Sénégal : les terres de Dodel en sursis

Medium_6bb09231796af4534865e8bc091701cf20171128202816_thumb_565
L' « absence de déclaration directe du chef de l’Etat pourrait signifier que, comme pour Fanaye, le gouvernement soit en train de rechercher des solutions alternatives pour ces 10 000 hectares. » (Photo : Anas Sefrioui, l'investisseur derrière le projet, à côté de Macky Sall)
SOS Faim | 15 février 2018

Sénégal : les terres de Dodel en sursis

A la fin du mois de novembre 2017, le président sénégalais Macky Sall a décidé d’annuler un projet d’attribution de 10 000 hectares de terres dans le département de Podor, au nord du pays, à la société marocaine Afripartners. Cette annulation est survenue après plusieurs mois de protestations de la société civile sénégalaise. Retour sur les tenants et les aboutissants de cette affaire.

Un projet parfait en apparence

Au départ, le partenariat avec Afripartners était pour ainsi dire une initiative personnelle du chef de l’Etat. Le président Macky Sall en était fier, car aucun de ses prédécesseurs n’avait investi dans les terres délaissées du département de Podor. Au départ, le président dénonçait « la campagne d’intoxication lancée par des individus tapis à Dakar qui n’ont aucun intérêt dans le département ». Lorsqu’il annule tout, quelques mois plus tard, les motivations profondes de la volte-face de Macky Sall ne sont pas connues. Le fait que la forte levée de boucliers de la société civile ait abouti à la fin de ce projet généreusement financé est en tous les cas interprété par les Sénégalais comme une reconnaissance implicite qu’il y a effectivement eu une tentative d’accaparement de terres.

Le projet semblait pourtant parfait. A tel point qu’il allait même être mis en œuvre dans un pays auquel l’observatoire Land Matrix attribuait récemment encore (novembre 2016) un bon bulletin en proclamant que « les méga-deals fonciers ne concernent guère le Sénégal ». Tout semblait être fait dans le respect de la « législation sénégalaise », à défaut d’une loi établie règlementant le foncier au Sénégal… Selon une enquête publiée en juin 2017 par le site pasdedoute.info, les populations locales avaient même été consultées et les élus locaux avaient été les premiers interlocuteurs de l’autorité centrale et des investisseurs.

Le précédent de Fanaye

Mais, comme l’observait  judicieusement un média marocain dès le mois de mai 2017, « dans un pays comme le Sénégal, où la société civile et le mouvement ‘Y’en a marre’ ont réussi à faire basculer un chef d’Etat (Aboudoulaye Wade en 2012) il est crucial de l’avoir dans le rétroviseur. D’ailleurs il y avait eu un précédent où un projet de 20 000 hectares avait finalement été empêché en 2012 ». Ce projet était celui de Fanaye à propos duquel SOS Faim avait mené une enquête approfondie.

Flashback : en 2010, l’entreprise Sénéthanol SA, basée à Dakar, obtient 20 000 hectares de terres dans la région de Fanaye (près de Saint-Louis, au Nord) pour cultiver de la patate douce et afin de produire des agrocarburants. Les populations locales s’opposent au projet. Le 26 octobre 2011, deux paysans sont tués. Le projet est suspendu puis relocalisé à l’ouest de Fanaye, dans la réserve naturelle de Ndiaël. Sur les 26 650 hectares de zone protégée déclassifiés, 20 000 sont accordés à l’entreprise. Seuls les 6 650 hectares restants sont consacrés à la relocalisation des villages de la zone. En avril 2012, le nouveau président, Macky Sall, annule le projet, mais l’autorise à nouveau quelques mois plus tard ! Il le confie à Senhuile SA, un consortium détenu à 51 % par un groupe italien et à 49 % par Sénéthanol SA, l’entreprise initiale basée à Dakar. L’on veut y produire du tournesol destiné au marché européen, de l’arachide voué au marché local et des aliments pour le bétail. Les terres, fournies par l’État à l’entreprise privée, font défaut aux populations locales. En 2014, Virginie Pissoort et Antonella Lacatena, de SOS Faim, ont mené une enquête dans les villages de relocalisation du projet. Selon leurs conclusions, les mêmes erreurs ont été répétées, à savoir: « un processus d’affectation imposé aux populations malgré les résistances, un projet agricole opaque et une absence de dialogue et de négociation. Au niveau des modalités et de l’implémentation du projet, on observe peu d’évolution à Ndiaël, le projet se négocie entre les pouvoirs publics et l’entreprise dans une forte opacité et avec un niveau de dialogue très faible avec les populations, ce qui amplifie les tensions et la résistance au sein des autochtones».

