Congo, les défis de l’agro-industrie

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Denis Sassou-Nguesso, président du Congo, lors de l'ouverture de l'usine Eco Oil Energy, en août 2015. (Photo: Le Monde)
Magazine de l'Afrique | 11 mars 2015

Congo, les défis de l’agro-industrie

Pour atteindre l’autosuffisance alimentaire, le Congo doit se doter d’une filière agricole digne de ce nom. Le pays explore diverses pistes, y compris à destination de l’exportation. Il ne manque pas d’atouts, ni de retards.

Il fallait agir vite. Avec près de 120 milliards de F.CFA d’importations alimentaires chaque année et des cultures de rente (palmier à huile, hévéa, cacao, café…) en déclin, le bilan agricole du Congo n’est pas glorieux. Concentrée à Pointe Noire et à Brazzaville, l’agro-industrie n’est guère mieux lotie. Limitée à quelques yaourteries, une unité de production de sucre de canne, une usine de farine de blé, quelques unités de boissons (eau minérale, bière et boissons gazeuses) et d’aliment pour bétail ainsi que des biscuiteries, elle importe une grande partie de ses intrants et crée peu de valeur ajoutée.

GTC s’est, lui aussi, lancé dans le maïs avec un objectif de 500 hectares en 2016 tandis que Tolona, une société créée par des privés espagnols, développe 150 hectares de maïs et de tomate dans la Bouenza. Quelques fermiers produisent également du maïs et du soja.

Du coup, vitale pour l’autosuffisance alimentaire du pays et l’essor d’une agro-industrie digne de ce nom, l’agriculture fait l’objet d’un soin particulier par le gouvernement.

Placée au cœur de la politique de diversification, sa relance repose sur l’augmentation et la diversification des productions vivrières ainsi que la renaissance des cultures de rente pour lesquelles le Congo a un avantage comparatif certain. Elle implique également plusieurs types d’acteurs : les petits exploitants villageois, les plus nombreux, les associations et coopératives agricoles, des PME agricoles, mais également de grandes sociétés agro-industrielles. Pour favoriser l’émergence d’une agriculture industrielle, le Plan national de développement (PND) du Congo 2012-2016 a, en effet, choisi de promouvoir « de grandes exploitations de type industriel, susceptibles d’offrir un volume de production adéquate et suffisamment stable pour alimenter l’industrie de transformation et l’exportation de produits à haute valeur ajoutée ». C’est dans cette optique qu’ont été concédées de vastes terres à quelques nationaux, mais surtout à des sociétés étrangères, en particulier pour relancer les cultures à cycle long, en d’autres termes les cultures de rente.

Pour atteindre l’autosuffisance alimentaire – la grande préoccupation du Congo – priorité est donnée aux cultures à cycle court et à leur transformation : le manioc (base de l’alimentation des Congolais), la banane plantain, le tarot, la pomme de terre, l’igname, le haricot et l’arachide. Le maïs et le soja aussi, « deux cultures destinées à fournir de l’aliment pour bétail et ainsi favoriser le petit élevage à cycle court, des poissons, volailles, moutons et porcs », explique Simon Dieudonné Savou, le directeur général de l’agriculture. La majorité de ces cultures sont pratiquées par des petits producteurs, dont la plupart, établis dans les villages, disposent de techniques culturales rudimentaires et de superficies ne dépassant guère un demi-hectare. Bien évidemment, leurs faibles capacités technologiques et productives sont souvent à l’origine du plafonnement de la production. « L’ouverture de routes a permis aux cultivateurs de produire plus et d’écouler leurs produits. Mais pour augmenter sensiblement la production, il faut améliorer les techniques culturales et favoriser l’accès des producteurs à de bonnes semences, aux intrants et aux financements », fait observer Sékou Camara, directeur des opérations du Projet d’appui à coûts partagés. Quelques rares « néo-ruraux », comme on les appelle au Congo, souvent des fonctionnaires ou des salariés du privé, qui ont investi dans une petite exploitation agricole, et des PME agricoles se consacrent également à ces cultures.

Semences améliorées et mécanisation

Pour augmenter la production vivrière et accroître les rendements, l’État a adopté diverses mesures, recevant avec l’appui de bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux qui financent des programmes agricoles. « Nous distribuons gratuitement aux petits exploitants, des semences améliorées et des intrants agricoles tels qu’outils, produits phytosanitaires, plants et boutures, relate Simon Savou. Nous développons aussi la mécanisation agricole, les sols labourés étant plus aptes à accueillir les semences améliorées. L’avantage avec les producteurs villageois, c’est que la question de l’accès à la terre ne se pose pas. » Autre mesure, les prêts du Fonds de soutien à l’agriculture, plafonnés à 30 millions de F.CFA.

Bien sûr, la machine se grippe parfois, notamment au stade du circuit d’approvisionnement, qui relève du ministère du Commerce. « On facilite la tâche des opérateurs qui vont collecter les produits agricoles. L’État met à leur disposition des véhicules, mais on ne peut pas pallier les insuffisances des autres administrations », regrette Simon Savou.

