Appel des organisations de la société civile à leurs gouvernements concernant la Nouvelle Alliance pour la Sécurité Alimentaire et la Nutrition en Afrique

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3 juin 2015 [EN

Appel des organisations de la société civile à leurs gouvernements concernant la Nouvelle Alliance pour la Sécurité Alimentaire et la Nutrition en Afrique

Nous, mouvements sociaux, organisations populaires et organisations de la société civile engagés pour la défense de la souveraineté alimentaire et du droit à l’alimentation en Afrique, nous sommes réuni-e-s au Forum Social Mondial de Tunis en mars 2015 pour nous unir aux opposants à la « Nouvelle Alliance pour la Sécurité Alimentaire et la Nutrition » du G8. Les organisations et mouvements sociaux d’Afrique ont partagé leurs expériences et leurs analyses concernant les impacts produits par la Nouvelle Alliance dans leurs pays, et des participants de toute la planète les ont rejoints dans leur lutte contre ce qui constitue une véritable menace pour la sécurité alimentaire et l’agro-écologie. C’est à ce titre que nous nous sommes associé-e-s à la Convergence Globale des luttes pour la terre et l’eau et que nous avons participé à l’élaboration de sa Déclaration1. La déclaration ci-dessous rassemble les conclusions de nos discussions et nos demandes à l’adresse des gouvernements participant à la Nouvelle Alliance, et vient en soutien de l’appel adressé à la présidence du G7 par l’Alliance pour la Souveraineté Alimentaire en Afrique.

Pour souscrire à cette déclaration, merci d’écrire à Gino Brunswijck: [email protected]

 

Les paysannes et paysans constituent le plus grand groupe d’investisseurs dans l’agriculture, et on estime qu’ils produisent 70 % de la production vivrière en Afrique2. Ce n’est que par la mobilisation de ceux déjà impliqués dans la production vivrière qu’il sera possible de régler le problème de l’insécurité alimentaire et de la faim. C’est pourquoi il est fondamental de promouvoir des systèmes agricoles fondés sur les droits humains et la souveraineté alimentaire, qui permettent un contrôle local des ressources naturelles, des semences, de la terre, de l’eau, des forêts, mais aussi des savoir-faire et des technologies. Il s’agit là d’un enjeu crucial pour les producteurs et productrices pratiquant l’agriculture familiale et paysanne, l’élevage sédentaire ou itinérant, la pêche artisanale, la chasse et la cueillette. Or, l’aide à l’agriculture en Afrique des gouvernements et des donateurs internationaux se focalise sur l’extension de systèmes alimentaires et agricoles contrôlés par les entreprises, au détriment de la production paysanne.

La « Nouvelle Alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition » 3 du G8 constitue l’une des illustrations les plus alarmantes de cette tendance. Lancée en 2012 par le G8, et développée dans dix pays africains4, la Nouvelle alliance, dans la droite lignée d’initiatives similaires telles qu’AGRA5 et GROW Africa, est basée sur l’hypothèse simpliste selon laquelle l’investissement des entreprises dans l’agriculture va accroître la production, améliorant de manière automatique la situation de la sécurité alimentaire et de la nutrition tout en réduisant la pauvreté. Cette logique néglige totalement le fait que la sécurité alimentaire et nutritionnelle est fondée sur un accès constant à des régimes alimentaires et nutritionnels diversifiés, et ne peut pas être atteintes par une simple augmentation de la production alimentaire. La majorité de la production soutenue par la Nouvelle Alliance consiste, qui plus est, en des cultures aux valeurs nutritionnelles relativement faibles ou destinées à l’exportation et/ou à la production non-alimentaire.

Malgré le manque de transparence qui caractérise la mise en œuvre de la Nouvelle Alliance, les expériences de terrain et les études de cas confirment que les politiques promues par la Nouvelle Alliance favorisent les accaparements de terre et d’autres ressources naturelles, fragilisant encore plus les paysannes et paysans, tout en sapant le droit à une alimentation et une nutrition adéquates6. Les accords-cadres de coopération de la Nouvelle Alliance ont été rédigés à la hâte autour de la simple promesse d’une initiative « libérant le pouvoir du secteur privé », sans considération des risques pour les paysannes et paysans et les autres groupes marginalisés7. Ces accords, conclus en l’absence ou avec une très faible participation de représentants de ces groupes, pourtant les premiers affectés par la malnutrition, ne contiennent aucun indicateur concret sur la faim et la malnutrition. Ni le G8 ni le G7 ne possèdent en outre de mandats formels pour prescrire ces changements de politiques dans d’autres pays ; le cadre légitime pour conclure des accords établissant de directives politiques en la matière étant le Comité de la Sécurité alimentaire mondiale des Nations Unies, où l’ensemble des parties concernées ont une voix.

