Afrique - Mariam Sow : "L'accaparement des terres, un problème sérieux qui menace le monde rural"

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Vice-présidente d’Enda Tiers Monde, Mariam Sow milite contre l’accaparement des terres au Sénégal et en faveur d’une agriculture familiale.
Le Point Afrique | le 30/03/2015

Afrique - Mariam Sow : "L'accaparement des terres, un problème sérieux qui menace le monde rural"

INTERVIEW. Vice-présidente d’Enda Tiers Monde, Mariam Sow milite contre l’accaparement des terres au Sénégal et en faveur d’une agriculture familiale.

Par Christelle Marot

Le Point Afrique : Que représente l’accaparement des terres* au Sénégal ?

Mariam Sow : Au Sénégal, les terres cultivables sont estimées à 3,8 millions d’hectares. Quelques 2,5 millions sont exploitées dont 600 000 hectares ont fait l’objet d’un accaparement. Ce phénomène a démarré en 2008 avec la crise financière mondiale, la crise alimentaire et énergétique. C’est un problème sérieux qui menace le monde rural, soit 70% de la population. Il met aussi les paysans dans l’insécurité. Le Sénégal compte 14 millions d’habitants, dont plus de la moitié est composée de jeunes et de femmes.

Y a t-il réellement des terres au Sénégal qui méritent un appel d’offres, que l’on demande à des investisseurs étrangers de venir ? Comme c’est le cas pour Senhuile Senéthanol. Cette société a obtenu 20 000 hectares dans la réserve naturelle de Ndiaël, au nord-ouest du Sénégal. De façon générale, ces investisseurs viennent et prennent le maximum de terres de façon très peu transparente. Mais le problème d’accaparement des terres n’est pas seulement le fait d’investisseurs étrangers, ce sont aussi des fonctionnaires sénégalais, des gros bonnets, des religieux qui font main basse sur les terres, aux abords de Dakar notamment, pour spéculer. 

Pour justifier la venue des investisseurs étrangers, de nombreux gouvernements africains mettent en avant le besoin d’augmenter rapidement la productivité agricole pour faire face à l’explosion démographique qui s’annonce d’ici 2050…
 Arrêtons de penser que c’est l’extérieur qui va faire nos affaires ! L’Afrique doit compter sur elle même et pour une fois, profiter de ses richesses, participer de façon beaucoup plus digne aux grandes négociations mondiales. Je trouve dommage que ces chefs d’Etats africains qui ont connu les indépendances continuent à être obnubilés par des promesses financières qui n’aboutissent pas. Après cinquante années de coopération, on nous parle aujourd’hui d’investissements. C’est trop facile. Des investissements. Mais quels investissements ? Pour qui, qu’est ce que ça donne ? Dans nos pays, on a tellement cultivé la pauvreté, le sous-développement, que les gens ont perdu le contrôle, la capacité de se dire que c’est à nous de faire. Certains sont prêts à bazarder leurs terres car il n’y a pas de politique agricole claire. Alors que l’on pourrait développer l’agriculture familiale. Au lieu de cela, les paysans délaissent l’agriculture. Ce sont ces mêmes paysans que l’on retrouve dans des pirogues pour aller en Europe. On les chasse de leurs terres et ensuite on leur dit non, l’Europe ce n’est pas pour vous. Ça fait mal. Ces chefs d’Etat qui acceptent si facilement la venue des investisseurs étrangers ont baissé les bras. Ils pensent que c’est la communauté internationale qui doit définir des modèles. Prenez les accords de partenariat économique (APE). On nous demande d’ouvrir nos marchés, alors que nous n’avons pas encore maîtrisé notre production ! Il n’a pas de transformation des matières premières, nous n’avons pas de capacités pour faire face aux pays européens.

Quelles sont les solutions ?

La population va doubler en Afrique. Il faut bien évidemment travailler les terres ! Mais cela mérite une réflexion approfondie, par rapport aux besoins alimentaires, par rapport à l’emploi. Il s’agit de voir comment poser une vraie politique foncière et une politique agricole qui permettent de nourrir les Africains, de valoriser, transformer la production en milieu rural, de professionnaliser les filières agricoles. Au Sénégal, la population locale s’est rebiffée contre les accaparements de terre. Aujourd’hui l’Etat sénégalais a pris la mesure du problème, a compris que le pays doit produire pour nourrir sa propre population. Ce qui n’était pas le cas sous le régime de l’ancien président Wade. Le gouvernement actuel a pris l’engagement d’aller vers une réforme foncière. Une commission est en place.

Actuellement, la loi sur le domaine national met la terre à la disposition des communautés de base, mais sans droit juridique. Tant que les populations exploitent, elles peuvent rester sur ces terres. L’objectif de la réforme foncière est de donner un droit juridique aux communautés. Les populations locales veulent que la gouvernance des terres soit entre leurs mains, pour pouvoir distribuer les terres, négocier éventuellement avec des investisseurs étrangers de façon transparente. L’Etat sénégalais ambitionne aussi de créer des pôles agricoles, souhaite favoriser l’installation des jeunes, développer les exploitations familiales. Si l’Etat parvient à concrétiser ses ambitions, franchement, il ne restera guère de place pour des investisseurs étrangers...
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