Cameroun : où en est vraiment la Socapalm ?

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Michel Deumega Noulowe, PCA de la Socapalm. (Photo : Nestor Nga Etoga)
Le Point Afrique | 13/07/2015

Cameroun : où en est vraiment la Socapalm ?

INTERVIEW. Des contradictions d'ordre économique et social la cernent sur fond de relations tendues avec certaines populations et des employés. Explications.

Par notre correspondant à Yaoundé, Nestor Nga Etoga

Des problèmes avec les populations riveraines de ses plantations, des revendications d'employés de sociétés en sous-traitance, un désaccord entre les membres du conseil d'administration et certains actionnaires... Le moins que l'on puisse, c'est que la crise est réelle dans cette entreprise agro-industrielle. Le staff dirigeant se refuse à considérer la situation comme cela. Magistrat de formation, Michel Deumaga Noulowe a démissionné pour être avocat. De conseiller juridique de la Socapalm, il est aujourd'hui président du conseil d'administration de la même structure. La cinquantaine consommée, le verbe lourd, la voix tremblante, cet ancien conseiller juridique de plusieurs multinationales a décidé après plusieurs tractations avec Le Point de parler de la Société camerounaise des Palmeraies, à l'heure où cette structure est confrontée aux multiples combats des lobbies. Entretien réalisé à Douala.

Le Point Afrique : Où en est la Socapalm aujourd'hui ?

Michel Deumaga Noulowe : La Socapalm est l'une des sociétés les plus anciennes du paysage économique camerounais. Jusqu'en juin 2000, elle était une société publique dont le capital était totalement détenu par l'État du Cameroun. Aujourd'hui, la Socapalm appartient au Groupe Socfin, basé en Belgique. D'après les statistiques au 31 décembre 2014, la Socapalm compte 2 184 collaborateurs directs, dont 1 808 hommes et 376 femmes, soit respectivement 83 % et 17 % de l'effectif total. La Socapalm emploie également 2 200 intérimaires. Au total, nous arrivons à 4 300 employés directs au niveau de la Socapalm. Il faut y ajouter des emplois générés par des contrats de sous-traitance et par des prestataires affectés à certaines fonctions. Résultat : la Socapalm est un pourvoyeur important d'emplois pour le Cameroun.

En termes de production, où en est-elle ?

Malgré un contexte économique difficile, la Socapalm a clôturé l'année 2014 avec un chiffre d'affaires en progression de 9 %. C'est-à-dire une production record ! En 2015, ça sera aussi une production record. Les investissements agronomiques, industriels et sociaux se montent à 5 414 millions de F CFA en 2014. Cette politique d'investissement soutenue a permis à la Socapalm de disposer au 31 décembre 2014 de 37 001 hectares de plantations : 35 037 hectares de palmiers à huile et 1 964 hectares d'hévéa sur une concession globale de 56 000 hectares. En 2014, la production de l'huile de palme brute par la Socapalm est de 91 505 tonnes, soit une augmentation de 9 % par rapport à 2013. Une belle progression pour le Cameroun qui accuse toujours un déficit de plus de 50 % par rapport à ses besoins nationaux. Alors que nos confrères ont du mal à vendre leur production, nous arrivons à vendre la totalité de notre production, même si le stock de la Socapalm est relativement important.

Au niveau de la production du caoutchouc naturel : l'hévéaculture représente une production d'énergie verte pure. En 2014, la production de caoutchouc s'élève à 519 tonnes, soit une augmentation de 33 % par rapport à l'année précédente. La diversification amorcée vers l'hévéaculture depuis quelques années voit sa productivité augmenter significativement au fur et à mesure des mois, du fait de la mise en rapport des parcelles atteignant la maturité nécessaire et adéquate, et ce, depuis 2011.

En quoi consiste aujourd'hui votre engagement environnemental et sociétal ?

Pour la Socapalm, la conciliation de la rentabilité économique et des valeurs sociétales est la clé de voûte d'une croissance durable de l'entreprise et de ses collaborateurs. Plus spécifiquement, la démarche d'amélioration continue mise en place pour la qualité, l'hygiène, la sécurité et l'environnement offre à la Socapalm un outil de progrès non négligeable qui a abouti aujourd'hui à la certification ISO 14001. Ces démarches se traduisent par différentes actions : la mise en œuvre d'une approche systématique permettant de définir des objectifs, des indicateurs et d'en évaluer les résultats ; le respect des normes et règlements en vigueur et la maîtrise de la gestion des opérations afin de prévenir toute forme de risque ; la certification ISO 14001 pour ses plantations (3 des 6 sites certifiés en 2014) ; la préservation de la biodiversité au sein des plantations ; l'utilisation de chaudière à combustion optimale permettant ainsi de limiter les polluants atmosphériques à la source en les maintenant dans les normes en vigueur ; la protection des eaux de surface par traitement des effluents avant leur rejet dans les milieux récepteurs ; la maîtrise de la gestion des déchets et leur valorisation dans les autres activités de l'entreprise (engrais bio, énergie verte etc.) ; le soutien à l'éducation par un appui matériel aux structures d'éducation de base ; l'amélioration des conditions de vie des populations reculées par la mise en place de services collectifs adaptés et durables ; la contribution au développement local par la formation des jeunes à l'agriculture en vue de diminuer le clivage industriel ; l'amélioration de la santé des travailleurs par l'intensification de la prévention sanitaire et le renforcement des capacités professionnelles du personnel de santé et de l'éducation ; l'amélioration et l'intensification de la communication envers les travailleurs et les communautés riveraines ainsi que la prise en compte de leurs attentes. Ces enjeux constituent des axes d'orientation communs qui sont déclinés sur le plan opérationnel par la Direction générale.