L’adoption, par des pays africains, des engagements contenus dans la Nouvelle Alliance autorise les entreprises à exploiter des marchés en favorisant l’assouplissement du contrôle des exportations, la mise en place de mesures d’incitation fiscale et la modification des lois sur les semences au bénéfice des entreprises multinationales, et en encourageant également les gouvernements à ouvrir les acquisitions foncières de terres communautaires aux investisseurs. Malgré le besoin urgent de revenus fiscaux pour financer le développement des communautés rurales, ces pays se sont engagés à réduire les taxes sur l’agro-industrie et sur les intrants utilisés massivement par les grandes exploitations. Les projets actuellement soutenus par la Nouvelle Alliance menacent les paysannes et paysans de perdre le contrôle sur les terres et les semences, fragilisent les marchés locaux et contribuent à la dégradation de la biodiversité et de la fertilité des sols, avec pour conséquence une détérioration des moyens de subsistance des communautés locales, au détriment d’une nutrition adéquate basée, entre autres, sur l’accès à des régimes alimentaires et nutritionnels diversifiés. Dans de nombreux pays, les lois sur les semences qui sont introduites pourraient conduire à l’avenir à la criminalisation effective des échanges de semences entre paysans8. Ces mesures et ces nouveaux cadres réglementaires vont à l’encontre des droits des paysans, de la préservation de la biodiversité et du droit à une alimentation et une nutrition adéquates. Ils exacerbent les tensions économiques et les chocs liés au changement climatique pour l’ensemble des paysannes et paysans au lieu de renforcer leur résilience face à de telles circonstances. Enfin, ces changements sont entrepris hors de tous débats nationaux, et participent à la fragilisation des structures démocratiques.

Les alternatives

Nos organisations soutiennent des alternatives en matière d’investissement conçues pour répondre aux priorités des paysannes et paysans, contribuant à la concrétisation du droit à une alimentation suffisante. Ces solutions alternatives incluent la mise en place de services et d’infrastructures publiques visant à soutenir les communautés rurales et les marchés locaux. Des mesures d’incitation telles que des politiques de marchés publics permettraient aux paysannes et paysans de réaliser des investissements supplémentaires et d’accroitre la production vivrière par le biais de systèmes de production agricole décentralisés, autonomes, locaux et durables.

Bien que la Nouvelle Alliance insiste sur le besoin de renforcer « l’accès entre les petits exploitants et les marchés », les projets qu’elle soutient favorisent les marchés mondiaux dominés par les opérateurs privés, sans prendre en compte les différents systèmes agricoles locaux dont le dynamisme assure actuellement la subsistance de la grande majorité de la population du continent africain. Pour les paysannes et paysans, l’accès au marché n’est pas suffisant en soi ; ce sont les conditions de cet accès ainsi que les règles et les logiques dominant spécifiquement les différents marchés qui sont déterminants. Ces petits exploitants sont présents sur tous les marchés informels qui constituent le chaînon principal entre la production vivrière et la majorité de la population. Il existe à ce jour encore très peu de données sur les systèmes agricoles existants, et un effort reste donc à fournir en matière de recherche et d’investissement public dans les systèmes déjà en place.

Le soutien des marchés qui répondent aux logiques de l’agriculture durable et familiale ont également un impact positif en matière de changement climatique, d’emploi rural et de flux migratoires. Les paysannes et paysans doivent être à la tête des instances de décisions et posséder leurs propres organisations indépendantes. Ces points sont essentiels pour leur permettre de garder le contrôle de leurs terres, de leurs ressources naturelles et des projets qui les affectent.

Les chefs d’État de l'Union Africaine et du G7 se réunissent en Sommet en juin 2015. Nous appelons tous les gouvernements participant à la Nouvelle Alliance à :

  • Suspendre tous les engagements et les aides liés à la Nouvelle Alliance. Les gouvernements doivent garantir que toutes les autres politiques et programmes liés à la sécurité alimentaire et nutritionnelle sont cohérents avec leurs obligations internationales en matière de droits humains, y compris en relation avec le droit à une alimentation et une nutrition adéquates, et respecter les Directives sur le droit à l’alimentation de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture et les Directives volontaires sur la gestion des ressources foncières du Conseil de la sécurité alimentaire mondiale des Nations Unies.