Maraîchage pour les urbains

Au programme des cultures qui contribuent à l’autosuffisance alimentaire, figurent également les produits maraîchers, indispensables pour nourrir les villes. Établis près des marchés urbains, des petits producteurs, quelques néo-ruraux et des PME agricoles se sont spécialisés dans ces cultures. Tel est le cas de BPH agricole dans le Kouilou. Telle est également la vocation des nouveaux villages agricoles, établis dans le nord du Pool. D’une manière générale, le maraîchage est plus développé dans les villes de la partie Sud du pays que dans celles du Nord. En raison de l’essor de l’urbanisation et de l’émergence de petites cités autour des sites miniers, de fer et de potasse notamment, en cours de développement dans le Niari, le Kouilou et la Sangha, la demande est appelée à se développer. Pour la satisfaire, des programmes d’installation de centres maraîchers mixtes sont réalisés à Ouesso, Djambala, Ewo, Owando, Brazzaville et Ngolonga. « On forme des jeunes via Agri- Congo au maraîchage et au petit élevage. Plusieurs bailleurs, dont la FAO, nous appuient », signale Simon Savou.

L’accent est mis aussi sur la culture du maïs, du soja et de la canne à sucre. Celle-ci relève plutôt de sociétés à capitaux étrangers, qui disposent, en général, de vastes concessions. Quelques rares PME congolaises s’y adonnent, sur des superficies plus petites. Ainsi, la production de sucre de canne est l’affaire de Saris-Congo, une filiale du groupe français Somdiaa, dans la Bouenza (70 000 tonnes de sucre). Nouvelles filières en essor, le maïs et le soja ont d’importants débouchés dans l’agroalimentaire (brasseries, corps gras) et dans la provenderie (aliment pour bétail), un marché très porteur. « Pour approvisionner les villes en viande, il faut développer l’élevage, mais pour cela, nous avons besoin d’aliments pour bétail, donc de maïs », précise Simon Savou.

Pour l’heure, il est difficile de mesurer l’impact des programmes agricoles engagés et des mesures d’accompagnement prises. Et de savoir si le pari de la diversification agricole est réussi. Certes, la production de quelques cultures vivrières a connu un rebond dans certains départements, à la suite notamment de l’ouverture de routes. Mais il faudra attendre quelques années avant de dresser un bilan exhaustif

C’est pour développer ces productions, dont la canne à sucre destinée à fabriquer des biocarburants, voire du sucre, et pour développer l’élevage, que le brésilien Asperbras a obtenu une concession de 50 000 ha de terres dans la Bouenza. Même logique pour Congo Agriculture, une société gérée par des fermiers sud-africains, qui a acquis une concession de 80 000 ha à cheval sur le Niari et la Bouenza, où quelque 2 000 ha de maïs ont déjà été mis en culture. Toutefois, explique-t-on au ministère de l’Agriculture, « Congo Agriculture doit d’abord répondre aux besoins du marché national en maïs avant d’exporter ».

GTC s’est, lui aussi, lancé dans le maïs avec un objectif de 500 hectares en 2016 tandis que Tolona, une société créée par des privés espagnols, développe 150 hectares de maïs et de tomate dans la Bouenza. Quelques fermiers produisent également du maïs et du soja.

Le palmier à huile

Autre volet de l’agriculture, la relance des cultures de rente a pour objectif d’apporter des devises au pays, par l’exportation des produits transformés qu’elle est censée initier, et de créer des emplois. Elle repose en grande partie sur de grandes sociétés, souvent à capitaux étrangers. Plusieurs produits sont visés. À commencer par le palmier à huile. Trois grands projets sont en phase de développement dans cette filière. L’un est mené par la société Atama Plantation Sarl (APS), détenue à 51 % par le malaisien Wah Seong Corporation Berhad, qui a obtenu, en août 2011, une réserve foncière de l’État d’une superficie de 180 000 ha, dont 140 000 ha dans le département de la Cuvette et 40 000 ha dans celui de la Sangha, pour une durée de 25 ans renouvelable. Soit un investissement de l’ordre de 373 milliards de F.CFA pour créer les plantations et des unités de transformation, qui produiront environ 1 million de tonnes d’huile de palme brute par an en vitesse de croisière.

Le deuxième projet est conduit par Lexus Agric, une filiale d’Atama, qui a obtenu, en juillet 2013, une concession de 50 000 ha dans la Lékoumou, pour une durée de 25 ans. Environ 25 000 ha seront destinés au palmier à huile et 25 000 ha à l’hévéa et quelque 250 milliards de F.CFA investis pour l’ensemble des cultures. Le troisième projet est opéré par Eco Oil Energie Congo, une entreprise à capitaux congolais et malaisiens. Créée en 2013, l’entreprise a repris les actifs de deux anciennes sociétés publiques, la Régie nationale des palmeraies du Congo (RNPC) et Sangha Palm. Sa concession s’étend sur 50 000 ha dont 40 000 ha dans la Sangha et 10 000 ha répartis entre la Cuvette et la Cuvette Ouest. La mise en exploitation des 50 000 hectares ainsi que la réhabilitation et la construction des unités de transformation représentent un investissement de l’ordre de 350 milliards de F.CFA.