Votre gouvernance ne fait pas l'unanimité. Elle est même décriée par certains. Comment comptez-vous vous y prendre pour implémenter "une gouvernance responsable" ?

Le système de contrôle interne mis en place au sein de la Socapalm tend à assurer la conformité aux textes législatifs ; le bon fonctionnement des procédures internes, notamment celles concourant à la sauvegarde des actifs ; l'application des instructions et orientations fixées par la Direction générale ; la contribution, d'une façon générale, à la maîtrise des activités de l'entreprise, à l'efficacité de ses opérations et à l'utilisation efficiente de ses ressources. Ce système repose sur : un savoir-faire et un savoir-être des salariés soucieux de la pérennité de l'entreprise, associés à une organisation basée essentiellement sur le respect des procédures et l'application des bonnes pratiques ; un système de management qui vise à prévenir les principaux risques pour la sécurité des travailleurs et pour l'environnement ; une revue générale de pilotage et une surveillance permanente portant sur le système de management. Plusieurs actions de renforcement du contrôle interne existent, parmi lesquelles la mise en place au niveau de la Socapalm d'une charte éthique. Notre charte a vu le jour en 2009 et décline plusieurs valeurs qui témoignent du respect de la valeur humaine, notamment : la lutte contre la corruption, le professionnalisme, la diminution des conflits d'intérêts, la lutte contre la consommation d'alcool et de drogue et l'usage des armes à feu, la protection de l'environnement et de la santé des travailleurs, le respect des conditions de travail, l'intégrité dans la gestion des affaires, le respect de la vie politique des employés et le respect. Ce partage de valeurs constitue le meilleur gage d'un développement pérenne des activités et témoigne de la volonté de la Socapalm d'exercer son métier dans le profond respect de l'Homme et de son environnement, et ce, de manière durable. Pour 2015, la charte éthique de la Socapalm se déploie plus en profondeur sur des valeurs telles qu'une accessibilité améliorée à la santé et à une éducation de qualité, la culture d'entreprise et le sentiment d'appartenance à une entreprise socialement responsable, ainsi que la lutte contre le travail des enfants.

Quelle place occupent aujourd'hui les femmes au sein de la Socapalm ?

Augmenter le taux de féminisation des postes, comme inscrit dans la charte des droits de l'homme, est au centre du processus de recrutement de la Socapalm. Ainsi en 2014, on a noté une augmentation de 12 % de l'effectif des femmes par rapport à l'année 2013. Depuis la privatisation, nous pouvons également noter une augmentation de 35 % des effectifs au sein de la Socapalm.

Qu'en est-il des jeunes dans cette dynamique ?

On observe que la majorité des demandes de stage ou d'emploi proviennent de jeunes scolarisés dans les plantations de la Socapalm. Depuis quelques années déjà, notre politique d'emploi est orientée vers ces jeunes, de 20 à 35 ans, avec ou sans expérience professionnelle et, à compétences égales, la priorité est accordée aux personnes originaires des localités proches des différents sites. En 2014, les jeunes dont la tranche d'âge est comprise entre 20 et 30 ans constituent 47 % de l'effectif total intégré.

Parlez-nous des embauches, des licenciements et des départs de la Socapalm en 2014 ?

En 2014, la Socapalm a procédé à 522 recrutements, soit une progression de 65 % par rapport à 2013. Le nombre total de départs en 2014 est de 199 personnes : 14 % par licenciement, 3 % par fin de contrat, 21 % par départ en retraite et enfin 63 % pour raisons diverses : démissions, désertions, décès, etc.

Où en êtes-vous des investissements réalisés dans les plantations de la Socapalm ?

