Pourquoi l’option des mégaprojets agricoles dans le sud de l’Algérie est néfaste

Medium_tabuk---saudia
Durant les années 80, l’Arabie saoudite a opté pour ce modèle pour produire les céréales. (Wikimedia)
Maghreb Emergent | 27 février 2017

Pourquoi l’option des mégaprojets agricoles dans le sud de l’Algérie est néfaste (Opinion)

Aissa Manseur (*) 

Pourquoi l'idée de lancer des méga-projets agricoles dans le sud de l'Algérie est néfaste et sans lendemain? Aissa Manseur, en citant l'exemple de l'Arabie saoudite mais également du Complexe agroalimentaire du Sud (CAAS) d'Adrar, l'explique dans cette contribution.

La nouvelle politique agricole en Algérie s’articule sur la création de méga-projets de plus de 10 000 ha dans le sud, des sociétés entre des nationaux et des partenaires étrangers ont été créés et des projet sont déjà en cours de réalisation, une surface de 600 000 ha est réservée à ces projets qui seront orientés essentiellement vers la production de céréales, la pomme de terre et le lait.

C’est l’agrobusiness, le modèle qui a été adopté en premier lieu, en Amérique latine, un modèle qui se veut ‘’capitaliste et commercial ’’ par excellence, dont le gain est le seul but recherché sans lésiner sur les moyens à mettre en œuvre et sans se soucier des répercussions qui peuvent être engendrées.

Théoriquement les chiffres qu’avancent les concepteurs de ces projets en terme de production et de création d’emplois nous font sans aucun doute ‘’tourner la tête’’, séduire et nous promettent encore le paradis !

Quel sera le sort des petits exploitants agricoles et de l’agriculture paysanne en général ? Quels seront les effets sur les ressources hydriques souterraines et sur l’environnement ? Notre agriculture s’articule autour de petits exploitants, de petits éleveurs, de petites et moyennes exploitations, en dépit d’une politique agricole défaillante et des difficultés rencontrées sur terrains, cette agriculture a pu assurer une certaine autosuffisance en plusieurs produits notamment maraichers.

Ces mégaprojets porteront surement et sans aucun doute un coup des plus durs à notre agriculture, Le marché sera contrôlé totalement par ces gros propriétaires terriens y compris l’exportation, on passera alors à une autre forme de spéculation et on aura à faire a des spéculateurs ‘’nouvelle version’’ !

Les petits agriculteurs ne peuvent tenir longtemps face à la rude concurrence déloyale à laquelle seront confrontés et peuvent abandonner ou alors céder leurs terres à ces nouveaux ‘’maitres’’ et seront alors contraint de rentrer dans ‘’le gouffre’’ du chômage avec toutes les repussions sociales négatives qui en découlent.

Des réserves hydriques à protéger

La création des mégaprojets agricoles dans le sud, et vu les contraintes du climat et du sol, exige l’utilisation abusive de l’eau ce qui pèse lourdement sur les réserves hydriques souterraines, nous n’avons aucun droit d’épuiser ces réserves qui appartiennent à toutes les générations futures

Le souci du gain et afin de faire face aux charges faramineuses de production, le recours aux OGM (Organismes génétiquement modifiés) est inévitable. Les OGM agricoles sont des plantes à pesticides, c’est à dire, des plantes qui vont, soit produire un insecticide leur permettant de résister à un insecte ravageur, soit qui vont être capable d’absorber un herbicide sans mourir

Il se pose certains problèmes environnementaux avec la culture des OGM qui ne subissent pas les dégâts de l’herbicide, l’agriculteur fait en général moins attention à la dose d’herbicide qu’il va épandre. Il va préférer en mettre plus pour être sûr, étant donné que sa culture sera de toute façon épargnée. Nous avons ainsi dans les gigantesques cultures aux États-Unis par exemple, des agriculteurs qui épandent des pesticides en avion, arrosant toute la surface de pesticides.

Les OGM font le bonheur des industries semencières qui s’approprient de l’environnement, l’agriculture et le futur de l’alimentation de toutes les générations à venir. La création de méga-exploitations agricoles a été déjà initiée par plusieurs pays et qui a connu un échec retentissant.

La leçon saoudienne

Durant les années 80, l’Arabie saoudite a opté pour ce modèle pour produire les céréales. On se rappelle bien de ces fameux cercles verts éparpillés dans le désert arabique, trois décennies durant, la production a été satisfaisante, l’autosuffisance en blé a été atteinte et des surplus de production ont été exportés durant plusieurs années à des pays voisins… Mais cette performance n’a pu durer encore, des baisses surprenantes et inquiétantes des niveaux des nappes d’eaux souterraines ont été décelées, les cultures des céréales ont épuisé gravement les réserves souterraines d’eau.