  • Suspendre la mise en œuvre de mesures et de projets avant leur révision au sein de chaque pays par une plateforme pluri-acteurs incluant les organisations de paysannes et paysans et les groupes marginalisés. Annuler les mesures et les projets qui ne respectent par le droit à l’alimentation, qui menacent l’accès à la terre et les droits fonciers des femmes et des communautés, ou qui donnent la priorité aux intérêts privés par rapport à ceux des populations marginalisées ou au respect de l’environnement.

  • Défendre en tout point le droit au Consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause de toutes les communautés affectées par des transactions foncières, ainsi que leur pleine participation dans les instances de gouvernance foncière et des ressources naturelles.

  • Conditionner les contrats aux meilleures pratiques en matière de transparence et imposer des engagements contraignants aux entreprises en matière d’emploi rural et de salaires décents qui respectent les Conventions de l’OIT et établissent des clauses de contrôle permanent.

  • Respecter les droits des paysans et des paysannes à produire, protéger, utiliser, échanger promouvoir et vendre des semences paysannes et développer les aides aux banques et systèmes de semences appartenant aux agriculteurs. Suspendre et réviser tous les processus conduisant à la mise en place de lois sur les semences basées sur la convention UPOV 1991 ou toute autre loi ou brevet portant atteinte aux droits des paysannes et paysans.

  • Mettre en place des mesures visant à soutenir les paysannes et paysans et à faire progresser la souveraineté alimentaire, le droit à l’alimentation et l’agro-écologie, en impliquant pleinement les paysannes et paysans, les organisations de la société civile, les consommateurs et leurs organismes de représentations nationaux et régionaux.

Pour souscrire à cette déclaration, merci d’écrire à Gino Brunswijck: [email protected]

 

Signataires (mise à jour le 8 juin 2015):

International:  ActionAid International, Africa Europe Faith and Justice Network, Alliance for Food Sovereignty in Africa (AFSA), CIDSE, Coalition for Equitable Land Acquisitions and Development in Africa (CELADA), Compassion in World Farming, Corporate Europe Observatory, Fern, Food & Water Europe, Friends of the Earth International, GRAIN, Grassroots International, Greenpeace Africa, La Via Campesina Southern and Eastern Africa, Inades-Formation, Organisation des Jeunesses Panafricanistes (OJP), Oxfam, Panafricaine pour l’Éducation au Développement Durable (PAEDD), Society for International Development, The African Organic Network (AfrONet), Transnational Institute (TNI), VECO West Africa, WhyHunger

Argentina: Unión Solidaria de Comunidades - Pueblo Diaguita Cacano

Australia : MADGE Australia Inc 

Belgium : Réseau Foi & Justice Afrique Europe Antenne Belgique, SOS Faim Belgique

Burkina Faso : Initiatives des journalistes Africains pour la cooperation et le developpement, Réseau MARP Burkina Faso 

Cameroon : Association Citoyenne de Défense des Intérêts Collectifs, SAILD (Service d’Appui aux Initiatives Locales de Développement) 

Canada: National Farmers Union, The Ram's Horn, The United Church of Canada

Ethiopia: MELCA

France : Association Survie, CADTM-France (Comité pour l'annulation de la dette du Tiers Monde), CCFD-Terre Solidaire, FIAN France, Peuples Solidaires-ActionAid France, Réseau Foi & Justice Afrique Europe Antenne France, SOLIDARITÉ

Germany: Agrecol e.V. (Association for AgriCulture & Ecology), Bread for the World -  Protestant Development Service, Forum Umwelt und Entwicklung / NGO Forum, Environment & Development, INKOTA-netzwerk, MISEREOR, Pesticide Action Network Germany

Ghana: Agriculture Sovereignty Ghana (ASG), Farmers Development Movement (FDM), Food Sovereignty Ghana, General Agricultural Workers Union of the Trades Union Congress, Peasant Farmers Association of Ghana (PFAG), Vegetarian Association of Ghana

Indonesia: KRuHA (People's Coalition for the Right to Water)

Italy: Cooperazione per lo Sviluppo dei Paesi Emergenti (COSPE), Terra Nuova

Kenya: Building Eastern Africa Community Network (BEACON), Fahamu Africa-Networks for Social Justice, Growth Partners Africa –GPA, Kenya Community Development Foundation (KCDF), Kenya Food Rights Alliance –KeFRA, PELUM-Kenya, Permaculture Research Institute of Kenya

Luxemburg : SOS Faim Luxembourg

Malawi: Coalition of Women's Farmers (COWFA)

Mali: CNOP MALI

Mozambique: ADECRU (Academic Action for the Development of Rural Communities)