Les étranges ressemblances entre les cas de Dodel et de Fanaye

Comme à Fanaye, la négociation officielle avec le autorités de Dodel, n’a pas pu empêcher la montée des tensions. Malgré une délibération favorable, en mars 2017, du Conseil municipal de Dodel, octroyant à la société marocaine un bail de 40 ans renouvelables sur 10 000 hectares, pour la culture de riz haut de gamme, la levée de boucliers dénonçant un gigantesque bradage du foncier ne tarde pas. Dans les régions du Nord du Sénégal, les terres agricoles servent également de parcours pour l’élevage transhumant. En octroyant 10 000 hectares en un bloc, plusieurs centaines d’éleveurs et leurs familles sont obligés de changer leurs habitudes. Très vite, un Collectif des villages impactés se forme et son porte-parole affirme : « Tous ceux qui étaient à Dodel pour participer à la délibération de ce projet par le conseil municipal n’ont jamais eu l’aval des populations de leurs localités. Et ceux qui détiennent des terres dans la zone et qui sont habilités à parler au nom des populations n’ont jamais été associés à une quelconque réunion délibérant sur l’octroi de ces terres».

Les associations de défense des droits de l’homme prendront le relais.  En octobre, grâce à leur appui, les villageois impactés saisiront la Cour suprême. La Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l’Homme (RADDHO) estime que « les conséquences prévisibles à l’installation de cette société sont l’enclavement voire le déguerpissement des populations de plus de vingt-trois villages, l’expropriation des terres agricoles destinées à la culture familiale, la mort programmée de l’élevage dans une zone fortement dominée par cette activité, la profanation de plusieurs cimetières, la paupérisation des populations,  l’insécurité alimentaire et un exode massif des populations. Compte non tenu des risques potentiels de conflits».

En octobre, dans une lettre ouverte adressée au président de la République, la présidente du Regroupement des femmes rurales actives pour le Sénégal émergent, Fatimata Gaye, demande « l’arbitrage » du chef de l’exécutif afin de trouver une solution acceptable à la révolte ». Cet arbitrage semble finalement avoir eu lieu à la fin du mois de novembre… Cependant, Macky Sall s’est prononcé par l’entremise des ministres du Budget et des Infrastructures et cette absence de déclaration directe du chef de l’Etat pourrait signifier que, comme pour Fanaye, le gouvernement soit en train de rechercher des solutions alternatives pour ces 10 000 hectares.

Les Sénégalais se souviennent que quand Macky Sall était dans l’opposition, il avait sévèrement critiqué le projet de Fanaye. Il avait même dit qu’il n’était « pas question d’octroyer une aussi importante assiette foncière à des étrangers ». Il se souviennent également qui si il a certes annulé Fanaye un fois élu, il n’a pas tardé à trouver des nouvelles affectations. Ils craignent une répétition de ce scénario… Fin 2017, Macky Sall a également dissous la Commission nationale de réforme foncière (CNRF) avant qu’elle ne puisse réellement finaliser la rédaction  d’une loi organisant la gestion du foncier. Les organisations paysannes sénégalaises demandent la reprise urgente des travaux de la CNRF.

Rédaction : Pierre Coopman

 
  • Sign the petition to stop Industria Chiquibul's violence against communities in Guatemala!
  • Who's involved?

    Whos Involved?


  • 13 May 2024 - Washington DC
    World Bank Land Conference 2024
  • Languages



    Special content



    Archives


    Latest posts