Une situation alarmante qui amène la monarchie saoudienne à interdire définitivement la culture des céréales, et comme mesure d’urgence, elle fait recours à l’importation pour subvenir aux besoins en ces produits. Actuellement l’Arabie saoudite fait la conquête de terrains agricoles de pays tiers, des ‘’terres porteuses ‘’ pour cultiver les céréales pour sa propre consommation

La chine a opté également pour les méga-fermes laitières, 56 méga-fermes de 10 000 vaches ont été créées mais avec les difficultés rencontrées notamment dans la gestion des montagne de fumier, des eaux usées et des déchets, les autorités chinoises change d’approche et optent pour des fermes plus petites de 350 vaches, des fermes facile à construire avec moins de ressources

Peut-on réussir là où les autres ont échoué ?

Il est nécessaire d’évoquer le cas du Complexe agroalimentaire du Sud (CAAS), société par action fondée par des promoteurs locaux, qui avait pour ambition de mettre en valeur 30 000 ha dans la région d’Adrar par la culture de céréales, de cultures industrielles (tomates, betteraves, oléagineux), ainsi que la réalisation d’un complexe agroalimentaire de concentré et de sauce de tomate dont les équipements ont été fournis par une société Espagnole.

Les résultats de premières années d’exploitation étaient très encourageants. Durant la saison 2003/2004 les rendements du blé ont dépassé toute prévision ainsi que la tomate dont la production a fait tourner l’usine de transformation. Mais cela n’a pas duré longtemps, quelques années plus tard l’usine a cessé de fonctionner faute de matière première suffisante. Le prix d’achat des céréales n’a pas permis d’amortir les charges faramineuses de production, ainsi en 2007 fut prononcé l’échec de cette première expérience de l’agrobusiness en Algérie.

Y a-t-il une autre alternative pour développer notre agriculture ?

Des producteurs céréaliers locaux ont franchi le cap des 50 qx à l’hectare, d’où la naissance du club des 50 (ceux qui produisent 50 qx et plus à l’hectare de céréales), des chiffres qui avoisinent les niveaux les plus performants. Des éleveurs de vaches laitières du coté de Ghardaïa ont réalisés des pics de production du lait de 50 l/jour/vache, une performance meilleure que celle annoncée par les concepteurs des méga-fermes laitières.

Pourquoi ne pas encourager et accompagner ces deux modèles algériens au lieu de chercher les solutions ailleurs ! Concernant ces deux produits stratégiques qui alourdissent la dépendance alimentaire vis-à-vis de l’étranger et dont l’importation exerce une pression négative sur la balance des paiements du commerce extérieur du pays, c’est le manque de stratégie et de vision des responsables du secteur qui entravent leur développement.

La production céréalière est tributaire des précipitations, conduites de façon traditionnelles, ces cultures ne peuvent enregistrer des résultats satisfaisants, 3,5 millions d’ha sont emblavées annuellement dont seulement 200 à 240 000 ha qui sont irrigués. Aucun effort n’est déployé pour accroitre les surfaces irriguées malgré les projections annoncées n’a chaque début de saison

Il est plus judicieux de penser à un mégaprojet d’amenée d’eau pour ces zones céréalières qui sont en ‘’manque’’, Irriguer les 3.5 millions d’ha réservés aux céréales nous conduit inéluctablement a l’autosuffisance et dégager également un surplus très important pour l’exportation !

Concernant la production laitière, l’élevage des vaches laitières se fait de façon traditionnelle. Il est impératif de produire des fourrages au sein de l’exploitation avec la création de fermes laitières de 200 à 300 vaches et d’organiser la filière du producteur jusqu’au transformateur. La collecte du lait cru auprès des éleveurs revêt une importance capitale, actuellement plus de 60% du lait cru n’est pas collecté et commercialisé par le secteur informel.

N’ayant pas fourni les efforts nécessaires pour donner à notre agriculture l’essor escompté en dépit des budgets faramineux qui lui sont consacrée, les responsables du secteur veulent nous inculquer l’idée que le développement de l’agriculture est ailleurs. Et qu’elle ne pourra se faire avec la composante actuelle, l’essor de l’agriculture. Bref, selon ces derniers, elle ne pourra se faire qu’avec la réalisation des mégaprojets dans le sud en partenariat avec les firmes étrangères

Avec cette nouvelle politique agricole on sera toujours dépendant des étrangers et de surcroit, produisent sur nos terres !! On ne peut en aucun cas être dépendant ‘’éternellement’’ des autres pour satisfaire nos besoins alimentaires.

Il est impératif de préserver notre agriculture qui s'inscrit dans le concept de développement durable, respectueuse de l’environnement et facteur de préservation du tissu sociale. Un pays comme le nôtre, avec toutes les potentialités qu’il recèle peut relever le défi de l’autosuffisance alimentaire, sans importer aucun modèle et sans calquer aucune expérience, pour peu que la volonté politique se dessine.

(*) Expert agronome 
  • Sign the petition to stop Industria Chiquibul's violence against communities in Guatemala!
  • Who's involved?

    Whos Involved?


  • 13 May 2024 - Washington DC
    World Bank Land Conference 2024
  • Languages



    Special content



    Archives


    Latest posts