En 2014, des investissements importants ont été réalisés au sein des villages des plantations de la Socapalm. Pour une augmentation de 35 % des effectifs depuis la privatisation de la Socapalm, le parc immobilier a enregistré de son côté une croissance de 50 % du nombre d'infrastructures. Des infrastructures collectives sont également prévues au sein des nouveaux villages construits, et ce, afin de subvenir aux besoins des populations : échoppes, forages d'eau potable avec manuels afin d'offrir un accès à l'eau potable 24 heures sur 24, puits et un accès facilité à la scolarité pour les enfants. En 2014, la Socapalm aura investi près de 1 022 milliards de francs CFA pour le développement et la construction de villages au sein de ses plantations : 312 millions de francs CFA ont été investis pour les nouvelles maisons et rénovations et 710 millions ont été affectés dans l'équipement structurel et les services collectifs tels que les châteaux d'eau, écoles, forages, électrification, routes pour riverains, etc.

Qu'en est-il du quotidien dans votre activité ?

Les premières difficultés lorsqu'on fait du palmier ou du caoutchouc, c'est qu'on consomme beaucoup de carburant. Et le carburant a augmenté considérablement. La deuxième chose, c'est qu'une plantation, c'est beaucoup de salaires d'ouvriers. Avec l'augmentation du smic qui est passé à 36 700 F CFA ajouté au transport, logement, etc. On est à un minimum de 64 000 F CFA brut. On constate une forte augmentation de salaire, alors que nous avons toujours le même prix de vente du litre d'huile qui a été fixé en mars 2008. De quoi grever notre résultat financier dans un contexte budgétaire difficile.

D'aucuns parlent d'accaparement de terres par la Socapalm ? Qu'en est-il vraiment ?

Les gens parlent d'accaparement des terres, je dirais que la Socapalm a restitué des terres à l'État camerounais. Nous ne possédons pas les terres. Celles-ci sont louées à l'État du Cameroun. Lors de la privatisation de la Socapalm en 2000, le domaine concédé était de 78 000 hectares. Aujourd'hui, le bail emphytéotique de la Socapalm court sur 60 000 hectares. En tant que société privée, la Socapalm a restitué à l'État quelque 21 000 hectares. Nous exploitons aujourd'hui 35 000 hectares de palmiers et à peu près 2 000 hectares d'hévéa. La Socapalm n'est jamais sortie du domaine concédé par l'État. Je déplore, hélas, que les gens, habitant à plus de 50 kilomètres d'une plantation de la Socapalm, s'estiment comme riverains de la Socapalm. Dans le cadre de sa politique sociale, la Socapalm a construit les forages d'eau et les écoles familiales agricoles qui scolarisent et forment dans les petits métiers aux fins d'avoir les petits entrepreneurs indépendants. Certaines de ces écoles ont été créées dans les localités de Kenké et Dizangué dans le sud du Cameroun et prises en charge par la Socapalm. Nous réalisons toutes ces actions parce que nous sommes une société citoyenne.

Comment voyez-vous l'année 2015 ?

La Socapalm est une entreprise qui est essentiellement tournée vers le marché local. Il existe un déficit en huile au Cameroun. En 1968, elle a été créée par l'État camerounais pour combler ce déficit en huile. Notre tâche vise donc à combler ce déficit. Nous ne sommes pas une société exportatrice d'huile. Nous vendons exclusivement nos produits aux entreprises camerounaises. Notre objectif : maintenir notre croissance pour assurer une forte autonomie en huile au Cameroun. Ensuite, on a constaté que le déficit en huile d'un pays n'est jamais comblé par les agro-industries. Les agro-industries ne sont qu'une espèce de locomotive. Ce qui permet à un pays d'atteindre son indépendance alimentaire, c'est le fait qu'un certain nombre de populations puissent se prendre en main, puissent vivre dans les campagnes d'une production pérenne. La Socapalm poursuivra l'extension des villages ainsi que leur rénovation globale. La possibilité de créer des zones de culture maraîchère à proximité des villages est envisagée. Elle poursuivra également son appui financier et logistique aux divers établissements scolaires publics et privés présents au sein des plantations. Au cours de cette année 2015, on verra les sites de Kienke, Dibombari et Edéa audités en plus de trois sites déjà certifiés. Ces audits de surveillance seront le gage du maintien ou pas du certificat ISO 14001 : 2004. Certains bassins de lagunage déverseront leurs premières eaux dans la nature. Avant le rejet de ces eaux, des analyses préalables seront faites comme le prévoit la réglementation en vigueur et seront consignées dans le Plan de Gestion Environnemental. Il est prévu 1 200 séances de sensibilisation durant l'année 2015 pour l'ensemble du personnel Socapalm et contractuel au moyen des "minutes hygiène, sécurité et environnement" ; l'atteinte d'un taux global de valorisation de 70 % des déchets en s'appuyant sur la logique : "faire des déchets une ressource". Les années 2015 et 2016 verront se poursuivre le processus d'amélioration du système ISO 14001 mis en place.
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