Nepal: Garjan-Nepal

Nigeria: Association of Small-Scale Agro Producer in Nigeria (ASSAPIN) ; Center For Environmental Education And Development; Centre For Peace Projects & Development; Environmental and Rural Mediation Centre; Hope Foundation for the Lonely; Justice, Development and Peace Centre(JDPC);  League of Democratic Women; Nigerian women agro allied farmers association ; WOFAN Women Famers; Women Youths and Children Advancement Program ; Youth Programme on Agriculture and Entrepreneurship Development in Nigeria

Senegal: ASPSP (Association Sénégalaise des Producteurs de Semences Paysannes), Enda Pronat, Fahamu - Réseaux pour la justice sociale, Fédération des ONG du Sénégal (FONGS - Action paysanne), Forum social sénégalais (FSS), Réseau Africain Pour le Droit à l'Alimentation (RAPDA), WiLDAF/Sénégal

South Africa: African Centre for Biodiversity – South Africa, Surplus People Project (South Africa)

Switzerland: Bread for all, the Development Service of the Protestant Churches in Switzerland

Tanzania: African Centre for Biodiversity – Tanzania, Green Belt Foundation, Irrigation Training and Economic Empowerment Organization (IRTECO), MVIWATA Kilimanjaro, Tanzania Alliance for Biodiversity (TABIO), Tanzania Organic Agriculture Movement

The Netherlands: Saka Mese Nusa AlifURU Foundation, Stichting Down2Earth, The Netherlands Centre for Indigenous Peoples

Togo: Friends of Earth-Togo

Uganda: Citizens Platform for Democracy and Accountability

United Kingdom: Biofuelwatch - UK, The Ecologist, EcoNexus, Find Your Feet, Global Justice Now, Permaculture Association, Scientists for Global Responsibility, UK Food Group, War on Want, Women’s Environmental Network (WEN), World Family

United States of America: Africa Faith and Justice Network, Biofuelwatch – US, Bioscience Resource Project, Community Alliance for Global Justice, Culinary Kids Culinary Arts Initiatives, Food First/Institute for Food and Development Policy , Fair World Project, Food & Water Watch, Friends of the Earth USA, Global Policy Forum, Inclusive Development International, Institute for Agriculture and Trade Policy, Labelgmos.org, Maryknoll Office for Global Concerns, Oakland Institute, Other Worlds, PLANT (Partners for the Land & Agricultural Needs of Traditional Peoples), Vivat, Washington Biotechnology Action Council

Zambia: PELUM Association

1 Dakar à Tunis : Déclaration de la Convergence Globale des lutes pour la terre et l’eau (Tunis, 28 mars 2015) http://viacampesina.org/fr/index.php/les-grands-ths-mainmenu-27/rrme-agraire-mainmenu-36/1065-declaration-de-la-convergence-globale-des-luttes-pour-la-terre-et-l-eau

2 HLPE (Groupe d’experts de haut niveau de la FAO), 2013. Paysans et entrepreneurs : investir dans l’agriculture des petits exploitants pour la sécurité alimentaire. Un rapport du Groupe d’experts de haut niveau sur la sécurité alimentaire et la nutrition du Conseil de la sécurité alimentaire mondiale, Rome. FIDA, PNUE 2013, Smallholders, food security and the environment. Rome.

3 Ci-après, la Nouvelle Alliance

4 Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Éthiopie, Ghana, Malawi, Mozambique, Nigeria, Sénégal et Tanzanie.

5 Alliance pour une révolution verte en Afrique

6 Nova Aliança do G8 Atinge e Usurpa Terra e Água de 50 mil Pessoas em Moçambique (ADECRU, mars 2015)
adecru.wordpress.com/2015/03/01/nova-alianca-do-g8-atinge-e-usurpa-terra-e-agua-de-50-mil-pessoas-em-mocambique/ - Agir pour mettre fin à l’accaparement de terres d’EcoEnergy à Bagamoyo, Tanzanie (ActionAid, Mars 2015)

- Dominion Farms accapare des terres au Nigeria (CEED, Environmental Rights Action/FoE Nigeria, Grain, Global Justice Now, janvier 2015)

7 A G8 Meeting that goes back to first principles (David Cameron, 2012) www.euobserver.com/opinion/118265

8 Remise en cause des lois foncières et semencières : qui tire les ficelles des changements en Afrique ? (AFSA, GRAIN, janvier 2015) http://www.grain.org/article/entries/5122-remise-en-cause-des-lois-foncieres-et-semencieres-qui-tire-les-ficelles-des-changements-en-afrique

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  • 03 June 2015

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