d’importation inquiète également. Si ce sont les chaines de distribution qui détiennent les quotas, elles vont simplement profiter des prix les plus bas et cela pourrait se faire au détriment des producteurs d’ici. « On se parle depuis une demi-heure, de mentionner un monsieur du public prenant la parole, et à date on se fait planter sur toute la ligne. Est-ce qu’on s’en va comme avec l’accord de libre-échange où on a donné l’agriculture sur un plateau d’argent [aux Américains]? La question reste en suspens.

Quoi qu’il en soit, la mouvance commerciale est loin de s’arrêter et l’objectif est toujours le même : que les grands groupes commerciaux aient plus de latitude possible pour aller chercher des produits dans des zones où ça coûte moins cher, comme le faisait remarquer Lionel Levac.

Relève agricole

« Deux choses sont tout à fait fondamentales, et nous en avons déjà parlé, de dire Lionel Levac, la question des finances, la capitalisation de entreprises, c’est crucial pour la relève agricole et la formation. Il y a encore des jeunes sur des fermes qui ne voient pas la nécessité d’avoir de la formation et, malheureusement, c’est un piège. Il faut aller chercher de la formation », soutient-il.

Pour Pascal-André Bisson, « la relève ne doit pas avoir d’âge ». Même si pour le MAPAQ la limite de la relève est de 39 ans. Mais avant tout il faut faciliter le financement de la relève. En ce moment il y a encore des choses à faire. « On doit aussi laisser la place à l’imagination et à la diversification agricole dans nos régions. Il faut aussi encourager le mentorat. S’occuper des supports social et mental. La détresse existe chez les jeunes », a-t-il ajouté.

Quoi qu’il en soit, pour le président de l’UPA, nous avons au Québec des programmes généreux pour la relève qui sont sous-utilisés. Il a fait la nomenclature d’une panoplie de programmes et de données de fiscalité, dont on pourra trouver les détails sur les sites de l’UPA et du MAPAQ.

 À son point de vue, les municipalités et les MRC devraient également « mettre des choses en place pour attirer des gens du secteur agricole, comme ça se fait pour les entreprises. Des terres sont sous-utilisées un peu partout au Québec. »

Ces terres pourraient, par exemple, être louées à long terme à des jeunes producteurs. « Cela demanderait moins de capitaux pour démarrer et ça permettrait sans doute de relancer certaines régions. » 

Pour Paul Lecompte, les grands défis sont : « Accès au capital, faire attention au niveau d’endettement au démarrage. Ne pas sous-estimer le poids d’un bon fonds de roulement pour les jeunes. Donc d’avoir la meilleure structure financière possible. La connaissance de la gestion.

L’apprentissage du métier et l’écoute des pairs. Encourager le mentorat et un plan structuré d’entreprise. Une jeune entreprise ne peut pas se permettre les erreurs d’une entreprise mature. Et, surtout, ne pas négliger la qualité de vie », résume assez bien, aussi, la discussion générale sur ce point.

* Le FIRA est une entreprise privée, soutenue, entre autres, par le gouvernement du Québec, dont la mission est de supporter la relève dans son accès à l’agriculture, voir : www.lefira.ca.

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