De l’huile de palme pour le marché national

Un quatrième projet est sur le point de démarrer dans le nord du Pool, près de Mbé, sur 40 000 hectares. Il implique la compagnie pétrolière Eni Congo, Eco Oil Energie Congo et l’État congolais. Dans le Niari, quelque 70 000 hectares seront également consacrés à la culture de palmier à huile. « En raison du déficit hydrique, la culture sera irriguée », précise Simon Savou. Reste à trouver d’autres partenaires aux côtés d’Eni-Congo et de l’État congolais engagés dans le projet.

De la plupart de ces projets visant l’exportation d’huile de palme brute, notamment pour la fabrication de biocarburants, la question de l’approvisionnement du marché national en huile de palme raffinée reste entière. « La production locale n’est que de 20 000 tonnes et essentiellement artisanale, pour une demande nationale de l’ordre de 70 000 tonnes d’huile brute par an », informe Michel Djombo, gérant de General Trading Company (GTC).

Du coup, pour répondre à cette demande, des privés congolais se sont, à leur tour, lancés dans la culture. Sur des superficies plus petites. Tel est le cas de GTC qui a démarré une plantation de palmiers à huile à Ngatsu, dans le département du Pool. Quelque 40 ha de palmiers ont déjà été plantés. L’objectif est d’atteindre 500 ha d’ici trois à quatre ans. Les débouchés ? Principalement la capitale. Dans un premier temps, l’huile brute servira à fabriquer du savon. « Nous allons d’abord créer une savonnerie avant de nous lancer dans la fabrication d’huile raffinée, car pour rentabiliser une raffinerie, il faut au minimum 300 ha de palmiers », souligne Michel Djombo. Dans la Likouala, où une unité de traitement semi-industrielle devrait voir le jour, la culture est relancée par des privés sur quelque 300 ha. Et dans la Cuvette par NG Entreprise, qui compte une plantation d’environ 300 hectares.

Dans les filières d’exportation, l’hévéa a également les faveurs des privés. Outre le projet développé par Lexus Agric dans la Lékoumou, Eco Oil Energie Congo va démarrer l’hévéaculture dans la Sangha et la Cuvette Ouest. De même que le malaisien Borgnon, tout nouveau venu dans la filière, qui a obtenu une concession de 50 000 hectares dans la Cuvette. D’autres sociétés frappent à la porte, comme le belge Hévéco, qui souhaite s’implanter dans la Lékoumou.

Contrairement au palmier à huile, la cacaoculture est la spécialité de petits producteurs. Après la débâcle de la culture autrefois menée par des sociétés étatiques, ces derniers ont maintenu une petite activité, sauvegardant ainsi leur savoir-faire. Mais les cacaoyers, qui ont vieilli, sont moins productifs. La relance de la culture, avec l’encadrement des petits producteurs, est récente. Dans la Likouala, la filiale d’un groupe italien distribue gratuitement du matériel aratoire aux producteurs villageois et préfinance la campagne. La production – environ 400 tonnes de fèves par an – est exportée vers l’Italie via le port de Pointe Noire. Dans la Sangha, les cacaoculteurs – principalement des petits producteurs villageois, mais aussi quelques néo-ruraux attirés par les gains alléchants – sont encadrés par la Compagnie industrielle des bois, une filiale du groupe singapourien Olam, un des leaders mondiaux du négoce de matières premières. Ce dernier est partenaire de l’État dans le « Programme national de développement de la production de cacao », dont l’étude de faisabilité est financée par l’Agence française de développement. L’objectif est entre autres de reconstituer un verger productif dans les départements les mieux adaptés au cacao : la Sangha, les deux Cuvette et la Likouala. « Nous avons procédé à la distribution de 277 000 jeunes plants cacaoyers produits à Pokola dans la Sangha », indique le directeur général de l’Agriculture. Dans une première phase, ce sont la reconstitution du verger et la montée en puissance de la production qui sont visées. L’installation d’une unité de transformation viendra dans une deuxième phase quand la production de fèves aura atteint au moins 10 000 à 20 000 tonnes.

Pour l’heure, il est difficile de mesurer l’impact des programmes agricoles engagés et des mesures d’accompagnement prises. Et de savoir si le pari de la diversification agricole est réussi. Certes, la production de quelques cultures vivrières a connu un rebond dans certains départements, à la suite notamment de l’ouverture de routes. Mais il faudra attendre quelques années avant de dresser un bilan exhaustif et de mesurer l’impact qu’auront ces cultures en termes de revenus pour l’État, d’emplois pour la population et de valeur ajoutée pour l’agro-industrie.
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